Avis 20234256 Séance du 07/09/2023
Monsieur X a saisi la Commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 10 juillet 2023, à la suite du refus opposé par le directeur général des patrimoines et de l'architecture à ses demandes de consultation, par dérogation aux délais fixés par l'article L213-2 du code du patrimoine, des dossiers suivants conservés aux Archives nationales sous les cotes suivantes :
1) Dossiers produits et reçus par la présidence de la République sous la mandature de François Mitterrand (1981-1995) :
- Dossier d'Élisabeth Guigou, conseiller-technique pour l'économie internationale et le commerce extérieur en septembre 1982, pour les affaires européennes et les sommets en 1985, chargée de mission auprès du président en juin 1988 avec les mêmes attributions jusqu'en octobre 1990
AG/5(4)/EG/162 (extrait) Dossier 2. Préparation et bilan du sommet franco-italien de Venise des 17 et 18 novembre 1982.
Sous-dossier « Affaires militaires ; armements ».
- Dossiers de François de Grossouvre, chargé de mission auprès du président de la République (juin 1981-juin 1985)
AG/5(4)/FDG/20 Relations avec Jean-Louis Bianco, secrétaire général de la présidence de la République : notes, correspondance, comptes rendus, télégrammes diplomatiques, coupures de presse. 1983-1985
AG/5(4)/FDG/25 Terrorisme, lutte anti-terroriste et situation : notes mss. et dact. [notamment du commandant Prouteau et de François de Grossouvre], rapports [notamment de la DGSE], télégramme, lettre de revendication d'enlèvement de X par les brigades révolutionnaires françaises. 1981-1985
2) Dossiers produits par la sous-direction des étrangers et de la circulation transfrontière (ministère de l'intérieur)
- 19980547/13, dossier Italie
Dans le sous-dossier « Rapports de la PAF » :
- Note de la PAF des Hautes-Alpes (1983)
- Notes de la PAF des Alpes-Maritimes (1983)
[les autres pièces du dossier sont librement communicables]
- 19980547/14, dossier Italie
Les sous-dossiers :
- Notes d'information (1968-1984)
- Italiens - Affaires diverses (1972-1983)
[les autres pièces du dossier sont librement communicables].
1. Rappel du cadre juridique :
La commission, qui a pris connaissance des observations du directeur général des patrimoines et de l'architecture, rappelle que, par principe, les documents d'archives sont communicables de plein droit, en vertu de l'article L213-1 du code du patrimoine.
Néanmoins, par dérogation, certaines catégories de documents, en raison des informations qu'ils contiennent, ne sont pas immédiatement communicables et ne le deviennent qu’aux termes des délais et dans les conditions, fixés par l'article L213-2 du même code.
La commission précise, par ailleurs, qu'en vertu de l'article L213-3 du code du patrimoine, une autorisation de consultation, par anticipation aux délais prévus par l'article L213-2 précité, peut cependant être accordée par l’administration des archives aux personnes, physiques ou morales, qui en font la demande dans la mesure où l'intérêt qui s'attache à la consultation des documents ne conduit pas à porter une atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger. Cette autorisation requiert l’accord préalable de l'autorité dont émanent les documents, l’administration des archives étant tenue par l’avis donné.
La commission rappelle que pour apprécier l'opportunité d'une communication anticipée, elle s'efforce, au cas par cas, de mettre en balance les avantages et les inconvénients d'une communication anticipée, en tenant compte d'une part de l'objet de la demande et, d'autre part, de l'ampleur de l'atteinte aux intérêts protégés par la loi.
Conformément à sa doctrine traditionnelle (avis de partie II, n° 20050939, du 31 mars 2005), cet examen la conduit à analyser le contenu du document (son ancienneté, la date à laquelle il deviendra librement communicable, la sensibilité des informations qu'il contient au regard des secrets justifiant les délais de communication) et à apprécier les motivations, la qualité du demandeur (intérêt scientifique s'attachant à ses travaux mais aussi intérêt administratif ou familial) et sa capacité à respecter la confidentialité des informations dont il souhaite prendre connaissance.
Depuis l'avis de partie II, n° 20215602, du 4 novembre 2021, la commission tient compte dans sa grille d’analyse de la décision d’Assemblée n°s 422327 et 431026, du 12 juin 2020, par laquelle le Conseil d’État a précisé qu’afin de déterminer s'il y a lieu ou non de faire droit à une demande de consultation anticipée, il convient de mettre en balance d'une part, l'intérêt légitime du demandeur apprécié au regard du droit de demander compte à tout agent public de son administration posé par l'article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 et de la liberté de recevoir et de communiquer des informations protégée par l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et, d'autre part, les intérêts que la loi a entendu protéger. L’intérêt légitime du demandeur doit être apprécié au vu de la démarche qu’il entreprend et du but qu’il poursuit en sollicitant la consultation anticipée d’archives publiques, de la nature des documents en cause et des informations qu’ils comportent. Les risques qui doivent être mis en balance sont ceux d’une atteinte excessive aux intérêts protégés par la loi. La pesée de l’un et des autres s’effectue en tenant compte notamment de l’effet, eu égard à la nature des documents en cause, de l’écoulement du temps et, le cas échéant, de la circonstance que ces documents ont déjà fait l’objet d’une autorisation de consultation anticipée ou ont été rendus publics.
