Conseil 20230406 Séance du 09/03/2023
La Commission d'accès aux documents administratifs a examiné lors de sa séance du 9 mars 2023 votre demande de conseil relative au caractère communicable, aux adoptés, de leurs dossiers individuels en application de l’article L225-14-1 du code de l'action sociale et des familles, aux fins d’harmonisation des pratiques différentes entre les acteurs français de l’adoption internationale en matière de règles de communication des archives :
1) la pratique des organismes autorisés et habilités pour l’adoption (OAHA), habilités par le ministère, consistant à scinder le dossier individuel en deux catégories distinctes, « dossier enfant » et « dossier des parents adoptifs », et à n’autoriser, à l’adopté, qu'un accès strict au seul dossier enfant expurgé de tous les éléments concernant les parents adoptifs, en particulier l’évaluation faite par le conseil départemental dans le cadre de la procédure d’agrément ;
2) la position de la direction des archives du ministère indiquant ne faire aucune distinction entre le dossier de l’adopté et celui des parents, et estimant qu’un dossier nominatif comprend l’ensemble des pièces constituant l’histoire de l’adoption d’un enfant et l’acte d’abandon, quand il existe, à l’apparentement à une famille adoptive et à la délivrance du visa de l’enfant.
A titre liminaire, la commission vous précise que le Conseil national pour l'accès aux origines personnelles (CNAOP) a pour mission, en vertu des articles L147-1 et suivants du code de l'action sociale et des familles, de faciliter l'accès des pupilles de l'État aux informations relatives à leur père et mère de naissance et qu’il est en particulier chargé de recueillir les demandes d'accès aux origines personnelles, de vérifier si le secret de l'identité du parent est levé et de communiquer au demandeur, le cas échéant, l'identité de son père ou de sa mère de naissance.
Le cinquième alinéa de l'article L147-5 du même code précise que, pour satisfaire aux demandes d'accès aux origines personnelles, le CNAOP recueille auprès des établissements de santé, des services départementaux ainsi que des organismes autorisés et habilités pour l'adoption, copie des éléments relatifs à l'identité des parents de naissance, « ainsi que tout renseignement ne portant pas atteinte au secret de cette identité, et concernant la santé des père et mère de naissance, les origines de l'enfant et les raisons et circonstances de sa remise au service de l'aide sociale à l'enfance ou à un organisme autorisé et habilité pour l'adoption ». En vertu du dernier alinéa de l'article L147-6 de ce code, le CNAOP communique aux demandeurs « les renseignements ne portant pas atteinte à l'identité des père et mère de naissance, transmis par les établissements de santé, les services départementaux et les organismes visés au cinquième alinéa de l'article L147-5 ou recueillis auprès des père et mère de naissance, dans le respect de leur vie privée, par un membre du conseil ou une personne mandatée par lui ».
La commission considère qu'il résulte de l'ensemble de ces dispositions que le CNAOP est seul compétent pour procéder à la communication de l'identité des parents de naissance ainsi que des éléments non identifiants se rapportant à ceux-ci figurant dans le dossier en sa possession, le législateur ayant entendu instaurer un régime spécial de communication, lequel ne relève pas du champ de compétence de la commission tel qu’il est défini aux articles L342-1 et suivants du code des relations entre le public et l'administration.
1. Droit d’accès au dossier individuel sur le fondement du code des relations entre le public et l'administration :
La commission relève qu’aux termes de l’article L225-14-1 du code de l'action sociale et des familles : « Les organismes autorisés et habilités pour l'adoption communiquent les dossiers individuels qu'ils détiennent aux intéressés qui leur en font la demande dans les conditions prévues par le livre III du code des relations entre le public et l'administration ». Le Conseil d’État a par ailleurs jugé que l'institution par le législateur d'une procédure d'accès à la connaissance des origines personnelles faisant intervenir le CNAOP ne fait pas obstacle à ce qu'un pupille de l'État forme une demande de communication de son dossier administratif de pupille auprès du département qui le détient (CE, 25 octobre 2007, n° 310125), de sorte que ce dossier demeure soumis au droit d’accès organisé par le livre III du code des relations entre le public et l'administration.
La commission estime qu'il y a lieu de distinguer entre deux catégories de documents susceptibles de se trouver dans le dossier individuel de l'enfant adopté. Les documents qui ne sont pas détachables d'éventuelles procédures judiciaires menées en France ou à l'étranger, telles que celles qui ont été conduites en vue du placement de l'enfant, de sa déclaration d'abandon et de son adoption, revêtent un caractère judiciaire et ne relèvent pas du champ d'application du livre III du code des relations entre le public et l'administration. La commission n'est pas compétente pour se prononcer sur leur caractère communicable. Il en va notamment ainsi des documents élaborés à la demande d'une autorité judiciaire ou à son intention.
Les autres documents détenus par vos services ou par les OAHA et inclus dans le dossier individuel de l'adopté, détachables des procédures judiciaires, présentent le caractère de documents administratifs et sont communicables aux personnes intéressées, en application des dispositions du livre III du code des relations entre le public et l'administration, auxquelles renvoient les dispositions de l'article L225-14-1 du code de l'action sociale et des familles, et dans les limites fixées par ces mêmes dispositions.
