Conseil 20231622 Séance du 20/04/2023
La Commission d'accès aux documents administratifs a examiné lors de sa séance du 20 avril 2023 votre demande de conseil relative au caractère communicable, au titulaire d'un marché de maîtrise d'œuvre, des planches graphiques et plans des deux autres candidats qui ont été admis à concourir, sachant que le marché a été signé en octobre 2022 et que les études d'avant-projet définitif sont en cours.
La commission vous rappelle qu'une fois signés, les marchés publics et les documents qui s’y rapportent sont des documents administratifs soumis au droit d'accès institué par le livre III du code des relations entre le public et l’administration. En conséquence, la communication à un candidat écarté des motifs ayant conduit à ne pas lui attribuer le marché ne permet pas de refuser la communication de ces documents.
Ce droit de communication, dont bénéficient tant les entreprises non retenues que toute autre personne qui en fait la demande, doit toutefois s'exercer dans le respect du secret des affaires, protégé par les dispositions de l’article L311-6 de ce code. Il résulte en effet de la décision du Conseil d’État du 30 mars 2016, "Centre hospitalier de Perpignan" (n° 375529), que, lorsqu’elles sont saisies d’une demande de communication de documents relatifs à un marché public, les autorités mentionnées à l’article L300-2 du même code doivent examiner si les renseignements contenus dans ces documents peuvent, en affectant la concurrence entre les opérateurs économiques, porter atteinte au secret des affaires et faire ainsi obstacle à cette communication.
Le Conseil d’État a en outre précisé qu’au regard des règles de la commande publique, doivent être regardées comme communicables, sous réserve des secrets protégés par la loi, l’ensemble des pièces d’un marché public et que, dans cette mesure, l’acte d’engagement, le prix global de l’offre et les prestations proposées par l’entreprise attributaire, notamment, sont en principe communicables. Sont également communicables les pièces constitutives du dossier de consultation des entreprises (règlement de consultation, cahier des clauses administratives particulières, cahier des clauses techniques particulières…).
En revanche, les éléments qui reflètent la stratégie commerciale d’une entreprise opérant dans un secteur d’activité concurrentiel et dont la divulgation est susceptible de porter atteinte au secret des affaires ne sont, en principe, pas communicables. Il en va ainsi de l’offre de prix détaillée contenue dans le bordereau des prix unitaires, la décomposition du prix global et forfaitaire ou le détail quantitatif estimatif, ainsi que du mémoire technique, qui ne sont, de fait, pas communicables aux tiers. Revenant sur sa doctrine antérieure, la commission a également précisé dans son Conseil n° 20221455 du 21 avril 2022, qu’il en va aussi désormais ainsi des factures, bons de commande, états d’acompte, décomptes et autres pièces établies dans le cadre de l’exécution d’un marché public, qui ne sont communicables qu'après occultation des prix unitaires ou de la décomposition du prix forfaitaire, susceptibles, en soi, de refléter la stratégie commerciale d’une entreprise opérant dans un secteur d’activité déterminé.
L’examen de l’offre des entreprises non retenues au regard des mêmes principes conduit de même la commission à considérer que leur offre de prix globale est, en principe, communicable mais qu’en revanche, le détail technique et financier de cette offre ne l’est pas.
En application de ces principes et des exigences relatives au secret des affaires, la commission estime que les planches graphiques et les plans des autres candidats qui ont été admis à concourir, font partie intégrante de l’offre technique des candidats évincés et sont donc protégées au titre du secret des affaires.
En outre, elle ajoute que l’article L311-4 du code des relations entre le public et l’administration dispose que : « Les documents administratifs sont communiqués ou publiés sous réserve des droits de propriété littéraire et artistique ».
Dans sa décision du 8 novembre 2017, n° 375704, le Conseil d’État a jugé que cette disposition implique, avant de procéder à la communication de documents administratifs grevés de droits d’auteur n'ayant pas déjà fait l'objet d'une divulgation au sens de l'article L121-2 du code de la propriété intellectuelle, de recueillir l'accord de leur auteur.
La commission en déduit qu’il vous appartient par conséquent de déterminer, pour l’application de l’article L311-4 du code des relations entre le public et l’administration, si les plans concernés peuvent être considérés, en tout ou partie, comme une œuvre de l’esprit protégée par des droits d’auteur et s’ils ne peuvent donc être communiqués qu’après autorisation de son auteur.
A cet égard, il vous est rappelé qu'aux termes de l'article L112-2 du code de la propriété intellectuelle : « Sont considérés notamment comme œuvres de l'esprit au sens du présent code : 1° Les livres, brochures et autres écrits littéraires, artistiques et scientifiques ; (...) 12° Les plans, croquis et ouvrages plastiques relatifs à la géographie, à la topographie, à l'architecture et aux sciences ; (…) ». Constituent ainsi une œuvre d'architecture, les plans, les dessins, les études et les bâtiments considérés comme la reproduction des plans ou des maquettes (Cass. 1re civ., 8 janv. 1980, n° 78-12998: Bull civ. n° 17).
La commission souligne également que, pour être protégées par des droits de propriété intellectuelle, la jurisprudence exige que les œuvres de l’esprit se caractérisent par une certaine originalité, en ce qu’elles font apparaître l’empreinte, le style ou encore la personnalité de leur auteur, ou encore l’apport ou l’effort intellectuel de ce dernier. Elle en déduit que si l’autorité saisie l’informe qu’un tiers détenant des droits de propriété intellectuelle sur un document administratif en sa possession n’a pas donné son accord à la communication, il lui incombe de démontrer que le document sollicité constitue effectivement une œuvre de l’esprit, en fournissant des éléments circonstanciés justifiant son apport créatif. La commission estime qu’un simple renvoi aux stipulations contractuelles retenant cette qualification est, à cet égard, insuffisant (avis du 23 juin 2022, n° 20221454).
A titre d'exemple, le Conseil d’État, avant l'entrée en vigueur de la loi du 17 mai 2011 qui a transféré la compétence en matière de responsabilité extra-contractuelle à l'ordre judiciaire (Tribunal des conflits, 7 juill. 2014, n° 3955, X c/ Département de Meurthe-et-Moselle, publié au Recueil Lebon), a exclu l'exercice du droit au nom, composante du droit moral, s'agissant de la rénovation intérieure des ailes Est et Ouest de la préfecture du Morbihan, qui a consisté en une consolidation des charpentes et planchers et un réaménagement des bureaux, qui ne présentait pas un caractère suffisamment original pour permettre à l'architecte mandataire du groupement chargé par le département du Morbihan de la maîtrise d'œuvre de cette rénovation de se prévaloir des dispositions précitées pour exiger que son nom fût inscrit sur la façade de la préfecture (CE, 6 mai 1988, X, n° 78833, mentionné aux Tables du Recueil Lebon).
En l’état des informations dont elle dispose, la commission vous recommande par conséquent de ne pas faire droit à la demande de communication dont vous êtes saisi, les documents sollicités étant protégés tant au titre du secret des affaires que, selon toute vraisemblance, au titre des droits d’auteur.