Avis 20227407 Séance du 12/01/2023
Maître X, conseil de Madame X, de Monsieur X et de Monsieur X, a saisi la Commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 30 novembre 2022, à la suite du refus opposé par le président directeur général d'Orange Groupe à sa demande de communication, à la suite d'une première transmission incomplète, des documents manquants suivants relatifs à Monsieur X, décédé le X alors qu'il était en télétravail :
1) l'enquête interne (témoignages, auditions, comptes rendus, convocations, attestations) ;
2) le rapport d'enquête du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) ;
3) l'ensemble des échanges concernant les alertes liées à la souffrance au travail de Monsieur X (courriers, courriels et fiches incident) et, notamment, les alertes et réunions organisées par les représentants du personnel et/ou syndicaux ;
4) tous documents utiles sur les suites réservées à la dénonciation dont avait fait l'objet Monsieur X ;
5) les actions mises en place par ORANGE afin de faire cesser la situation de souffrance au travail de Monsieur X ;
6) le dossier de la médecine du travail et, notamment, les alertes de la médecine du travail sur la situation de souffrance au travail de Monsieur X ;
7) les bilans annuels du CHSCT sur la période considérée.
En réponse à la demande qui lui a été adressée, le président directeur général d'Orange Groupe a informé la commission que plusieurs documents avaient déjà été transmis à Maître X par courrier électronique du 11 octobre 2022, dont une copie était jointe à son dossier de saisine. La commission, qui constate cependant que les documents communiqués ne correspondent pas point par point aux documents visés par la présente saisine, considère que celle-ci conserve son objet.
Le président directeur général d’Orange Groupe a en outre indiqué que certains documents n’existaient pas et que, par ailleurs, la formulation trop générale utilisée par Maître X n’en facilitait pas l’identification. La commission considère cependant que les termes de la demande sont suffisamment précis pour permettre à Orange Groupe d’identifier les documents et de s’assurer de leur existence.
La commission rappelle, à titre liminaire, que Orange-France Telecom est une société anonyme en charge du service universel des télécommunications. A ce titre, cette entreprise est tenue de communiquer à toute personne en faisant la demande, en application de l'article L311-1 du code des relations entre le public et l'administration, les documents qui se rattachent à l'une de ses activités de service public, ou qui se rapportent à la gestion de ceux de ses agents qui, quelle que soit la fonction qu'ils occupent, sont des agents de droit public, conformément à l'article 29 de la loi du 2 juillet 1990. En outre, chaque agent public a le droit d’obtenir communication des pièces qui le concernent, notamment son dossier personnel, en vertu de l'article L311-6 du code des relations entre le public et l'administration, selon lequel « ne sont communicables qu'à l'intéressé les documents administratifs dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée (...) ».
Il ressort de la décision du Conseil d'État du 17 avril 2013, ministre de l'immigration nationale et du développement solidaire c/ M. X (n° 337194, mentionnée aux tables du recueil Lebon), que l'intéressé, au sens de cette disposition, est la personne directement concernée par le document, c'est-à-dire, ainsi que les conclusions du rapporteur public sur cette affaire permettent de le comprendre, s'agissant d'un document contenant des informations qui se rapportent à une personne, soit cette personne elle-même, soit un ayant droit direct de cette personne, titulaire d'un droit dont il peut se prévaloir à raison du document dont il demande la communication.
En l'espèce, la commission relève que la demande de communication des documents concernant Monsieur X, agent de droit public, est expressément motivée par la volonté d'éclaircir les conditions de travail de l'intéressé avant sa mort et, plus généralement, les conditions de fonctionnement du service, afin, le cas échéant, d'engager une action en responsabilité contre Orange Groupe, notamment si les éléments contenus dans ces documents devaient révéler l'existence d'une faute dans l'organisation et le fonctionnement du service à l'origine de ce décès.
La commission en déduit que si le dossier administratif de l'agent décédé ne contient que des informations qui se rapportent à ce dernier, et non aux clients de Maître X, ceux-ci, en leur qualité d'ayants droit directs, dans le cadre de l'engagement éventuel de la responsabilité de l'employeur du fait des circonstances ayant conduit à son décès, sont susceptibles de se prévaloir, à raison du contenu de ce dossier, de droits hérités du défunt, voire de droits propres nés du préjudice qu'ils subissent directement. La commission ajoute qu'aucune disposition législative ou réglementaire ne subordonne l'exercice de ce droit à la reconnaissance préalable de l'imputabilité au service du décès de l'agent, qui ne constitue pas une condition indispensable à la reconnaissance de la responsabilité de l'administration, alors-même que cette imputabilité est, précisément, susceptible d'être établie par les seuls éléments contenus au sein du dossier de l'agent.
