Avis 20234910 Séance du 07/09/2023
Monsieur X a saisi la Commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 10 août 2023, à la suite du refus opposé par le maire de Savigny-sur-Orge à sa demande de communication d'une copie dématérialisée des « fiches main courante » du service de la police municipale numéros X et X, faisant apparaître :
1) le nom des agents rédacteurs ;
2) le nom des agents intervenants.
A titre liminaire, la commission rappelle qu'à la différence des plaintes et des procès-verbaux constatant des infractions, qui sont des documents de nature judiciaire ne relevant pas de sa compétence, les extraits du registre de main courante tenu par les agents de police judiciaire adjoints, notamment les agents de la police municipale, constituent en principe des documents administratifs, hormis le cas où ils ont été transmis au procureur de la République en vue de l’engagement d’une procédure judiciaire. Sous cette réserve, ces extraits sont communicables, en application des articles L311-5 et L311-6 du code des relations entre le public et l'administration, après occultation, le cas échéant, des mentions dont la communication présenterait un risque pour la sécurité publique ou la sécurité des personnes, porterait atteinte au secret de la vie privée d'un tiers, contiendrait une appréciation ou un jugement de valeur sur un tiers nommément désigné ou facilement identifiable, ou ferait apparaître le comportement de ce tiers, et notamment l'auteur de la main courante, alors que cette divulgation pourrait lui porter préjudice. Cette dernière réserve fait notamment obstacle à la communication d'un extrait de main courante à une personne mise en cause dès lors que la personne qui l’a déposée est identifiable.
En l'espèce, la commission constate que le maire de Savigny-sur-Orge a communiqué à Monsieur X les fiches numéros X et X après occultation de l’adresse à laquelle les services de police municipale sont intervenus et également des noms des rédacteurs et intervenants. Le demandeur conteste à cet égard l’occultation des noms des agents.
Comme elle l'a fait dans son avis du 17 juin 2021 n°20213182, la commission souligne, d'une part, que le législateur a généralisé la levée de l’anonymat des agents des autorités administratives en prévoyant au premier alinéa de l’article 4 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, désormais codifié à l'article L111-2 du code des relations entre le public et l'administration, que « toute personne a le droit de connaître le prénom, le nom, la qualité et l'adresse administratives de l'agent chargé d'instruire sa demande ou de traiter l'affaire qui la concerne ».
Elle rappelle, en outre, qu’elle considère, traditionnellement qu’une liste des agents d'une collectivité publique qui ne fait apparaître que les noms, prénoms, services et fonctions de ces agents constitue un document administratif en principe communicable à toute personne qui en fait la demande en application de l'article L311-1 du code des relations entre le public et l’administration (avis n° 20203340 du 29 octobre 2020).
Elle précise, d’autre part, que les dispositions du d) du 2° de l’article L311-5 de ce code font toutefois obstacle à cette communication, lorsque des éléments de fait précis et circonstanciés, tenant par exemple au contexte de la demande ou à la personnalité du demandeur, laissent légitimement craindre à l’administration requise que la divulgation de l’identité des agents, en raison de la nature des missions et responsabilités qu'ils exercent, pourrait conduire à des représailles ciblées sur ces derniers et, ce faisant, conduire à porter atteinte à la sécurité publique et des personnes.
La commission relève que dans sa décision du 15 décembre 2017, n° 405845, le Conseil d’État a jugé que les dispositions du d) du 2° de l’article L311-5 de ce code faisaient obstacle à la communication de la liste des noms, prénoms, fonctions et numéros de matricules des agents, officiers, gendarmes et/ou policiers affectés au centre automatisé de constatation des infractions routières (CACIR) au motif qu’une telle divulgation était susceptible, eu égard à la qualité de fonctionnaires de police et de militaires de la gendarmerie des intéressés, de porter atteinte à la sécurité publique ou à la sécurité des personnes. De la même façon, la commission a émis un avis défavorable à la communication de la liste des agents d’un commissariat de police localisé, compte tenu des risques de représailles auxquels les agents en cause peuvent être personnellement exposés en raison de la nature de leurs missions et des responsabilités qu’ils exercent (avis n° 20203340 du 29 octobre 2020).
La commission constate que cette incommunicabilité, fondée sur la seule qualité de fonctionnaires de police et militaires de la gendarmerie nationales, déroge à la règle selon laquelle le risque d’atteinte à la sécurité des personnes ne se présume pas mais doit être établi, compte tenu des circonstances propres à chaque cas d'espèce. Cette exception au droit d’accès aux documents administratifs doit, dès lors, être interprétée strictement. Ainsi, si les policiers municipaux sont potentiellement exposés à un risque particulier de représailles, parce qu’ils sont identifiés comme agents des forces de l’ordre, leur situation, par la nature de leurs missions et les responsabilités qu’ils exercent, n’est pour autant pas assimilable à celle des fonctionnaires de la police et des militaires de la gendarmerie nationales. Ce n’est donc qu’au cas par cas que la communication d’une liste de fonctionnaires de la police municipale doit être refusée.
En l'espèce, le maire de Savigny-sur-Orge a informé la commission avoir procédé à l’occultation du nom des agents concernés pour ne pas les exposer aux sollicitations et critiques du demandeur. La commission en prend note mais considère toutefois qu’il n’est ce faisant pas fait état d’éléments laissant à penser que la divulgation au demandeur de l’identité des agents pourrait conduire à porter atteinte à la sécurité de ces derniers, risque qui n’apparaît pas établi au regard du seul contenu des documents sollicités et des conséquences susceptibles de s'attacher à leur divulgation.
