Avis 20233120 Séance du 22/06/2023
Madame X a saisi la Commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 23 mai 2023, à la suite du refus opposé par le directeur général des patrimoines à sa demande de consultation par dérogation, de l'article « bureau des étrangers relevant des régimes spéciaux (direction des libertés publiques et des affaires juridiques), 19890576/5, liasse 1, dossier coopérative Longo-Mai (coopérative Longo-Mai de Limans, mouvement anarchiste IA) », qu'elle souhaite étudier à titre d'exemple dans le cadre de ses recherches pour sa thèse de doctorat à l'université de la Sarre (Allemagne) sur les communautés rurales en France et en Allemagne de l'ouest de 1968 à 1985.
La commission rappelle à titre liminaire que, par principe, les documents d'archives sont communicables de plein droit, en vertu de l'article L213-1 du code du patrimoine. Néanmoins, par dérogation, certaines catégories de documents, en raison des informations qu'ils contiennent, ne sont pas immédiatement communicables et ne le deviennent qu’aux termes des délais et dans les conditions fixés par l'article L213-2 du même code. A cet égard, les documents dont la communication porterait atteinte au secret de la vie privée deviennent communicables à l’expiration d’un délai de cinquante ans à compter de la date du document ou du document le plus récent inclus dans le dossier. Pour ce qui concerne les documents relatifs aux affaires portées devant les juridictions, ce délai est fixé à soixante-quinze ans, délai qui peut être ramené à vingt-cinq ans à compter du décès de l’intéressé.
La commission précise, par ailleurs, qu'en vertu de l'article L213-3 du code du patrimoine, une autorisation de consultation, par anticipation aux délais prévus par l'article L213-2 précité, peut cependant être accordée par l’administration des archives aux personnes qui en font la demande dans la mesure où l'intérêt qui s'attache à la consultation des documents ne conduit pas à porter une atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger. Cette autorisation requiert l’accord préalable de l'autorité dont émanent les documents, l’administration des archives étant tenue par l’avis donné, dans le cas où il serait défavorable.
La commission rappelle que pour apprécier l'opportunité d'une communication anticipée, elle s'efforce, au cas par cas, de mettre en balance les avantages et les inconvénients d'une communication anticipée, en tenant compte d'une part de l'objet de la demande et, d'autre part, de l'ampleur de l'atteinte aux intérêts protégés par la loi.
Conformément à sa doctrine traditionnelle (avis de partie II n° 20050939 du 31 mars 2005), cet examen la conduit à analyser le contenu du document (son ancienneté, la date à laquelle il deviendra librement communicable, la sensibilité des informations qu'il contient au regard des secrets justifiant les délais de communication) et à apprécier les motivations, la qualité du demandeur (intérêt scientifique s'attachant à ses travaux mais aussi intérêt administratif ou familial) et sa capacité à respecter la confidentialité des informations dont il souhaite prendre connaissance.
Dans un avis de partie II n°20215602 du 4 novembre 2021, la commission a estimé opportun de compléter sa grille d’analyse afin de tenir compte de la décision d’Assemblée n°s 422327 et 431026, du 12 juin 2020, par laquelle le Conseil d’État a précisé qu’afin de déterminer s'il y a lieu ou non de faire droit à une demande de consultation anticipée, il convient de mettre en balance d'une part, l'intérêt légitime du demandeur apprécié au regard du droit de demander compte à tout agent public de son administration posé par l'article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 et de la liberté de recevoir et de communiquer des informations protégée par l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et, d'autre part, les intérêts que la loi a entendu protéger. L’intérêt légitime du demandeur doit être apprécié au vu de la démarche qu’il entreprend et du but qu’il poursuit en sollicitant la consultation anticipée d’archives publiques, de la nature des documents en cause et des informations qu’ils comportent. Les risques qui doivent être mis en balance sont ceux d’une atteinte excessive aux intérêts protégés par la loi. La pesée de l’un et des autres s’effectue en tenant compte notamment de l’effet, eu égard à la nature des documents en cause, de l’écoulement du temps et, le cas échéant, de la circonstance que ces documents ont déjà fait l’objet d’une autorisation de consultation anticipée ou ont été rendus publics.
En l’espèce, le directeur général des patrimoines et de l’architecture a indiqué à la commission que son refus était motivé par le fait que le ministère de l’Intérieur, dont l’avis est requis en vertu de l’article L213-3 du code du patrimoine, lui avait fait part de son opposition à la consultation des documents par Madame X, considérant qu’elle porterait une atteinte excessive à la vie privée des personnes.
La commission relève qu'en application des délais prévus par le code du patrimoine, le dossier dont la communication est sollicitée, qui comporte des documents couverts par le secret de la vie privée et relatifs à des affaires portées devant les juridictions, n’est pas encore librement communicable.
La commission constate toutefois, d'une part, que Madame X inscrit sa démarche dans le cadre de travaux de recherche universitaire et, d’autre part, que les documents demandés sont en lien direct avec ses travaux. La commission note également que cette dernière s'est engagée à ne pas divulguer les informations non librement communicables auxquelles elle aurait accès et à garantir l'anonymat des personnes mentionnées dans les documents. Elle note enfin que le directeur général des patrimoines et de l’architecture lui a pour sa part indiqué qu’il estimait que la communication de ce document ne porterait pas une atteinte excessive aux intérêts protégés par la loi.
Dans ces conditions, la commission estime, aux termes de la mise en balance des intérêts en présence, que l’intérêt légitime de Madame X est en l’espèce de nature à justifier la consultation anticipée des fonds d’archives demandés, sans qu’il soit porté une atteinte excessive aux intérêts protégés par la loi.
Elle émet par conséquent un avis favorable à la demande de Madame X.