Conseil 20224163 Séance du 22/09/2022
La Commission d'accès aux documents administratifs a examiné dans sa séance du 22 septembre 2022 votre demande de conseil relative au caractère communicable, à un administré, du grand livre des comptes de la ville de Forbach au regard de l'article L2121-26 du code général des collectivités territoriales (CGCT), de l'arrêt du Conseil d'État (CE, 17 mars 2022, n° 449620) et de l'article L311-6 du livre III code des relations entre le public et l'administration (CRPA), notamment :
1) quelles informations, respectueuses de la loi, peuvent figurer sur les documents communiqués à l'administré qui en fait la demande ?
2) l'administration est-elle tenue de donner une suite favorable (et dans quel délai ?), malgré la sollicitation excessive liée au travail d'extraction et de modification des documents ?
3) quelles sont les modalités de communication des documents demandés, sachant que l'administré n'a pas formulé de conditions précises ?
4) l'administré est-il tenu de respecter des règles, notamment relatives à la publicité et à la diffusion des documents, à la suite leur consultation ?
1. La Commission vous rappelle qu'il résulte de l’article L2121-26 du code général des collectivités territoriales que : « Toute personne physique ou morale a le droit de demander communication des procès-verbaux du conseil municipal, des budgets et des comptes de la commune et des arrêtés municipaux ». L’ensemble des pièces annexées à ces documents, y compris les pièces justificatives des comptes, sont communicables à toute personne qui en fait la demande, selon les modalités prévues par le livre III du code des relations entre le public et l'administration.
La Commission précise que si l'article L2121-26 du code général des collectivités territoriales a institué un régime spécifique d'accès aux documents des communes, distinct du régime général d'accès aux documents administratifs organisé par les dispositions du code des relations entre le public et l'administration, et si les exceptions au droit d'accès prévues à l'article L311-6 de ce code ne sont pas opposables à une demande présentée sur le fondement de ces dispositions spéciales, l'exercice de ce droit d'accès particulier ne saurait faire obstacle, par principe, à la protection de secrets protégés par la loi sur d'autres fondements, tels que le secret de la vie privée (CE 10 mars 2010, n° 303814, commune de Sète ; conseil n° 20121509 du 19 avril 2012 et conseil n° 20123242 du 27 septembre 2012, le secret médical (conseil n° 20122788 du 26 juillet 2012) ou le secret industriel et commercial (CE, 17 mars 2022, n° 449620).
La Commission estime, par suite, en réponse à votre question n°1, que le grand livre des comptes de la ville de Forbach, ainsi que tout document administratif entrant dans le champ d'application de l'article L2121-26 du code général des collectivités territoriales, est un document administratif communicable à toute personne en faisant la demande sur le fondement de ces dispositions, sous réserve de l’occultation préalable des mentions couvertes par le secret des affaires ou le secret de la vie privée ou de tous autres secrets protégés par la loi.
En l'absence d'indication de votre part des mentions qui, selon vous, seraient susceptibles d'être occultées en application de ces principes, en dépit des diligences effectuées en ce sens par la Commission, cette dernière n'est pas en mesure de vous apporter une réponse plus précise et circonstanciée.
2. La Commission vous rappelle ensuite, qu'ainsi que l'a jugé le Conseil d’État dans son arrêt du 22 mars 2022 (n° 449620), l'exercice du droit d’accès aux documents des communes prévu à l’article L2121-26 du code général des collectivités territoriales ne saurait imposer à l’administration des difficultés matérielles excessives pour satisfaire aux demandes dont elle est saisie.
La Commission souligne à cet égard et d'une part, que l'article L2121-26 du code général des collectivités territoriales ne porte que sur la communication de documents déterminés et non de renseignements.
Elle vous rappelle, en ce sens, sa doctrine en matière de communication de documents administratifs selon laquelle sont regardés comme tels au sens de l’article L300-2 du code des relations entre le public et l’administration, ceux qui sont susceptibles d’être obtenus par un traitement automatisé d’usage courant. Il résulte en effet de la décision du Conseil d’État du 13 novembre 2020, n° 432832, publiée aux Tables, que constituent des documents administratifs au sens de ces dispositions les documents qui peuvent être établis par extraction des bases de données dont l’administration dispose, si cela ne fait pas peser sur elle une charge de travail déraisonnable, laquelle doit être interprétée de façon objective.
