Conseil 20232966 Séance du 22/06/2023
La Commission d'accès aux documents administratifs a examiné lors de sa séance du 22 juin 2023 votre demande de conseil relative au caractère communicable à l'ex-mari d'une agente territoriale de ses bulletins de salaires, sachant que le couple est en procédure de divorce, et à la qualification abusive de sa demande, eu égard son comportement vis à vis des services de ressources humaines de l'administration.
La commission rappelle, en premier lieu, que ni la qualité du demandeur, ni ses motivations ou ses intentions présumées ne peuvent constituer en soi un motif de refus légitime de communiquer des documents librement accessibles (avis n° 20071123 du 22 mars 2007 et n° 20064816 du 9 novembre 2006).
La commission rappelle, en deuxième lieu, que la vie privée des fonctionnaires et agents publics doit bénéficier de la même protection que celle des autres citoyens. Elle admet toutefois que les fonctions et le statut de ces personnels justifient que certaines informations les concernant puissent être communiquées. Il en est ainsi, notamment, des arrêtés de nomination, de la qualité d'agent public, de l'adresse administrative et, s'agissant de la rémunération, des composantes fixes de celle-ci : grade et échelon, indice de traitement, nouvelle bonification indiciaire (NBI), indemnités de sujétion. La commission estime cependant que, si les administrés doivent pouvoir accéder à certains renseignements concernant la qualité de leur interlocuteur, la protection, par l’article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration, de la vie privée impose que ces aménagements soient limités à ce qui est strictement nécessaire à leur information légitime.
Ainsi, s'agissant des éléments de rémunération, la commission est défavorable à la communication des informations liées, soit à la situation familiale et personnelle (supplément familial), soit à l'appréciation ou au jugement de valeur porté sur la manière de servir de l'agent (primes pour travaux supplémentaires, primes de rendement), ou encore de celles relatives aux horaires de travail, aux indemnités et heures supplémentaires. Il en va de même, pour le cas où la rémunération comporterait une part variable, du montant total des primes versées ou du montant total de la rémunération, dès lors que ces données, combinées avec les composantes fixes, communicables, de cette rémunération, permettraient de déduire le sens de l'appréciation ou du jugement de valeur porté sur l'agent.
La commission précise en outre qu'elle a fait évoluer sa position, ancienne (conseils 20101148 du 29 mars 2010 et 20104024 du 14 octobre 2010), en ce qui concerne le temps de travail des agents publics et fonctionnaires et considère désormais qu'en tant qu'il se rapporte à l’exercice des fonctions publiques de l’agent, le temps de travail réglementaire, c’est-à-dire celui que l’agent doit théoriquement effectuer pour s’acquitter de ses obligations indépendamment des heures effectivement réalisées, de même que la quotité de travail, ne relèvent pas par eux-mêmes de la vie privée des agents concernés. Il en est de même du point de savoir si l’agent occupe un emploi à temps complet ou incomplet et la quotité correspondante, qui constituent des caractéristiques objectives du poste, et de la situation de temps partiel, alors même qu’elle procèderait d’un choix de la part de l’agent, dès lors que cette seule information ne révèle par elle-même aucune information mettant en cause la protection de la vie privée due à l’agent eu égard à la diversité des motifs autorisant cette situation. Seuls les horaires de travail des agents publics et le motif invoqué par l’agent à l’appui d'une demande de temps partiel demeurent ainsi protégés par la protection de sa vie privée.
La commission souligne également que le Conseil d’État (CE 24 avril 2013 n° 343024 et CE 26 mai 2014 n° 342339) a précisé que lorsque la rémunération qui figure dans le contrat de travail ou le bulletin de salaire d'un agent public résulte de l'application des règles régissant l'emploi concerné, sa communication à un tiers n'est pas susceptible de révéler sur la personne recrutée une appréciation ou un jugement de valeur, au sens des dispositions de l'article L311-6 du code des relations entre le public et les administrations, mais qu'en revanche, lorsqu'elle est arrêtée d'un commun accord entre les parties sans référence à des règles la déterminant, la rémunération révèle nécessairement une telle appréciation ou un tel jugement de valeur. Dans ce cas, le contrat de travail peut être communiqué après occultation des éléments relatifs à la rémunération, tandis que la communication du bulletin de salaire, qui serait privée de toute portée sans la rémunération, ne peut être opérée.