En l’état des informations dont elle dispose, la commission émet dès lors un avis favorable à la communication au demandeur des deux fiches de main courante sans occultation du nom des agents.
A toutes fins utiles, la commission rappelle que la publication sur un blog des éléments adressés en réponse aux demandes de communication de documents administratifs librement communicables formulées par son intermédiaire, qu’il s’agisse des documents sollicités eux-mêmes, des courriers de réponse des autorités saisies ou des avis de la CADA, constitue une utilisation à d’autres fins que la mission de service public pour laquelle les documents sollicités ont été élaborés et doit donc être regardée comme une réutilisation d'informations publiques au sens de l’article L321-1 du code des relations entre le public et l'administration, quand bien même il ne serait porté aucune modification sur les informations publiques telles que transmises par l'administration. Elle rappelle, qu'une information publique doit, au sens des dispositions précitées, répondre à trois conditions cumulatives : figurer dans un document produit ou reçu dans le cadre d’une mission de service public ; être librement accessible à toute personne ; ne pas être grevée de droits de propriété intellectuelle. La commission en déduit que la référence au « document » figurant à l’article L321-1 du code précité s’entend nécessairement sous réserve des règles régissant la communicabilité partielle de documents, mentionnées à l’article L311-7 de ce code.
La commission relève que la consultation, la communication par transmission, la diffusion ou toute autre forme de mise à disposition portant sur des données à caractère personnel constituent un traitement de données au sens de l'article 2 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés (« loi CNIL ») et de l’article 4 du RGPD. Par suite, une administration répondant à une demande d’accès à un document administratif contenant des données de cette nature doit ainsi être regardée comme un responsable de traitement. Elle est toutefois dispensée de requérir, avant toute communication ou publication, le consentement préalable des personnes concernées, en principe exigé par l'article 5 de la loi CNIL et l'article 6 du RGPD, dès lors qu'il s'agit, pour elle, de respecter l'obligation légale de procéder à la communication de documents administratifs découlant des dispositions du code des relations entre le public et l’administration.
La commission relève, d’autre part, que le responsable d'un blog, en tant que réutilisateur d’informations publiques incluant des données à caractère personnel, doit également être regardé comme un responsable de traitement de données à caractère personnel. La commission entend donc rappeler les obligations qui lui incombent.
Elle précise, en effet, que le responsable de traitement doit, aux termes de l'article L322-1 du code des relations entre le public et l’administration, veiller à ce que les informations publiques réutilisées ne soient pas altérées, que leur sens ne soit pas dénaturé et que leurs sources et la date de leur dernière mise à jour soient mentionnées.
En outre, la réutilisation d'informations publiques comportant, comme en l’espèce, des données à caractère personnel est subordonnée au respect des dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés (art. L322-2) et du règlement (UE) 2016/679 du Parlement et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (RGPD).
A ce titre, le responsable du traitement doit être en mesure de démontrer que le projet respecte les principes relatifs au traitement des données à caractère personnel définis à l'article 4 de la loi du 6 janvier 1978 et à l'article 5 du RGPD (traitement loyal et transparent, qui poursuit une finalité déterminée explicite et légitime avec des données adéquates, pertinentes et limitées à la réalisation de la finalité, pour une durée limitée et dans des conditions sécurisées) et que le projet est licite, c'est-à-dire qu'il répond à une des conditions posées par le 1. de l'article 6 du RGPD : la personne concernée a consenti au traitement de ses données à caractère personnel pour une ou plusieurs finalités spécifiques ; le traitement est nécessaire à l'exécution d'un contrat auquel la personne concernée est partie ou à l'exécution de mesures précontractuelles prises à la demande de celle-ci ; le traitement est nécessaire au respect d'une obligation légale à laquelle le responsable du traitement est soumis ; le traitement est nécessaire à la sauvegarde des intérêts vitaux de la personne concernée ou d'une autre personne physique ; le traitement est nécessaire à l'exécution d'une mission d'intérêt public ou relevant de l'exercice de l'autorité publique dont est investi le responsable du traitement ; le traitement est nécessaire aux fins des intérêts légitimes poursuivis par le responsable du traitement ou par un tiers, à moins que ne prévalent les intérêts ou les libertés et droits fondamentaux de la personne concernée qui exigent une protection des données à caractère personnel, notamment lorsque la personne concernée est un enfant.
La commission relève que les articles 13 et 14 du RGPD définissent les obligations d'information à la charge d'un responsable de traitement lorsqu'il collecte des données personnelles, selon que cette collecte a été effectuée ou non auprès de la personne concernée. Le chapitre II du titre II du RGPD porte, quant à lui, sur les droits de la personne concernée, qui disposent en particulier d’un droit d’opposition à la diffusion de données à caractère personnel les concernant, qu’ils peuvent faire valoir, s’ils le jugent utile.
La commission insiste sur la nécessité de prendre l’ensemble des mesures appropriées pour protéger les droits et libertés ainsi que les intérêts légitimes des personnes concernées et rappelle que la CNIL attache une attention particulière au respect de ces principes. La commission rappelle, en outre, que toute réutilisation contraire expose le réutilisateur aux sanctions civiles, administratives et, dans certains cas, pénales attachées à de telles pratiques.