La commission estime, à cet égard, que les adoptants présentent la qualité de personnes intéressées, au sens de ces dispositions, pour tout ce qui les concerne personnellement, d'une part, et pour tout ce qui concerne leur enfant, tant qu'il est mineur et qu'ils peuvent exercer pour lui, en tant que titulaires de l'autorité parentale, le droit d'accès qui lui est reconnu à l'article L225-14-1 du code de l'action sociale et des familles, d'autre part.
En application de ces dispositions, combinées à celles de l'article L311-6 du code des relations entre le public et l'administration, ne sont pas communicables aux adoptants, ni pour eux-mêmes ni pour leur enfant mineur, les documents dont la communication porterait atteinte à la vie privée d'autres personnes, notamment les parents de naissance (état civil, situation familiale, coordonnées...), les documents qui portent une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, autre que l'enfant mineur et qu'eux-mêmes, nommément désignée ou facilement identifiable, ou qui font apparaître de la part de cette personne un comportement dont la divulgation pourrait lui porter préjudice. Les documents qui comportent des mentions protégées en application de ces principes, ne peuvent être communiqués qu’après occultation ou disjonction de ces mentions, en application de l’article L311-7 du code des relations entre le public et l'administration, et à condition que ces occultations ou disjonctions soient matériellement possibles, ne dénaturent pas le sens du document et ne privent pas de tout intérêt sa communication.
Lorsque l'enfant devient majeur, seuls lui sont communicables, dans les mêmes conditions, les éléments de son dossier individuel le concernant directement, à l'exclusion des documents qui concernent des tiers, notamment ses parents adoptifs ou ses parents de naissance. La commission précise en particulier que l’évaluation réalisée par le conseil départemental dans le cadre de la procédure d’agrément, qui, par hypothèse, porte une appréciation ou un jugement de valeur sur les parents adoptifs, n'est pas communicable à l'enfant majeur.
De même, les parents adoptifs ne peuvent recevoir communication, dans les mêmes conditions, que des documents qui les concernent directement, à l'exclusion des éléments qui concernent des tiers, notamment leur enfant adopté devenu majeur ou ses parents de naissance.
2. Droit d’accès au dossier individuel sur le fondement du code du patrimoine :
La commission relève que les dispositions de l'article L225-14-2 du code de l'action sociale et des familles rendent applicables aux archives des OAHA les dispositions du titre Ier du livre II du code du patrimoine.
La commission vous rappelle, à cet égard, qu’en application des dispositions de l'article L311-6 du code des relations entre le public et l'administration et du 3° du I de l’article L213-2 du code du patrimoine, les documents dont la communication porte atteinte à la protection de la vie privée, à l'exception des documents mentionnés aux 4° et 5° du I du même article, ainsi que les documents qui portent une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable, ou qui font apparaître le comportement d'une personne dans des conditions susceptibles de lui porter préjudice, sont communicables de plein droit à l'expiration d'un délai de cinquante ans à compter de la date du document ou du document le plus récent inclus dans le dossier.
Elle en déduit, dès lors, qu'à l'expiration de ce délai, les documents administratifs inclus dans les dossiers individuels des adoptés sont communicables, sans restriction, aux enfants adoptés ou à leurs parents adoptifs, à l'exception des documents mentionnés aux 4° et 5° du I de l’article L213-2 (affaires portées devant les juridictions, minutes et répertoires des officiers publics ou ministériels, registres de naissance et de mariage), qui sont couverts par des délais de soixante-quinze ans ou de cent ans, et de ceux mentionnés au 2° du même article (documents dont la communication porterait atteinte au secret médical), qui sont couverts par un délai de vingt-cinq ans à compter de la date du décès de l'intéressé.
La commission vous précise enfin qu'en vertu de l'article L213-3 du code du patrimoine, une autorisation de consultation, par anticipation aux délais prévus par l'article L213-2 précité, peut toutefois être accordée par l’administration des archives aux personnes, physiques ou morales, qui en font la demande dans la mesure où l'intérêt qui s'attache à la consultation des documents ne conduit pas à porter une atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger. Cette autorisation requiert l’accord préalable de l'autorité dont émanent les documents, l’administration des archives étant tenue par l’avis donné.
La commission rappelle que pour apprécier l'opportunité d'une communication anticipée, il appartient à l’autorité saisie de mettre en balance les différents intérêts en présence à savoir, d’une part, l’intérêt légitime du demandeur et d’autre part, les intérêts que la loi a entendu protéger (avis de partie II n° 20050939, du 31 mars 2005 et n° 20215602, du 4 novembre 2021). L’intérêt légitime du demandeur doit être apprécié au vu de la démarche qu’il entreprend et du but qu’il poursuit en sollicitant la consultation anticipée d’archives publiques, de la nature des documents en cause et des informations qu’ils comportent. Les risques qui doivent être mis en balance sont ceux d’une atteinte excessive aux intérêts protégés par la loi. La pesée de l’un et des autres s’effectue en tenant compte notamment de l’effet, eu égard à la nature des documents en cause, de l’écoulement du temps et, le cas échéant, de la circonstance que ces documents ont déjà fait l’objet d’une autorisation de consultation anticipée ou ont été rendus publics.
Tels sont, en l'état des informations que vous avez portées à sa connaissance, les éléments de réponse que la commission est susceptible de vous apporter.