Avis 20232580 Séance du 01/06/2023
Monsieur X, X, a saisi la Commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 2 mai 2023, à la suite du refus opposé par le ministre des armées à sa demande de consultation, par dérogation aux délais fixés par l'article L213-2 du code du patrimoine, dans le cadre d'une recherche professionnelle, des documents concernant des chars français conçus après 1945, conservés par le département des fonds d'archives du service historique de la défense sous les cotes X, X et X.
En premier lieu, la commission rappelle que, par principe, les documents d'archives sont communicables de plein droit, en vertu de l'article L213-1 du code du patrimoine. Néanmoins, par dérogation, certaines catégories de documents, en raison des informations qu'ils contiennent, ne sont pas immédiatement communicables et ne le deviennent qu’aux termes des délais et dans les conditions, fixés par l'article L213-2 du même code.
En vertu du 3° de l’article L213-2 du code du patrimoine, les documents dont la communication porterait atteinte au secret de la défense nationale, et qui ont pour ce motif fait l'objet d'une mesure de classification mentionnée à l'article 413-9 du code pénal sont librement communicables à l’issue d’un délai de 50 ans à compter de la date du document ou du document le plus récent inclus dans le dossier.
En réponse à la demande qui lui a été adressée, le ministre des armées a précisé à la commission que les documents sollicités relèvent toutefois des hypothèses de prolongation de ce délai de cinquante ans, prévues à l’article L213-2 pour les documents dont la communication porte notamment atteinte au secret de la défense nationale et qui « b) Sont relatifs à la conception technique et aux procédures d'emploi des matériels de guerre et matériels assimilés mentionnés au second alinéa de l'article L2335-2 du code de la défense, désignés par un arrêté du ministre de la défense révisé chaque année (…) ». La commission note que leur communication n’est possible qu’à la fin de l’emploi de ces matériels par les forces armées et les formations rattachées mentionnées à l'article L3211-1-1 du même code, que ces documents aient ou non fait l’objet d’une mesure de classification (CE avis n° 402791 du 6 mai 2021). Elle souligne qu’en vertu du III de l’article 25 de la loi n° 2021-998 du 30 juillet 2021, cette prolongation du délai de libre communicabilité n’est pas applicable aux documents n'ayant pas fait l'objet d'une mesure de classification ou ayant fait l'objet d'une mesure formelle de déclassification et pour lesquels le délai de cinquante ans prévu au 3° du I de l'article L213-2 du code du patrimoine, dans sa rédaction antérieure à la présente loi, a expiré avant son entrée en vigueur ni aux fonds ou parties de fonds d'archives publiques ayant fait l'objet, avant son entrée en vigueur, d'une ouverture anticipée conformément au II de l'article L213-3 du code du patrimoine.
Comme elle l’a fait dans son avis de partie I du 16 décembre 2021 n° 20215751, la commission estime que cette communication, par dérogation, à l’expiration d’un terme plus éloigné que le délai de cinquante ans doit faire l’objet d’une interprétation stricte et ne saurait donc viser que les documents pour lesquels le maintien du secret est impérativement requis dans l’intérêt de la défense nationale. Elle note que la révision annuelle de l’arrêté désignant les matériels de guerre et assimilés contribue à une telle démarche.
En l’espèce, il a été précisé à la commission que les documents considérés sont datés entre 1963 et 1973 pour la cote X, entre 1950 et 1962 pour la cote X, et entre 1966 et 1972 pour la cote X et qu’ils contiennent des données techniques relatives à du matériel à usage militaire relevant de bombes, torpilles, obus, roquettes, autres dispositifs et charges explosifs, produits pyrotechniques, système de missiles, matériel relevant des véhicules blindés et armés de combats listés dans l’arrêté du 30 novembre 2022 désignant les matériels de guerre et matériels assimilés mentionnés à l’article L213-2 du code du patrimoine.
La commission constate par suite que les documents sollicités relèvent de l’hypothèse de prolongation du délai de libre communicabilité prévue au b) du 3° de l’article L213-2 du code du patrimoine.
En second lieu, la commission indique que ces dispositions ne font pas obstacle à l’application de celles du I. de l’article L213-3 du code du patrimoine selon lesquelles « L'autorisation de consultation de documents d'archives publiques avant l'expiration des délais fixés au I de l'article L213-2 peut être accordée aux personnes qui en font la demande dans la mesure où l'intérêt qui s'attache à la consultation de ces documents ne conduit pas à porter une atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger. (…) ».
La commission rappelle que pour apprécier l'opportunité d'une communication anticipée, elle s'efforce, au cas par cas, de mettre en balance les avantages et les inconvénients d'une communication anticipée, en tenant compte d'une part de l'objet de la demande et, d'autre part, de l'ampleur de l'atteinte aux intérêts protégés par la loi.
Conformément à sa doctrine traditionnelle (avis de partie II, n° 20050939, du 31 mars 2005), cet examen la conduit à analyser le contenu du document (son ancienneté, la date à laquelle il deviendra librement communicable, la sensibilité des informations qu'il contient au regard des secrets justifiant les délais de communication) et à apprécier les motivations, la qualité du demandeur (intérêt scientifique s'attachant à ses travaux mais aussi intérêt administratif ou familial) et sa capacité à respecter la confidentialité des informations dont il souhaite prendre connaissance.
Dans un avis de partie II, n° 20215602, du 4 novembre 2021, la commission a estimé opportun de compléter sa grille d’analyse afin de tenir compte de la décision d’Assemblée n°s 422327 et 431026, du 12 juin 2020, par laquelle le Conseil d’État a précisé qu’afin de déterminer s'il y a lieu ou non de faire droit à une demande de consultation anticipée, il convient de mettre en balance d'une part, l'intérêt légitime du demandeur apprécié au regard du droit de demander compte à tout agent public de son administration posé par l'article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 et de la liberté de recevoir et de communiquer des informations protégées par l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et, d'autre part, les intérêts que la loi a entendu protéger. L’intérêt légitime du demandeur doit être apprécié au vu de la démarche qu’il entreprend et du but qu’il poursuit en sollicitant la consultation anticipée d’archives publiques, de la nature des documents en cause et des informations qu’ils comportent. Les risques qui doivent être mis en balance sont ceux d’une atteinte excessive aux intérêts protégés par la loi. La pesée de l’un et des autres s’effectue en tenant compte notamment de l’effet, eu égard à la nature des documents en cause, de l’écoulement du temps et, le cas échéant, de la circonstance que ces documents ont déjà fait l’objet d’une autorisation de consultation anticipée ou ont été rendus publics.
En l'espèce, Monsieur X précise qu’il souhaite accéder aux dossiers concernés afin de trouver des informations sur des chars français réalisés après 1945 qui pourraient servir dans le cadre de son activité professionnelle, à savoir la conception de jeux vidéo.
La commission comprend toutefois que ces dossiers contiennent des informations sur des matériels militaires toujours en usage et présentent par suite, malgré l’écoulement du temps, une particulière sensibilité.
Au terme de mise en balance des intérêts en présence, la commission estime que la consultation des dossiers en cause, par anticipation aux délais légaux de libre communicabilité, porterait en l'espèce une atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger.
Elle émet, dès lors, un avis défavorable.