Conseil 20111008 Séance du 03/03/2011

- demande de conseil relative à la demande de communication et de réutilisation présentée par une société privée, éditrice du site www.cimetieres-de-france.fr, du nom des personnes inhumées dans les cimetières de Nantes, et aux conditions dans lesquelles cette société devrait souscrire une licence pour réutiliser ces informations.
La commission d'accès aux documents administratifs a examiné dans sa séance du 3 mars 2011 votre demande de conseil relative à la communication et de réutilisation présentée par une société privée, éditrice du site www.cimetieres-de-france.fr, du nom des personnes inhumées dans les cimetières de Nantes, et aux conditions dans lesquelles cette société devrait souscrire une licence pour réutiliser ces informations. La commission note, à titre liminaire, qu’elle n’a pas reçu communication, malgré sa demande, de la copie du courrier de la société privée à l ‘origine de la demande de conseil. Elle relève que le site www.cimetieres-de-france.fr met en ligne une base de données des personnes inhumées comportant leur identité, leur date ou leur année de naissance et de dècès, le cimetière d’inhumation et la localisation de leur tombe. En l’absence de précisions complémentaires, elle se place dans l’hypothèse où cette société demande la communication de documents comportant ces informations en vue de leur inscription sur son site. I. Sur le droit d’accès et les modalités de communication 1.1. Sur le droit d’accès La commission rappelle que les informations nominatives relatives aux personnes décédées sont, quel que soit le document qui les contient (actes de concession, registre des concessions, registre des inhumations...), protégées par le secret de la vie privée et, dès lors, ne sont pas communicables aux tiers, en application du II de l’article 6 de la loi du 17 juillet 1978. Seules les personnes « intéressées » au sens de la loi, c’est-à-dire les proches et les ayants droit, sont susceptibles d’obtenir communication de ces mentions. La commission rappelle, toutefois, que le 3° du I de l’article L. 213-2 du code du patrimoine dispose que « les archives publiques sont communicables de plein droit à l'expiration d'un délai de (…) cinquante ans à compter de la date du document ou du document le plus récent inclus dans le dossier, pour les documents dont la communication porte atteinte (...) à la protection de la vie privée ». Elle estime, en conséquence, que seuls ceux des documents sollicités qui ont plus de cinquante ans et sont donc devenus librement accessibles en vertu de ces dispositions sont communicables à la société éditrice du site www.cimetieres-de-france.fr. 1.2. Sur les modalités de communication La commission rappelle qu'en vertu de l'article L. 213-1 du code du patrimoine, les archives publiques sont communicables selon les modalités prévues à l'article 4 de la loi du 17 juillet 1978. En vertu de ces dispositions, l'accès aux documents administratifs s'exerce, au choix du demandeur et dans la limite des possibilités techniques de l'administration, soit par consultation gratuite sur place, soit par courrier électronique et sans frais lorsque le document est disponible sous forme électronique, soit, sous réserve que la reproduction ne nuise pas à la conservation du document, par la délivrance d'une copie sur un support identique à celui utilisé par l'administration ou compatible avec celui-ci et aux frais du demandeur, sans que ces frais puissent excéder le coût de cette reproduction et de l’envoi du document. Il résulte de ces dispositions que l’administration ne peut en aucun cas refuser de communiquer par voie informatique les documents dont elle dispose déjà sous format numérique. En revanche, l’administration n’est jamais tenue de numériser elle-même les documents pour satisfaire une demande. Lorsque le demandeur souhaite numériser les documents à l’occasion d’une consultation sur place, la commission estime que l'administration n'est légalement tenue d’y faire droit que lorsque d'autres modalités de communication, telle que la reprographie, ne sont pas praticables eu égard, en particulier, à la nature, à la taille ou à la fragilité des documents, et sous réserve que ce mode d’accès reste compatible avec le bon fonctionnement de ses services. A ce titre, il appartient à l’administration, saisie d’une telle demande, d’apprécier au cas par cas, compte tenu notamment de sa capacité d’accueil, des moyens de surveillance dont elle dispose, des autres demandes dont elle est saisie et des conditions dans lesquelles l’opération de numérisation serait réalisée, les perturbations qui pourraient en résulter et par conséquent la suite qu’il convient de lui donner. En revanche, la loi du 17 juillet 1978 n’oblige pas l’administration à accepter que des archives publiques soient déplacées à l’extérieur des locaux dans lesquels elles sont conservées afin qu’il soit procédé à leur numérisation. Il est toutefois loisible à l’administration de convenir de modalités de communication plus favorables, sous réserve que ces dernières