Enfin, s'agissant des mentions supplémentaires présentes sur le bulletin de paye des agents publics depuis l'entrée en vigueur du prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu, la commission considère que la mention du taux d'imposition doit faire l'objet d'une occultation en application du 1° de l'article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration. Il en va de même pour les mentions, qui ne sont que la conséquence arithmétique de l'application de ce taux, du montant qui aurait été versé au salarié en l'absence de retenue à la source, du montant de l'impôt prélevé et du montant net à payer.
En application de ces principes, la commission estime que les fiches de paie de l’agente territoriale que vous employez sont communicables à toute personne qui en fait la demande, y compris à son mari et en dépit de la procédure de divorce en cours, selon les modalités précitées, sous réserve de l'occultation préalable des mentions relevant du secret de la vie privée.
En troisième et dernier lieu, vous vous interrogez par ailleurs sur le caractère abusif de cette demande. La commission rappelle toutefois qu'il ne lui appartient pas de se prononcer sur le caractère abusif d'une demande présentée par une personne dans le cadre d'une demande de conseil dont l'instruction, par nature, n'est pas contradictoire. Elle se déclare dès lors incompétente.
Elle vous rappelle cependant, à toutes fins utiles, que l'exercice du droit d’accès aux documents administratifs, garanti par l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, a valeur constitutionnelle (décision du Conseil constitutionnel n° 2020-834, du 3 avril 2020). Le droit à la communication des documents administratifs s’exerce dans les conditions fixées aux articles L300-2 et L311-1 et suivants du code des relations entre le public et l’administration.
Les autorités saisies sont ainsi tenues de communiquer les documents administratifs qu'elles détiennent aux personnes qui en font la demande, sous réserve des secrets protégés par la loi.
Le droit d’accès doit cependant rester compatible avec le bon fonctionnement des services et cède devant les demandes abusives.
La commission souligne que le caractère abusif doit être apprécié pour chaque demande, compte tenu d’éléments circonstanciés. Toute demande portant sur une quantité importante de documents ou le fait pour une même personne d’adresser soit plusieurs demandes à une même autorité soit des demandes multiples formulées à l’identique à plusieurs autorités, ne sont pas nécessairement assimilables à des demandes abusives.
Une demande ne peut, en effet, être regardée comme abusive que lorsqu'elle a pour objet de perturber le bon fonctionnement de l’administration sollicitée ou lorsqu'elle aurait pour effet de faire peser sur elle une charge disproportionnée au regard des moyens dont elle dispose (CE, n° 420055, 422500, Ministre de la culture c/ Société pour la protection des paysages et l’esthétique de la France, 14 novembre 2018).
La commission précise que dans un avis de partie II, n° 20184753, du 27 juin 2019, une demande a par exemple été regardée comme visant délibérément à perturber le fonctionnement de l’administration et, par suite, qualifiée d’abusive, eu égard aux demandes répétées du demandeur et à la mise en cause répétée par ce dernier de l’authenticité des documents déjà obtenus et de la probité des agents de l’autorité saisie (voir aussi s’agissant d’une demande employant un langage injurieux ou insultant : avis n° 20144323, du 22 janvier 2015 ou plus récemment, avis n° 20230416, du 9 mars 2023).
Elle rappelle que c’est un faisceau d’indices qui permet de qualifier une demande d’abusive. Elle estime que tel peut être le cas des demandes récurrentes, portant sur un volume important de documents traitant, le cas échéant, de la même affaire, des demandes que le service sollicité est manifestement dans l'incapacité matérielle de traiter, ou encore des demandes portant sur des documents auxquels le demandeur a déjà eu accès. La commission fonde également son appréciation sur les éléments portés à sa connaissance par le demandeur et l'administration quant au contexte dans lequel s'inscrit la demande et aux motivations qui la sous-tendent.
La commission relève que cette qualification demeure, toutefois, exceptionnelle.