La Commission précise, à ce titre, que les informations demandées doivent pouvoir être obtenues par un traitement automatisé de données, sans retraitements successifs, en particulier par des interventions manuelles. Elle estime également que, lorsque les informations sollicitées doivent, pour être extraites d'un fichier informatique, faire l'objet de requêtes informatiques complexes ou d'une succession de requêtes particulières qui diffèrent de l'usage courant pour lequel le fichier informatique dans lequel elles sont contenues a été créé, l'ensemble des informations sollicitées ne peut alors être regardé comme constituant un document administratif existant (avis n° 20222817, 20222850 et 20222936 du 23 juin 2022). Une demande portant sur la communication d'un tel ensemble d'informations doit dès lors être regardée comme tendant à la constitution d'un nouveau document (Conseil n° 20133264 du 10 octobre 2013) et, par suite, être déclarée irrecevable.
La Commission souligne, d'autre part, que, compte tenu de la réserve susmentionnée du Conseil d’État, une demande qui présenterait un caractère abusif pourrait se voir opposer un refus (Conseil de partie II n° 20191652 du 27 juin 2019). Elle vous rappelle, à ce titre, sa doctrine développée pour l'application du dernier alinéa de l'article L311-2 du code des relations entre le public et l'administration.
Toute demande portant sur une quantité importante de documents ou le fait pour une même personne d’adresser soit plusieurs demandes à une même autorité soit des demandes multiples formulées à l’identique à plusieurs autorités, ne sont pas nécessairement assimilables à des demandes abusives. Une demande peut être regardée comme abusive, au sens de ces dispositions, lorsqu'elle a pour objet de perturber le bon fonctionnement de l’administration sollicitée. Relèvent de cette catégorie les demandes récurrentes, portant sur un volume important de documents traitant, le cas échéant, de la même affaire, que le service sollicité est dans l’incapacité matérielle de traiter, ou les demandes portant sur des documents auxquels le demandeur a déjà eu accès. La Commission fonde également son appréciation sur les éléments portés à sa connaissance par le demandeur et l'administration quant au contexte dans lequel s'inscrit la demande et aux motivations qui la sous-tendent.
Par sa décision du 14 novembre 2018 ministre de la culture c/ Société pour la protection des paysages et l’esthétique de la France n° 420055, 422500, le Conseil d’État a jugé que revêt également un caractère abusif, les demandes qui auraient pour effet de faire peser sur l’autorité saisie une charge disproportionnée au regard des moyens dont elle dispose. La Commission précise, en outre, que lorsque les éléments d'information non communicables contenus dans un document dont la communication est sollicitée sont très nombreux et qu'il est possible de se procurer les éléments communicables autrement, la communication des documents après occultation des éléments non communicables peut être légalement refusée, au motif qu'elle ferait peser sur l'administration une charge excessive, eu égard aux moyens dont elle dispose et à l'intérêt que présenterait, pour les requérants, le fait de bénéficier, non de la seule connaissance des éléments communicables, mais de la communication des documents occultés eux-mêmes (CE, 27 mars 2020, Association contre l'extension et les nuisances de l'aéroport de Lyon-St-Exupéry, n° 426623).
La Commission rappelle, en outre, que le droit à la communication des documents administratifs est un droit objectif. L'intérêt d'une communication pour le demandeur ou ses motivations ne peuvent donc, en principe, pas fonder un refus de communication. Elle relève, toutefois, que dans un avis n° 20220207, du 10 mars 2022, elle a fait évoluer sa doctrine en retenant désormais que, dans le cas particulier où l’autorité saisie fait valoir que la communication des documents sollicités ferait peser sur elle une charge de travail disproportionnée au regard des moyens dont elle dispose, il y a lieu de prendre en compte, pour apprécier le caractère abusif de la demande, non plus seulement le fait que la communication a objectivement perdu son intérêt, mais également l’intérêt qui s’attache à la communication pour le demandeur, ainsi que, le cas échéant, pour le public. Cette position a été confirmée par le Conseil d’État (CE, 17 mars 2022, n° 449620).
La Commission estime, par suite, en réponse à votre question n° 2, que l'administration n'est tenue de donner une suite favorable à une demande que si celle-ci porte uniquement sur des documents tels que définis précédemment et ne présente pas un caractère abusif. Elle ajoute qu'en dehors de ces hypothèses et dès lors qu'il y a lieu de donner une suite favorable à une demande, l'administration doit y faire droit dans un délai d'un mois.
Elle relève en effet que, si l'article L2121-26 du code général des collectivités territoriale ne prévoit expressément aucun délai, il résulte des dispositions combinées des articles L342-2, R311-12, R311-13 et R343-1 du code des relations entre le public et l'administration, prévoyant la possibilité de saisir la Commission d'un refus opposé à une demande présentée sur le fondement de l'article L2121-26, dans un délai de deux mois à compter de la notification du refus ou de l'expiration du délai prévu à l'article R311-13, que ce dernier délai, d'un mois, s'impose. Elle précise néanmoins qu'en cas de demande portant sur un volume important de documents et/ou lorsque la commune ne dispose que peu de moyens pour y répondre, cette dernière est fondée à convenir d'un échéancier de communication avec le demandeur afin de ne pas perturber le bon fonctionnement de ses services.