ne nuisent pas à la conservation des documents et du respect des principes d’égalité et de libre concurrence. Elle peut notamment, sous réserve que des garanties appropriées soient apportées et que la durée pendant laquelle les documents sont indisponibles soit raisonnable, consentir à ce que ces derniers soient numérisés à l’extérieur de ses locaux, en contrepartie du droit de conserver les images qui en résultent. Ce procédé permet d’éviter une succession de numérisations qui pourrait endommager les documents. II. Sur la réutilisation 2.1. Sur la compétence de la commission La commission rappelle, à titre liminaire, qu’en vertu de l’article 20 de la loi du 17 juillet 1978, elle est compétente pour se prononcer sur la légalité d’une décision défavorable opposée par l’administration en matière de réutilisation d'informations publiques. La commission estime par ailleurs qu’il lui appartient d’apprécier la légalité des décisions défavorables en matière de réutilisation d’informations publiques au regard de l’ensemble des dispositions législatives et réglementaires applicables, sur lesquelles l’administration est susceptible de se fonder pour refuser la réutilisation envisagée, notamment, s’agissant de données à caractère personnel, de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés. Ainsi, si une disposition de cette dernière loi faisait obstacle à la réutilisation projetée, la commission ne pourrait qu’émettre un avis défavorable. Elle précise toutefois que sa position ne saurait préjuger de celle que la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) sera amenée à prendre sur une demande d’autorisation de mise en œuvre d’un traitement de données à caractère personnel, notamment au titre des articles 25, 36 et 69 de la loi du 6 janvier 1978. 2.2. Sur les notions d’information publique et de réutilisation La commission relève que l’ensemble des informations qui pourraient être réutilisées par la société demanderesse figure dans des archives devenues librement communicables en vertu de l’article L. 213-2 du code du patrimoine. Elles n’ont pas été produites ou reçues dans le cadre d’un service public à caractère industriel et commercial. Elles ne sont pas grevées de droits d’auteur de tiers. Elles constituent par conséquent des informations publiques au sens de l’article 10 de la même loi. La commission souligne ensuite que la réutilisation est définie par le même article 10 comme l’utilisation d’informations à d’autres fins que celles de la mission de service public pour les besoins de laquelle les documents qui les contiennent ont été produits ou reçus. Tel est le cas de la mise en ligne d’index nominatifs de recherche sur les personnes inhumées contenant des fichiers d’archives publiques, ainsi que l’envisage la société éditrice du site www.cimetieres-de-france.fr. En revanche, la simple détention de ces informations ne saurait, à elle seule, constituer une réutilisation au sens de cet article. Si celle-ci peut, le cas échéant, constituer un traitement de données à caractère personnel dès lors que l’article 2 de la loi du 6 janvier 1978 y inclut notamment « la collecte, l’enregistrement, l’organisation et la conservation » de telles données, la commission n’est pas compétente pour apprécier la licéité de tels traitements, en-dehors de toute réutilisation. 2.3. Sur le droit de réutilisation et ses modalités d’exercice La commission relève, à titre liminaire, que la demande de conseil dont elle est saisie ne lui permet pas de déterminer si les informations publiques dont la réutilisation est envisagée sont détenues ou non par un service d’archives. Dans l’hypothèse où les informations seraient détenues par un service d’archives, la commission rappelle que si la directive 2003/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 17 novembre 2003 concernant la réutilisation des informations du secteur public, a laissé « à l’appréciation des Etats membres la décision d’autoriser ou non la réutilisation des documents » et a expressément exclu de son champ d’application les services d’archives, le législateur français a entendu, d’une part, par l’article 10 de la loi du 17 juillet 1978, consacrer le principe de la liberté de réutilisation de toutes les informations publiques, y compris celles figurant dans des documents d’archives publiques, et d’autre part, par l’article 11, confier aux services culturels, notamment aux services d’archives, le soin d’encadrer l’exercice de cette liberté. Aux termes de cet article 11 : « Par dérogation au présent chapitre, les conditions dans lesquelles les informations peuvent être réutilisées sont fixées, le cas échéant, par les administrations mentionnées aux a et b du présent article lorsqu'elles figurent dans des documents produits ou reçus par : a) Des établissements et institutions d'enseignement et de recherche ; b) Des établissements, organismes ou services culturels. ». Il résulte de ces dispositions, d’une part, que les articles 12 à 18 ne s’appliquent pas à la réutilisation des informations publiques détenues par les services d’archives, et