Avis 20215653 Séance du 25/11/2021
Communication, dans un format numérique ouvert et réutilisable, par téléchargement ou attachée à un courrier électronique, d'une copie des documents suivants :
1) la liste des dossiers sensibles instruits depuis 2015 pour le compte de la commission interministérielle des biens à double usage (CIBDU) ;
2) l'ensemble des documents (courriers, comptes rendus, délibérations, études d'impact) produits par le SGDSN pour définir la position de la France dans le cadre de l'Arrangement de Wassenaar.
Monsieur X, pour X, a saisi la commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 9 septembre 2021, à la suite du refus opposé par le secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale à sa demande de communication, dans un format numérique ouvert et réutilisable, par téléchargement ou attachée à un courrier électronique, d'une copie des documents suivants :
1) la liste des dossiers sensibles instruits depuis 2015 pour le compte de la commission interministérielle des biens à double usage (CIBDU) ;
2) l'ensemble des documents (courriers, comptes rendus, délibérations, études d'impact) produits par le SGDSN pour définir la position de la France dans le cadre de l'Arrangement de Wassenaar.
1. En ce qui concerne le point 1) de la demande :
En réponse à la demande qui lui a été adressée, le secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) a précisé que ses services ne reçoivent aucun mandat de la commission interministérielle des biens à double usage pour instruire les « dossiers les plus sensibles » en matière d’exportation des biens à double usage. La commission déduit de ces éléments que la demande, telle qu’elle est rédigée, porte sur un document inexistant.
Elle comprend toutefois des éléments d’information portés à sa connaissance que certains dossiers de demandes de licence d’exportation des biens à double usage ou de demandes « hors licence » sont instruits par le SGDSN compte tenu de leur sensibilité particulière. La commission estime que la demande doit être analysée comme tendant à la communication de la liste de ces dossiers.
1.1. Présentation du cadre juridique des biens à double usage :
La commission rappelle, à titre liminaire, que les biens à double usage sont des biens et équipements susceptibles d’avoir une utilisation tant civile que militaire ou pouvant, en tout ou partie, contribuer au développement, à la production, au maniement, au fonctionnement, à l'entretien, au stockage, à la détection, à l'identification, à la dissémination d'armes de destruction massive.
Elle souligne que le Règlement CE n° 428/2009 du Conseil du 5 mai 2009 a institué un régime communautaire de contrôle des exportations, des transferts, du courtage et du transit de biens à double usage. Ce règlement a été abrogé et remplacé par le Règlement (UE) 2021/821 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2021 instituant un régime de l’Union de contrôle des exportations, du courtage, de l’assistance technique, du transit et des transferts en ce qui concerne les biens à double usage. Ces règlements fixent notamment la liste des biens à double usage et soumettent leur exportation à un régime d’autorisation. Ce contrôle est une exception à la libre circulation des biens, à la liberté d’établissement et à la libre concurrence, qui vise à prévenir le risque d’une utilisation militaire des biens à double usage par des Etats ou des groupes soumis à sanctions internationales ou encore d’une utilisation à des fins de prolifération.
En France, en application de l’article 1er du décret n° 2001-1192 du 13 décembre 2001 relatif au contrôle à l'exportation, à l'importation et au transfert de biens et technologies à double usage, ces autorisations, qui prennent dans la majorité des cas la forme de licences individuelles, sont délivrées par le service des biens à double usage, service à compétence nationale rattaché au chef du service de l'industrie de la direction générale des entreprises.
Ce service, régi par les dispositions du décret n° 2020-74 du 31 janvier 2020, statue sur les dossiers les plus sensibles après avis conforme de la commission interministérielle des biens à double usage, créée par le décret n° 2010-294 du 18 mars 2010. L’article 2 de ce décret, qui précise les attributions de cette commission, prévoit par ailleurs, en son point I bis que « Lorsqu'elle est consultée en application des articles 2 et 3 du décret n° 2011-978 du 16 août 2011 relatif aux exportations et aux importations de certains biens susceptibles d'être utilisés en vue d'infliger la peine capitale, la torture ou d'autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, la commission interministérielle des biens à double usage recueille l'avis du ministre des affaires étrangères, du ministre de la défense et du ministre de l'intérieur. Lorsque sa consultation porte sur les autorisations mentionnées au 2 de l'article 3, au 2 de l'article 4 et au 2 de l'article 5 du règlement (UE) n° 2019/125 du Parlement européen et du Conseil du 16 janvier 2019 concernant le commerce de certains biens susceptibles d'être utilisés en vue d'infliger la peine capitale, la torture ou d'autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, la commission recueille en outre l'avis du ministre chargé de la culture ».
La saisine de la commission interministérielle des biens à double usage intervient à l’initiative du chef du service des biens à double usage ou de l’un de ses membres, au nombre desquels figure un représentant du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale.
La commission précise, enfin, que conformément aux principes posés à l’article 15 du Règlement UE 2021/821 du 20 mai 2021, l’instruction des demandes de licence d’exportation des biens à double usage a pour but de déterminer si le projet d’exportation peut être réalisé en prenant en considération les objectifs du cadre réglementaire du contrôle des biens à double usage, les engagements internationaux et la politique extérieure de la France, ainsi que les caractéristiques économiques et industrielles du projet.