3. La Commission rappelle que la communication des documents sur le fondement de l'article L2121-26 du code général des collectivités territoriales, qui peut être obtenue aussi bien du maire que des services déconcentrés de l’État, intervient, non plus par consultation sur place avec délivrance de copies sous l’empire de l’article 34 du code de l’administration communale, mais dans les conditions prévues par l'article L311-9 du code des relations entre le public et l'administration, soit au choix du demandeur par consultation gratuite sur place, sauf si la préservation du document ne le permet pas, sous réserve que la reproduction ne nuise pas à la conservation du document, par la délivrance d'une copie sur un support identique à celui utilisé par l'administration ou compatible avec celui-ci et aux frais du demandeur, sans que ces frais puissent excéder le coût de cette reproduction, dans des conditions prévues par décret, par courrier électronique et sans frais lorsque le document est disponible sous forme électronique et enfin par publication des informations en ligne, à moins que les documents ne soient communicables qu'à l'intéressé car tenant à sa vie privée ou au secret industriel et commercial (avis de partie II n° 20180976 du 12 juillet 2018).
La Commission précise qu'en application de l'article R311-11 du code des relations entre le public et l’administration, les frais autres que le coût de l'envoi postal qui peuvent être mis à la charge du demandeur ne peuvent excéder les montants définis par l'arrêté conjoint du Premier ministre et du ministre du budget du 1er octobre 2001, à savoir, dans le cas de copies réalisées sur support papier, 0,18 euro la page en format A4. Ces dispositions s'appliquent aussi bien aux collectivités territoriales qu'à l'État et à ses établissements publics. L'intéressé doit être avisé du montant total des frais à acquitter, dont le paiement peut être exigé préalablement à la remise des copies. En revanche, le coût correspondant au surcroît de travail occasionné par la demande ne peut être facturé au demandeur.
Par ailleurs, si l’administration ne dispose pas des moyens de reproduction nécessaires pour satisfaire une demande de communication portant sur un volume important de documents, elle peut faire établir un devis auprès d’un prestataire de service extérieur. Il lui appartiendra alors d'adresser le devis de ce dernier au demandeur pour qu'il y donne suite, s'il y a lieu.
Elle souligne, à cet égard, qu'elle a estimé que, pour l'application d'un régime spécifique d'accès - en l'espèce, l’article L1111-7 du code de la santé publique -, en l'absence de disposition expresse sur ce point et lorsque le législateur ne les a pas nécessairement écartées, il convient de faire application des dispositions générales de l’article L311-9 du code des relations entre le public et l’administration.
La Commission en déduit, par suite, en réponse à votre question n° 3, que lorsque qu'un administré n'a pas formulé de conditions précises quant aux modalités de communication, il appartient à l'administration de se rapprocher de ce dernier afin d'obtenir cette information et, en cas de non-réponse de sa part, de procéder à la communication demandée selon les modalités qu'elle détermine, conformément à l'article L311-9 précité.
4. S'agissant enfin des règles de réutilisation des documents communiqués et en réponse à votre question n° 4, la Commission souligne, s'agissant de leur diffusion par le demandeur lui-même, que dès lors que les documents contiennent des informations publiques, au sens de l’article L321-1 du code des relations entre le public et l'administration, ils peuvent ainsi être utilisés par toute personne qui le souhaite à d’autres fins que celles de la mission de service public pour les besoins de laquelle les documents ont été élaborés, les limites et conditions de cette réutilisation étant fixées par le titre II du livre III de ce code.
A cet égard, la Commission rappelle, d'une part, qu'aux termes de l'article L322-1 du code des relations entre le public et l’administration : « Sauf accord de l'administration, la réutilisation des informations publiques est soumise à la condition que ces dernières ne soient pas altérées, que leur sens ne soit pas dénaturé et que leurs sources et la date de leur dernière mise à jour soient mentionnées » et, d'autre part, qu'aux termes de l'article L322-2 du même code, « Les informations publiques comportant des données à caractère personnel peuvent faire l'objet d'une réutilisation soit lorsque la personne intéressée y a consenti, soit si l'autorité détentrice est en mesure de les rendre anonymes ou, à défaut d'anonymisation, si une disposition législative ou réglementaire le permet. / La réutilisation d'informations publiques comportant des données à caractère personnel est subordonnée au respect des dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés. ».