d’autre part, qu’il appartient à ces derniers de définir leurs propres règles de réutilisation, lesquelles pourront, le cas échéant, s’inspirer des principes posés par le chapitre II de la loi du 17 juillet 1978. Il s’ensuit que services d’archives ne disposent pas d’un pouvoir discrétionnaire leur permettant d’apprécier l’opportunité de faire droit ou non à une demande de réutilisation. Toutefois une interdiction de réutilisation peut être légalement fondée : - si elle repose sur une disposition législative ou réglementaire en vigueur ; - ou si elle est justifiée par des motifs d’intérêt général suffisants et qu’elle est proportionnée à la sensibilité des données en cause ainsi qu’à la nature de l’usage envisagé. Les services d’archives sont compétents pour encadrer la réutilisation. Comme il a été dit ci-dessus, ils peuvent à cette fin s’inspirer ou reprendre les règles prévues par le chapitre II du titre Ier de la loi du 17 juillet 1978 et les dispositions législatives et réglementaires en vigueur, notamment la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, en ce qui concerne les données à caractère personnel. Dans ce cadre, l’administration devra veiller à respecter les principes généraux du droit, en particulier, le principe d’égalité devant le service public, et les règles dégagées par le juge, notamment en matière de fixation des redevances de réutilisation. Ces règles peuvent être formalisées dans un règlement élaboré par l’administration ou figurer dans une licence que les intéressés devront souscrire pour réutiliser les informations publiques qui leur sont transmises et qui pourra donner lieu au paiement d’une redevance, calculée conformément aux dispositions de l’article 15 de la loi du 17 juillet 1978. L’administration ne saurait toutefois s’opposer à la réutilisation d’informations publiques au seul motif qu’elle n’aurait pas encore établi de règlement ou de licence pour encadrer l’usage que le demandeur entend faire de ces données, ainsi que la commission l’a déjà indiqué dans son conseil n° 20094298. En l’absence de licence type ou de règlement portant sur ces documents, l’administration peut interdire, au cas par cas, la réutilisation en se fondant sur des dispositions législatives ou réglementaires en vigueur ou sur des motifs d’intérêt général qu’il lui appartient de préciser dans sa décision individuelle. La commission tient toutefois à attirer l’attention de l’administration sur les inconvénients qui s’attachent à l’absence de définition au préalable des règles de réutilisation. Cette situation, par l’imprévisibilité qu’elle entretient, est préjudiciable aux réutilisateurs, qui peuvent de surcroît douter du respect, dans ces conditions, du principe d’égalité de traitement. En outre, elle est source d’insécurité juridique au regard du principe de légalité de délit et des peines, selon lequel aucune sanction ne peut être infligée à un contrevenant en l'absence de texte ayant préalablement défini, avec une précision suffisante, l'infraction et la peine encourue. La commission recommande par conséquent à l’administration d’édicter un règlement ou, à défaut, une directive fixant les orientations au regard desquelles chaque demande de réutilisation sera appréciée. La commission précise, à toutes fins utiles, que la circonstance que des archives publiques aient été communiquées et réutilisées avant que l’administration n’élabore une licence ou un règlement instaurant une redevance, ne fait pas obstacle au paiement de celle-ci en contrepartie de la réutilisation qui en sera faite à compter de la conclusion de la licence ou de l’édiction du règlement, le principe de non-rétroactivité interdisant seulement à l’administration d’exiger le versement d’une redevance au titre d’une réutilisation effectuée antérieurement. Dans l’hypothèse où les informations réutilisables ne seraient pas détenues par un service d’archives au sens de l’article 11 cité ci-dessus, la commission estime que leur réutilisation serait soumise au respect de l’ensemble des prescriptions du chapitre II de la loi du 17 juillet 1978. Ces dispositions prévoient que la réutilisation des informations publiques en cause est de droit. Elles autorisent toutefois l’administration à soumettre le réutilisateur au paiement d’une redevance, dans les conditions posées à l’article 15 de la loi. Pour l'établissement des redevances, l'administration tient notamment compte des coûts de mise à disposition des informations, y compris, le cas échéant, du coût d'un traitement permettant de les rendre anonymes. Lorsqu'elle est soumise au paiement d'une redevance, la réutilisation d'informations publiques donne obligatoirement lieu à la délivrance d'une licence, en vertu de l’article 16 de la loi. En revanche, la circonstance qu'une administration n'a pas préalablement élaboré la licence type prévue par le législateur, ni fixé à l'avance le montant de la redevance susceptible d'être exigée des personnes intéressées par la réutilisation de ces informations, ne peut être invoquée par l'administration comme faisant obstacle