Avis 20231929 Séance du 11/05/2023
Madame X, journaliste pour X, a saisi la Commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 29 mars 2023, à la suite du refus opposé par le directeur général de Pôle emploi à sa demande de copie, dans un format numérique, ouvert et réutilisable, des documents et communications liés aux missions de conseil exercées par des cabinets privés pour le compte de Pôle Emploi entre septembre 2019 et décembre 2022 dans le champ de l'accord-cadre de prestations intellectuelles d'accompagnement stratégique, d'appui aux projets, de prestations de maîtrise d'ouvrage (MOA) et de prestations d'accompagnement au LAB pour la direction générale de Pôle emploi, notamment :
1) les bons de commande associés à l’ensemble des prestations de conseil liées à cet accord-cadre ;
2) les offres des cabinets attributaires ;
3) les livrables produits par les cabinets attributaires ;
4) les pièces relatives à l'évaluation des missions.
En réponse à la demande qui lui a été adressée, le directeur général de Pôle emploi a informé la commission de ce que les bons de commande visés au point 1) de la demande ont été transmis à Madame X, par courriel du 27 avril 2023, dont il joint une copie. La commission ne peut dès lors que déclarer sans objet la demande sur ce point.
Pour le surplus, la commission relève, à titre liminaire, que Pôle emploi est une institution nationale publique dotée de la personnalité morale et de l'autonomie financière qui est chargée, aux termes de l'article L5312-1 du code du travail, de missions de service public. Les documents produits ou reçus dans le cadre de l'exercice de ces missions constituent donc des documents administratifs au sens de l'article L300-2 du code des relations entre le public et l'administration.
En l’espèce, la commission constate que la demande de communication porte sur des documents se rapportant à l'exécution de l'accord-cadre de prestations intellectuelles d'accompagnement stratégique, d'appui aux projets, de prestations de MOA et de prestations d'accompagnement au LAB pour la direction générale de Pôle emploi et en déduit que cet accord-cadre présente un lien suffisamment direct avec la réalisation des missions de service public dévolues à Pôle Emploi. Elle considère que les documents se rapportant à cet accord-cadre revêtent un caractère administratif et relèvent, dès lors, du champ d'application du livre III du code des relations entre le public et l'administration.
La commission rappelle, ensuite et en premier lieu, qu'une fois signés, les marchés publics et les documents qui s’y rapportent sont des documents administratifs soumis au droit d'accès institué par le livre III du code des relations entre le public et l’administration. En conséquence, la communication à un candidat écarté des motifs ayant conduit à ne pas lui attribuer le marché ne permet pas de refuser la communication de ces documents.
Ce droit de communication, dont bénéficient tant les entreprises non retenues que toute autre personne qui en fait la demande, doit toutefois s'exercer dans le respect du secret des affaires, protégé par les dispositions de l’article L311-6 de ce code. Il résulte en effet de la décision du Conseil d’État du 30 mars 2016, « Centre hospitalier de Perpignan » (n° 375529), que, lorsqu’elles sont saisies d’une demande de communication de documents relatifs à un marché public, les autorités mentionnées à l’article L300-2 du même code doivent examiner si les renseignements contenus dans ces documents peuvent, en affectant la concurrence entre les opérateurs économiques, porter atteinte au secret des affaires et faire ainsi obstacle à cette communication.
Le Conseil d’État a en outre précisé qu’au regard des règles de la commande publique, doivent être regardées comme communicables, sous réserve des secrets protégés par la loi, l’ensemble des pièces d’un marché public et que, dans cette mesure, l’acte d’engagement, le prix global de l’offre et les prestations proposées par l’entreprise attributaire, notamment, sont en principe communicables. Sont également communicables les pièces constitutives du dossier de consultation des entreprises (règlement de consultation, cahier des clauses administratives particulières, cahier des clauses techniques particulières…).
En revanche, les éléments qui reflètent la stratégie commerciale d’une entreprise opérant dans un secteur d’activité concurrentiel et dont la divulgation est susceptible de porter atteinte au secret des affaires ne sont, en principe, pas communicables. Il en va ainsi de l’offre de prix détaillée contenue dans le bordereau des prix unitaires, la décomposition du prix global et forfaitaire ou le détail quantitatif estimatif, ainsi que du mémoire technique, qui ne sont, de fait, pas communicables aux tiers. Revenant sur sa doctrine antérieure, la commission a également précisé dans son Conseil n° 20221455 du 21 avril 2022, qu’il en va aussi désormais ainsi des factures, bons de commande, états d’acompte, décomptes et autres pièces établies dans le cadre de l’exécution d’un marché public, qui ne sont communicables qu'après occultation des prix unitaires ou de la décomposition du prix forfaitaire, susceptibles, en soi, de refléter la stratégie commerciale d’une entreprise opérant dans un secteur d’activité déterminé.
