Avis 20220604 Séance du 12/05/2022
Maître X, conseil de X, a saisi la Commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 3 février 2022, à la suite du refus opposé par le ministre de l'Intérieur à sa demande de communication, par l'octroi d'une licence statistique en contrepartie du paiement d’une redevance, au lieu de la licence commerciale proposée par la sous-direction de la protection des usagers de la route (SDPUR), de l’ensemble des six blocs de données issues du système d’immatriculation des véhicules (SIV), afin de mener une étude économétrique du marché des poids lourds.
Par un courrier du 11 février 2022, la Commission d’accès aux documents administratifs a transmis la présente demande d’avis au ministère de l'Intérieur, qui en qualité d’administration mise en cause, est tenu, en application de l’article R343-2 du code des relations entre le public et l’administration, de lui communiquer « tous documents et informations utiles et de lui apporter les concours nécessaires ».
Elle regrette qu'en dépit d'une relance, la PRADA ministérielle n’ait toutefois pas été en capacité de lui apporter les éléments d’information attendus. Cette situation est de nature à entraver les conditions dans lesquelles la commission est amenée à exercer son office.
En l’absence de réponse exprimée par le ministre de l'Intérieur à la date de sa séance, la commission rappelle qu'aux termes de l'article L330-1 du code de la route, il est procédé, dans les services de l’État et sous l'autorité et le contrôle du ministre de l'Intérieur, à l'enregistrement de toutes informations concernant les pièces administratives exigées pour la circulation des véhicules ou affectant la disponibilité de ceux-ci. L'article L330-5 du même code prévoit que les données à caractère personnel figurant dans les pièces administratives exigées pour la circulation des véhicules sont communicables, outre les destinataires mentionnés aux articles L330-2 à L330-4 du code de la route, à des tiers préalablement agréés par l'autorité administrative afin d'être réutilisées dans les conditions prévues aux articles L321-1 à L327-1 du code des relations entre le public et l'administration, notamment, à des fins statistiques, ou à des fins de recherche scientifique ou historique, sans qu'il soit nécessaire de recueillir l'accord préalable des personnes concernées mais sous réserve que les études réalisées ne fassent apparaître aucune donnée à caractère personnel. Ces données peuvent également être réutilisées à des fins d'enquêtes et de prospections commerciales, sauf opposition des personnes concernées selon les modalités prévues à l'article 21 du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/ CE de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.
L'article R330-7 du code de la route prévoit que les personnes souhaitant bénéficier des dispositions de l'article L330-5 demandent au ministre de l'Intérieur la délivrance d'une licence dans les conditions prévues aux articles L323-1 et L323-2 du code des relations entre le public et l'administration. La licence vaut agrément au sens de l'article L330-5. La licence est dite statistique si elle est demandée à des fins statistiques ou à des fins de recherche scientifique ou historique et elle est dite commerciale si elle est demandée à des fins d'enquêtes et de prospections commerciales.
Enfin, un arrêté du 11 avril 2011 identifie les informations réutilisables, qui sont exprimées en lignes de données, une ligne de données correspondant aux informations relatives à un dossier d'immatriculation donné et chaque ligne de donnée étant divisée en six blocs de données. Cet arrêté fixe également le montant de la redevance due en contrepartie de la mise à disposition des informations issues du SIV. Le montant de la redevance est déterminé, notamment, en fonction de la finalité de la licence, telle que définie par l'article R330-7 du code de la route.
La commission relève, par ailleurs, qu'en application des dispositions du 9° de l'article L342-2 du code des relations entre le public et l'administration, elle est compétente pour connaître des questions relatives, notamment, aux articles L330-2 à L330-5 du code de la route.
Au cas d'espèce, la commission relève que par décision en date du 19 juillet 2016, la Commission européenne a sanctionné plusieurs constructeurs de poids lourds pour avoir participé à une entente anticoncurrentielle sur le marché européen de la vente de poids lourds entre les années 1997 et 2011. A la suite de cette procédure, les entreprises qui ont saisi la CADA, représentées par Maître X, acheteurs et/ou loueurs des véhicules en cause, ont initié des actions en justice contre les constructeurs de poids lourds devant les juridictions compétentes en vue d’obtenir l'indemnisation de leur préjudice. Pour apporter la preuve de l’existence et de l’étendue de leur préjudice, ces entreprises doivent identifier les véhicules dont ils ont été les propriétaires ou locataires pendant la période d’infraction et établir par le biais d’expertises statistiques et économétriques un scénario dit « contrefactuel » qui vise à reconstruire l’état du marché, et en particulier le niveau des prix tel qu’il aurait dû être en l’absence d’infraction. A cette fin, outre leur droit individuel d’accès au fichier SIV prévu à l’article L330-2 du code de la route en vue d’identifier les véhicules présents dans ce fichier pour lesquels ils apparaissent comme titulaires ou locataires, les entreprises ont souhaité se voir octroyer une licence, en application de l’article L330-5 du code de la route, afin d’obtenir les blocs de données présentes dans le fichier SIV, sur la base des données des numéros d’immatriculation et des numéros d’identification qu'elles ont identifiées dans leurs systèmes d’information.
La commission estime qu'eu égard à la finalité de la licence telle qu'elle vient d'être exposée, qui vise à mener une étude économétrique du marché des poids lourds entre les années 1997 et 2011 afin de reconstituer une image globale de ce qu’il aurait été en l’absence d’entente anticoncurrentielle et de parfaire l'évaluation de leur préjudice, les entreprises demanderesses doivent être regardées comme souhaitant l'obtention d'une licence non pas, ainsi que le leur a opposé le ministre de l'Intérieur, à des fins d'enquêtes et de prospections commerciales mais à des fins statistiques.
Dans ces conditions, sous réserve que les autres conditions relatives à la réutilisation des données en cause prévues par les dispositions précitées du code de la route et du code des relations entre le public et l'administration soient remplies, la commission émet un avis favorable à l'octroi aux entreprises demanderesses d'une licence dite statistique.