à l'exercice du droit à réutilisation dans les conditions précisées plus haut. 2.4. Sur le respect de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 La commission rappelle que le second alinéa de l’article 13 de la loi du 17 juillet 1978 dispose que : « La réutilisation d'informations publiques comportant des données à caractère personnel est subordonnée au respect des dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés. » La loi du 6 janvier 1978 « s’applique aux traitements automatisés de données à caractère personnel, ainsi qu’aux traitements non automatisés de données à caractère personnel contenues ou appelées à figurer dans des fichiers, à l’exception des traitements mis en œuvre pour l’exercice d’activités exclusivement personnelles. ». Constitue une donnée à caractère personnel, au sens de l’article 2 de cette loi, « toute information relative à une personne physique identifiée ou qui peut être identifiée, directement ou indirectement, par référence à un numéro d’identification ou à un ou plusieurs éléments qui lui sont propres. ». La commission a considéré que les informations relatives à des personnes décédées ne constituent pas, en principe, des données à caractère personnel. Par conséquence, à l’exception de l’article 56 qui vise le cas particulier des traitements de données à caractère personnel ayant pour fin la recherche dans le domaine de la santé, la loi du 6 janvier 1978 n’est pas, en principe, applicable aux informations relatives aux personnes décédées et les ayants droit ne peuvent intervenir que pour demander la rectification du traitement de données conformément aux dispositions de l’article 40 (voir conseil CADA n° 20103525 du 16 septembre 2010). Il en va toutefois différemment lorsqu’un fichier comporte des informations relatives à une personne décédée alors que la divulgation de ces informations est susceptible de nuire aux héritiers de cette personne. Dans cette hypothèse, la CNIL a en effet estimé que ces informations constituent des données à caractère personnel (voir la délibération de la CNIL n° 2010-460 du 9 décembre 2010). Elles ne pourront donc être réutilisées que si le demandeur se soumet préalablement auprès de la CNIL aux formalités prévues par les articles 22 et suivants de la loi du 6 janvier 1978. En tout état de cause, sont exclues de la réutilisation les données sur des personnes décédées lorsqu’elles font apparaître, directement ou indirectement, les origines raciales ou ethniques, les opinions politiques, philosophiques ou religieuses ou l'appartenance syndicale des personnes, ou qui sont relatives à la santé ou à la vie sexuelle de celles-ci (article 8 de la loi) hormis les cas où la réutilisation a pour fin la recherche médicale ou l’intérêt public, lorsqu’elles sont relatives aux infractions, condamnations et mesures de sûreté au sens de l’article 9 de la loi ou lorsqu’elles portent sur certaines mentions marginales des actes de l’état civil (notamment la reconnaissance d'un enfant naturel, l'adoption ou la révocation d'adoption, la francisation des nom et/ou prénom après acquisition de la nationalité française, le changement de sexe, la mention « mort en déportation »). En l’espèce, la commission estime que des données relatives à l’état civil et au lieu d’inhumation de personnes décédées ne peuvent en principe être considérées comme des données à caractère personnel pouvant porter préjudice aux ayants droit, sous réserve de cas très particuliers dans lesquels la révélation du lieu d’inhumation pourrait par elle-même révéler un comportement de la personne décédée ou de sa famille dont la divulgation pourrait nuire à ses héritiers vivants. La société éditrice du site www.cimetieres-de-france.fr devra toutefois prévoir de faire droit aux demandes d’actualisation des données présentées par ces ayants droit, en application de l’article 40 de la loi du 6 janvier 1978. La commission précise que la CNIL recommande également aux responsables de traitements de données relatives à des personnes décédées de prévoir une information générale sur cette faculté ouverte aux ayants droit et de faire droit aux demandes justifiées de suppression qui leur seraient présentées. Elle estime, de ce fait, qu’il serait opportun de demander à la société éditrice du site www.cimetieres-de-france.fr d’y faire figurer une telle information. 2.5 Sur l’application du premier alinéa de l’article 13 de la loi du 17 juillet 1978 La commission rappelle que l’article 13 de la loi du 17 juillet 1978 dispose que : « Les informations publiques comportant des données à caractère personnel peuvent faire l'objet d'une réutilisation soit lorsque la personne intéressée y a consenti, soit si l'autorité détentrice est en mesure de les rendre anonymes ou, à défaut d'anonymisation, si une disposition législative ou réglementaire le permet. » Dans la mesure où la commission estime que les données dont la réutilisation est envisagée en l’espèce ne constituent en principe pas des données à caractère personnel, elle estime que l’anonymisation ne s’impose en tout état de cause pas.