En outre, pour l’entreprise attributaire comme pour l’entreprise non retenue, les dispositions de l’article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration doivent entraîner l’occultation des éléments suivants :
- les mentions relatives aux moyens techniques et humains, à la certification de système qualité, aux certifications tierces parties ainsi qu'aux certificats de qualification concernant la prestation demandée, ainsi que toute mention concernant le chiffre d'affaires, les coordonnées bancaires et les références autres que celles qui correspondent à des marchés publics ;
- dans les documents préparatoires à la passation du marché (procès-verbaux, rapports d'analyse des offres) les mentions relatives aux détails techniques et financiers des offres de toutes les entreprises.
En l’espèce, la commission relève des échanges préalables entre la demanderesse et Pôle Emploi que la demande porte sur des documents relatifs à l’exécution d’un accord-cadre à marchés subséquents qui est désormais arrivé à son terme. Il n'y a donc pas lieu de réduire la portée du droit d'accès aux marchés subséquents sur le fondement de l'accord-cadre, par rapport aux contrats ou marchés publics habituels.
En application des principes précédemment rappelés, la commission estime que les documents sollicités au point 2) sont communicables à toute personne qui en fait la demande après occultation des mentions couvertes par le secret des affaires. Si elle relève des observations du directeur général de Pôle emploi que les offres techniques sollicitées font état des moyens techniques et humains mobilisés et des méthodes de travail des attributaires, et que celles financières renvoient à des bordereaux de prix détaillés, relevant donc du secret des affaires, elle constate qu'elle n'est pas en mesure, faute d'avoir pu consulter les documents, de déterminer si les occultations auxquelles il devrait être procédé priveraient, par leur ampleur, les documents de sens et donc la communication d'intérêt, celle-ci devant être alors refusée, conformément à l’article L311-7 du même code.
Elle émet donc, sous la réserve du secret des affaires et sous cette dernière réserve, un avis favorable sur le point 2) de la demande.
En deuxième lieu, la commission estime que les livrables sollicités au point 3) de la demande sont communicables à toute personne qui en fait la demande, en application de l'article L311-1 du code des relations entre le public et l'administration, après occultation des éventuelles mentions protégées au titre des articles L311-5 et 6 du même code, notamment celles relevant du secret des affaires des cabinets attributaires contenues dans ces livrables, comme par exemple celles susceptibles de relever du secret des procédés visé à l'article L311-6, et sous réserve qu'ils aient été remis à leur commanditaire et qu'ils ne revêtent plus un caractère préparatoire.
Elle ajoute qu'aux termes de l’article L311-4 du code des relations entre le public et l’administration : « les documents administratifs sont communiqués sous réserve des droits de propriété littéraire et artistique ». Dans sa décision du 8 novembre 2017 X n° 375704, le Conseil d’État a précisé que la réserve des droits de propriété intellectuelle implique, avant de procéder à la communication du document concerné n’ayant pas déjà fait l’objet d’une divulgation, au sens de l’article L121-2 du code de la propriété intellectuelle, de recueillir l’accord de son auteur.
La commission rappelle néanmoins que, par sa décision du 14 novembre 2018 X (n° 420055, 422500), le Conseil d’État a indiqué qu’il ressort de la combinaison de ces dispositions, que revêt un caractère abusif, la demande qui a pour objet de perturber le bon fonctionnement de l’administration sollicitée ou qui aurait pour effet de faire peser sur elle une charge disproportionnée au regard des moyens dont elle dispose.
Il apparaît en l'espèce à la commission qu'eu égard au nombre des documents visés par le point de la demande - qui ne saurait qu'être très important compte tenu des premières estimations avancées par l'administration -, à leur très grande variété de nature et d’objet, ainsi qu'aux difficultés d'y avoir accès compte tenu de l'organisation déconcentrée de la direction générale de Pôle Emploi pour l'exécution de l'accord-cadre, et compte tenu des recherches qui incomberont nécessairement à l'administration afin d'identifier et sélectionner les documents susceptibles de satisfaire la demande et des efforts nécessaires à l'occultation préalable des mentions dont la communication porterait atteinte aux secrets susmentionnés ainsi qu’à l’obtention préalable, le cas échéant, de l’auteur du livrable, que la demande présentée par Madame X fait peser sur Pôle emploi une charge disproportionnée au regard des moyens dont il dispose et présente, par suite, un caractère abusif. Elle émet donc un avis défavorable sur ce point.
En troisième lieu, la commission relève des éléments portés à sa connaissance par l'administration que l’évaluation de l’exécution des prestations n ’est pas formalisée en tant que telle. Elle en déduit donc que les documents sollicités au point 4) de la demande n'existent pas et ne peut que déclarer sans objet la demande sur ce point.