2. Application au cas d’espèce :
2.1. S'agissant des dossiers produits et reçus par la présidence de la République sous la mandature de François Mitterrand :
En réponse à la demande qui lui a été adressée, le directeur général des patrimoines et de l'architecture a indiqué à la commission que son refus était justifié sur ce point par le fait que le directeur général de cabinet du président de la République, dont l'avis est requis par l'article L213-3 du code du patrimoine, lui a notifié son opposition à la consultation de ces dossiers. Il estime en effet que cette consultation serait de nature à porter une atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger, en l’occurrence le secret de la défense nationale, les intérêts fondamentaux de l’État dans la conduite de la politique extérieure et le secret de la vie privée des personnes nommément désignées dans ces dossiers. Tenu par les dispositions de ce même article L213-3, le directeur général des patrimoines et de l'architecture ne pouvait qu'opposer un refus à la demande.
En l'espèce, la commission relève, en premier lieu, que Monsieur X, doctorant au centre d'histoire de Sciences Po, souhaite consulter ces documents dans le cadre d'une thèse en histoire politique contemporaine portant sur les relations franco-italiennes dans le cadre de l'accueil en France des fugitifs italiens des années de plomb (1969 - 1988). Elle estime que ce dernier justifie d'un intérêt légitime à la consultation des éléments sollicités, à l’exception des cotes AG/5(4)/EG/162 (sous-dossier 2) et AG/(4)/FDG/20 identifiés par les archives nationales comme étant sans lien avec le sujet de recherche de Monsieur X.
Toutefois, la commission constate que les dossiers en cause sont protégés par un délai de cinquante ans, de sorte que leur échéance de libre communicabilité est encore lointaine. La commission estime par ailleurs que ces dossiers contiennent des informations qui peuvent légitimement être estimées toujours très sensibles malgré l'écoulement du temps. Elle relève en outre que l'accès aux documents classifiés au titre de la protection du secret de la défense nationale est en outre subordonné à une décision formelle de déclassification de l’autorité émettrice. Elle constate, enfin, que le directeur général des patrimoines et de l’architecture lui a indiqué qu’après analyse du contenu des dossiers demandés, il estimait également que, malgré l’écoulement du temps, la consultation de ces dossiers serait de nature à porter une atteinte excessive aux intérêts protégés par la loi.
Aux termes de la mise en balance des intérêts en présence, la commission considère ainsi qu’en dépit de l’intérêt légitime de Monsieur X, la consultation, par anticipation aux délais légaux de libre communicabilité, des documents demandés point 1), est de nature à porter une atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger.
Elle émet dès lors un avis défavorable sur ce point.
2.2. S'agissant des dossiers produits par la sous-direction des étrangers et de la circulation transfrontière (ministère de l'intérieur) :
En réponse à la demande qui lui a été adressée, le directeur général des patrimoines et de l'architecture a informé la commission que son refus était motivé sur ce point par le fait que le ministre de l'intérieur, dont l'avis est requis par l'article L213-3 du code du patrimoine, lui avait fait part de son opposition à la consultation des documents sollicités, considérant qu’elle porterait une atteinte excessive à la vie privée des personnes nommément désignées dans ces dossiers.
La commission comprend qu'en application des délais prévus par le code du patrimoine, les dossiers dont la consultation est sollicitée, qui comportent des informations couvertes par le secret de la vie privée, ne sont pas encore librement communicables.
Elle constate toutefois d'une part, que Monsieur X inscrit sa démarche dans le cadre de travaux de recherche universitaire et, d’autre part, que les documents demandés sont en lien direct avec ses travaux. La commission note également que ce dernier s'est engagé à ne pas divulguer les informations non librement communicables auxquelles il aurait accès. Elle note enfin que le directeur général des patrimoines et de l’architecture lui a pour sa part indiqué qu’il estimait que la communication de ces documents ne porterait pas une atteinte excessive aux intérêts protégés par la loi.
Dans ces conditions, la commission estime, aux termes de la mise en balance des intérêts en présence, que l’intérêt légitime de Monsieur X est de nature à justifier la consultation anticipée des fonds d’archives demandés au point 2) de la demande, sans qu’il soit porté une atteinte excessive aux intérêts protégés par la loi.
Elle émet par conséquent un avis favorable à la demande sur ce point.