Avis 20232609 Séance du 01/06/2023

Madame X a saisi la Commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 28 avril 2023, à la suite du refus opposé par le directeur général des patrimoines et de l'architecture à sa demande de copie, par dérogation aux délais fixés par l'article L213-2 du code du patrimoine, du document suivant conservé au greffe du tribunal judiciaire de Marseille : Tribunal d'instance de Marseille Dossier de tutelle de X X, décédé le X (RG 18-152). La commission rappelle que, par principe, les documents d'archives sont communicables de plein droit, en vertu de l'article L213-1 du code du patrimoine. Néanmoins, par dérogation, certaines catégories de documents, en raison des informations qu'ils contiennent, ne sont pas immédiatement communicables et ne le deviennent qu’aux termes des délais et dans les conditions, fixés par l'article L213-2 du même code. La commission précise ensuite qu’en application du c) du 4° de l’article L213-2 du code du patrimoine, les documents relatifs aux affaires portées devant les juridictions deviennent librement communicables à l'issue d'un délai de 75 ans après la date du document le plus récent inclus dans le dossier ou 25 ans après le décès de l'intéressé si ce dernier délai est plus court. En outre, le 3° du même article prévoit que les documents dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée deviennent librement communicables à l’issue d’un délai de 50 ans à compter de la date du document ou du document le plus récent inclus dans le dossier. Monsieur X X étant décédé en 2020, le dossier de tutelle le concernant ne deviendra librement communicable en intégralité qu'en 2071. La commission précise, par ailleurs, qu'en vertu de l'article L213-3 du code du patrimoine, une autorisation de consultation, par anticipation aux délais prévus par l'article L213-2 précité, peut cependant être accordée par l’administration des archives aux personnes, physiques ou morales, qui en font la demande dans la mesure où l'intérêt qui s'attache à la consultation des documents ne conduit pas à porter une atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger. Cette autorisation requiert l’accord préalable de l'autorité dont émanent les documents, l’administration des archives étant tenue par l’avis donné. La commission rappelle que pour apprécier l'opportunité d'une communication anticipée, elle s'efforce, au cas par cas, de mettre en balance les avantages et les inconvénients d'une communication anticipée, en tenant compte d'une part de l'objet de la demande et, d'autre part, de l'ampleur de l'atteinte aux intérêts protégés par la loi. Conformément à sa doctrine traditionnelle (avis de partie II, n° 20050939, du 31 mars 2005), cet examen la conduit à analyser le contenu du document (son ancienneté, la date à laquelle il deviendra librement communicable, la sensibilité des informations qu'il contient au regard des secrets justifiant les délais de communication) et à apprécier les motivations, la qualité du demandeur (intérêt scientifique s'attachant à ses travaux mais aussi intérêt administratif ou familial) et sa capacité à respecter la confidentialité des informations dont il souhaite prendre connaissance. Dans un avis de partie II, n° 20215602, du 4 novembre 2021, la commission a estimé opportun de compléter sa grille d’analyse afin de tenir compte de la décision d’Assemblée n°s 422327 et 431026, du 12 juin 2020, par laquelle le Conseil d’État a précisé qu’afin de déterminer s'il y a lieu ou non de faire droit à une demande de consultation anticipée, il convient de mettre en balance d'une part, l'intérêt légitime du demandeur apprécié au regard du droit de demander compte à tout agent public de son administration posé par l'article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 et de la liberté de recevoir et de communiquer des informations protégée par l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et, d'autre part, les intérêts que la loi a entendu protéger. L’intérêt légitime du demandeur doit être apprécié au vu de la démarche qu’il entreprend et du but qu’il poursuit en sollicitant la consultation anticipée d’archives publiques, de la nature des documents en cause et des informations qu’ils comportent. Les risques qui doivent être mis en balance sont ceux d’une atteinte excessive aux intérêts protégés par la loi. La pesée de l’un et des autres s’effectue en tenant compte notamment de l’effet, eu égard à la nature des documents en cause, de l’écoulement du temps et, le cas échéant, de la circonstance que ces documents ont déjà fait l’objet d’une autorisation de consultation anticipée ou ont été rendus publics. En réponse à la demande qui lui a été adressée, le directeur général des patrimoines et de l'architecture a indiqué en l'espèce à la commission que son refus était justifié par le fait que le tribunal judiciaire de Marseille, dont l'avis est requis par l'article L213-3 du code du patrimoine, lui a notifié son opposition à ce que cette autorisation soit accordée à Madame X, en raison de la faible implication de cette dernière dans la procédure de tutelle du vivant de son mari. De ce fait, la communication de ce dossier serait susceptible de porter une atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger. Le directeur général des patrimoines et de l'architecture, tenu par les dispositions de ce même article L213-3 déjà cité, ne pouvait donc qu'opposer un refus à la demande. La commission relève toutefois que l'article 1222 du code de procédure civile prévoit que, jusqu’au prononcé de la décision d’ouverture ou d‘habilitation ou lorsqu'une modification de la mesure de protection, une révision ou un renouvellement de l'habilitation est sollicité, le dossier du majeur protégé peut être consulté sur autorisation de la juridiction saisie, jusqu’à ce qu’il soit statué sur la demande, par une des personnes énumérées aux articles 430 et 494-1 du code civil si elle justifie d'un intérêt légitime, parmi lesquelles le conjoint de la personne protégée. Ce dossier de majeur protégé est en revanche uniquement accessible, pendant la durée de la période de protection, par le majeur à protéger ou protégé, le cas échéant, par son avocat ainsi que par la ou les personnes chargées de la protection, selon les dispositions de l'article 1222-1 du code de procédure civile. La commission comprend de ces dispositions que Madame X aurait pu avoir accès au contenu du dossier à certains moments de la procédure, même si cette autorisation de consultation n'aurait pas été systématique. En outre, la commission prend note de la qualité du demandeur en tant qu'épouse du majeur protégé, ainsi que de l'intérêt familial et personnel qui s'attache à sa demande. La commission n'a pas connaissance de l'intérêt de tiers qui pourrait s'opposer à la demande de Madame X et dont la protection pourrait l'emporter sur les intérêts de cette dernière. Elle relève, enfin, que la demanderesse a signé un engagement à ne pas porter atteinte aux intérêts que la loi a entendu protéger. Au terme de la mise en balance des intérêts en présence, la commission estime que la consultation du dossier de tutelle de son époux par Madame X, par anticipation aux délais légaux de libre communicabilité, n’est pas de nature à porter une atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger, sous réserve de la présence d'informations pouvant mettre en cause des tiers. Elle émet donc un avis favorable.