La commission estime ainsi que les documents administratifs mentionnés aux points 1) à 5) sont communicables à Maître X, après occultation, le cas échéant, des mentions dont la communication porterait atteinte à la vie privée de tiers ou ferait apparaître, de la part de tiers, autres que la société Orange et que d'autres personnes chargées d'une mission de service public, un comportement dont la divulgation leur porterait préjudice, ou qui comporteraient une appréciation ou un jugement de valeur porté sur une personne physique nommément désignée ou facilement identifiable, autre que Monsieur X, conformément à l'article L311-6 du code des relations entre le public et l'administration. Elle émet donc, sous cette réserve, un avis favorable sur ces points.
S'agissant du dossier médical mentionné au point 6), la commission rappelle que le dernier alinéa de l'article L1110-4 du code de la santé publique, auquel renvoie l'article L1111-7 du même code, prévoit que le secret médical ne fait pas obstacle à ce que les informations médicales concernant une personne décédée soient délivrées à ses ayants droit, dans la mesure où elles leur sont nécessaires pour leur permettre de connaître les causes de la mort, défendre la mémoire du défunt ou faire valoir leurs droits, sauf volonté contraire opposée par la personne avant son décès. En l'espèce, la commission constate que les demandeurs établissent leur qualité d'ayant droit du défunt, et que, dans les circonstances de leur démarche, celle-ci tend manifestement à préciser les causes de la mort et faire valoir leurs droits à l'égard de l'employeur, si la responsabilité de ce dernier était engagée. Les documents médicaux sollicités leur sont donc communicables, ainsi qu'à leur conseil.
Le président d’Orange Groupe a cependant indiqué que le dossier médical de Monsieur X était détenu par le service de santé au travail d’Orange.
La commission rappelle qu'aux termes de l'article L300-2 du code des relations entre le public et l'administration (CRPA) : « Sont considérés comme documents administratifs, (…), quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l’État, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d’une telle mission ».
Le Conseil d’État, dans sa décision CE, Sect. , 22 février 2007, Association du personnel relevant des établissements pour inadaptés, n° 264541, a jugé qu'indépendamment des cas dans lesquels le législateur a lui-même entendu reconnaître ou, à l'inverse, exclure l'existence d'un service public, une personne privée qui assure une mission d'intérêt général sous le contrôle de l'administration et qui est dotée à cette fin de prérogatives de puissance publique est chargée de l'exécution d'un service public au sens de l'article L300-2 du CRPA. Toutefois, même en l'absence de telles prérogatives, une personne privée doit également être regardée, dans le silence de la loi, comme assurant une mission de service public lorsque, eu égard à l'intérêt général de son activité, aux conditions de sa création, de son organisation ou de son fonctionnement, aux obligations qui lui sont imposées ainsi qu'aux mesures prises pour vérifier que les objectifs qui lui sont assignés sont atteints, il apparaît que l'administration a entendu lui confier une telle mission.
La commission relève, à cet égard, que le Tribunal des conflits a estimé, dans une décision du 24 février 1992 n° 02686, qu’une association assurant un service médical et social inter-entreprises, pour le compte de sociétés privées, n’était pas chargée d’une mission de service public. Dans sa décision du 10 février 2016 n° 384299, le Conseil d’État a également jugé que le médecin du travail qui délivre un certificat d'inaptitude n'exerce pas une mission de service public.
En l'espèce, la commission comprend des informations portées à sa connaissance que la société Orange Groupe a confié à un service de santé au travail externalisé la prise en charge de la santé au travail de ses agents, y compris ses agents publics. En application des principes précédemment rappelés, cette dernière circonstance ne saurait cependant suffire à permettre de considérer ce service de santé au travail comme une personne privée chargée d'une mission de service public au sens de l'article L300-2 du code des relations entre le public et l'administration.
Elle en déduit que le dossier médical de Monsieur X ne revêt pas le caractère d'un document administratif soumis au droit d'accès prévu par le titre Ier du livre III du code des relations entre le public et l'administration. Elle ne peut donc que se déclarer incompétente pour se prononcer sur la présente demande et inviter Maître X à prendre contact directement avec le service de santé au travail dont les coordonnées lui ont été fournies par Maître X, conseil d’Orange Groupe.
Enfin, la commission estime que les documents à caractère plus général mentionnés au point 7) sont communicables à toute personne qui le demande, sous réserve, le cas échéant, des secrets protégés par l'article L311-6 du code des relations entre le public et l'administration. Elle émet donc, sous cette réserve, un avis favorable sur ce point.