Cet examen s’attache, d’une part, à déterminer si l’opération d’exportation envisagée nécessite une autorisation d’exportation « biens à double usage » et si la demande d’autorisation examinée est cohérente avec l’opération envisagée. Elle tend, d’autre part, à apprécier le niveau de sensibilité de l’exportation en fonction des caractéristiques techniques du produit, le niveau de sensibilité du pays de destination du projet d’exportation étudié et, enfin, le niveau de sensibilité de l’exportation en fonction de l’identité et des activités du destinataire et de l’utilisateur final.
1.2. Communicabilité des documents demandés :
En premier lieu, le SGDSN a maintenu son refus en faisant valoir que la communication des documents afférents à l’instruction des dossiers soumis à son examen est susceptible de porter atteinte au secret des affaires. La commission en prend note mais relève que le demandeur se borne à solliciter la liste de ces dossiers.
Elle rappelle que le secret des affaires, protégé par l’article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration, comprend le secret des stratégies industrielles et commerciales, le secret des procédés et le secret des informations économiques et financières. Ce secret est apprécié en tenant compte du caractère concurrentiel, ou potentiellement concurrentiel de l’activité exercée.
En l’espèce, compte tenu de la spécificité du marché des biens à double usage, des défis délicats que doivent relever les acteurs présents sur ce marché, lesquels sont d’ailleurs peu nombreux, et de la valeur commerciale et stratégique de ces biens, la commission estime que la communication de la liste des dossiers de demande d’exportation qui ont été instruits par le SGDSN, en tant qu’elle dévoilerait notamment l’identité des entreprises exportatrices et des clients destinataires et la nature et les caractéristiques des biens concernés, aurait pour conséquence de révéler la spécialité et l’avancement technologique de ces entreprises et, partant, leur stratégie commerciale. Elle considère que cette liste est protégée par le secret des affaires et n’est, par suite, pas communicable en application de l’article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration.
En second lieu, la commission rappelle qu’aux termes de l’article L311-5 du code des relations entre le public et l’administration : « Ne sont pas communicables : (…) 2° Les autres documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait atteinte : a) Au secret des délibérations du Gouvernement et des autorités responsables relevant du pouvoir exécutif ; b) Au secret de la défense nationale ; c) A la conduite de la politique extérieure de la France ; d) A la sûreté de l'Etat, à la sécurité publique, à la sécurité des personnes ou à la sécurité des systèmes d'information des administrations ; (…) ».
En l’espèce, la commission comprend que la plupart des documents afférents aux dossiers de de demandes d’exportation des biens à double usage instruits par le SBDU après avis de la commission interministérielle des biens à double usage sont couverts par le secret de la défense nationale. Elle déduit par ailleurs des observations portées à sa connaissance que ces documents sont, selon les cas, susceptibles de porter atteinte au secret des délibérations du Gouvernement, pour les dossiers qui impliquent l’arbitrage d’un cabinet ministériel, au secret de la politique extérieure de la France en ce que leur divulgation révèle, selon l’issue donnée au dossier, une appréciation des autorités françaises sur les Etats destinataires et permet de subodorer la nature des relations diplomatiques entre les autorités françaises et ces différents Etats, et enfin, à la sûreté de l'Etat, à la sécurité publique ou à la sécurité des personnes, dans la mesure où leur communication révélerait indirectement des informations sensibles sur l’activité des exportateurs et de leurs partenaires commerciaux ainsi que, dans certains cas, sur le pays de destination.
Compte tenu de la spécificité des biens à double usage et de la finalité du contrôle de leur exportation évoquée ci-dessus, la commission estime que la divulgation des éléments d’information figurant sur la liste des dossiers instruits par le SGDSN, qui permettrait notamment d’identifier les entreprises exportatrices et importatrices, qui préciserait la nature du bien concerné et qui révélerait quelles suites ont été données à leur demande, est susceptible de porter atteinte aux secrets protégés par les a) b), c) d) du 2° de l’article L311-5 du code des relations entre le public et l’administration. Elle émet, dès lors, un avis défavorable à la demande en son point 1).
2. En ce qui concerne le point 2) de la demande :
La commission rappelle que ne sont pas communicables, en application des dispositions du c) du 2° de l'article L311-5 du code des relations entre le public et l'administration, les documents dont la consultation ou la communication porterait atteinte à la conduite de la politique extérieure de la France. Elle considère que relèvent de ce secret les correspondances échangées avec un autre Etat (avis n° 19971796 du 29 mai 1996 et n° 20040964 du 4 mars 2004 ; n° 20160280 du 03 mars 2016), les documents retraçant les négociations diplomatiques (avis n° 20072905 du 26 juillet 2007) ainsi que les documents portant une appréciation sur les autorités étrangères et la conduite de leur politique ou révélant une prise de position des autorités françaises dans le cadre de relations diplomatiques (avis n° 20170055 du 6 avril 2017).
La commission relève que l’arrangement de Wassenaar est un arrangement multilatéral global pour le contrôle des exportations d’armements conventionnels et de biens et technologies à double usage servant à leur fabrication, adopté le 12 juillet 1996, regroupant quarante-deux Etats, dont les Etats membres de l’Union Européenne. Elle estime que les documents produits par le SGDSN pour définir la position de la France dans le cadre de cet arrangement, mentionnés au point 2) de la demande, eu égard à leur objet et au contexte dans lequel ils ont été élaborés, relèvent du secret de la conduite de la politique extérieure de la France. Ces documents ne sont donc pas communicables sur le fondement du code des relations entre le public et l'administration. Elle émet en conséquence un avis défavorable sur ce point.