Avis 20231411 Séance du 20/04/2023
Madame X a saisi la Commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 13 mars 2023, à la suite du refus opposé par le directeur général des patrimoines et de l’architecture à sa demande de consultation et de reproduction, par dérogation, de la feuille d'instruction du dossier de naturalisation de son grand-père Monsieur X, conservé aux Archives nationales, sous la cote suivante :
Sous-direction des naturalisations
X (accord partiel)
X X né le X à Campillo (Espagne) et décédé le X
1980-1981
1. Rappel du cadre juridique :
La commission rappelle à titre liminaire que, par principe, les documents d'archives sont communicables de plein droit, en vertu de l'article L213-1 du code du patrimoine. Néanmoins, par dérogation, certaines catégories de documents, en raison des informations qu'ils contiennent, ne sont pas immédiatement communicables et ne le deviennent qu’aux termes des délais et dans les conditions, fixés par l'article L213-2 du même code. A cet égard, selon le 3° du I de cet article les documents qui comportent des informations dont la communication porte atteinte à la protection de la vie privée ne deviennent librement communicables qu’à l’expiration d’un délai de cinquante ans à compter de la date du document ou du document le plus récent inclus dans le dossier. Le même délai s'applique aux documents qui portent une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable, ou qui font apparaître le comportement d'une personne dans des conditions susceptibles de lui porter préjudice.
La commission précise, par ailleurs, qu'en vertu de l'article L213-3 du code du patrimoine, une autorisation de consultation, par anticipation aux délais prévus par l'article L213-2 précité, peut cependant être accordée par l’administration des archives aux personnes, physiques ou morales, qui en font la demande dans la mesure où l'intérêt qui s'attache à la consultation des documents ne conduit pas à porter une atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger. Cette autorisation requiert l’accord préalable de l'autorité dont émanent les documents, l’administration des archives étant tenue par l’avis donné.
La commission rappelle que pour apprécier l'opportunité d'une communication anticipée, elle s'efforce, au cas par cas, de mettre en balance les avantages et les inconvénients d'une communication anticipée, en tenant compte d'une part de l'objet de la demande et, d'autre part, de l'ampleur de l'atteinte aux intérêts protégés par la loi.
Conformément à sa doctrine traditionnelle (avis de partie II, n° 20050939, du 31 mars 2005), cet examen la conduit à analyser le contenu du document (son ancienneté, la date à laquelle il deviendra librement communicable, la sensibilité des informations qu'il contient au regard des secrets justifiant les délais de communication) et à apprécier les motivations, la qualité du demandeur (intérêt scientifique s'attachant à ses travaux mais aussi intérêt administratif ou familial) et sa capacité à respecter la confidentialité des informations dont il souhaite prendre connaissance.
Dans un avis de partie II, n° 20215602, du 4 novembre 2021, la commission a estimé opportun de compléter sa grille d’analyse afin de tenir compte de la décision d’Assemblée n°s 422327 et 431026, du 12 juin 2020, par laquelle le Conseil d’État a précisé qu’afin de déterminer s'il y a lieu ou non de faire droit à une demande de consultation anticipée, il convient de mettre en balance d'une part, l'intérêt légitime du demandeur apprécié au regard du droit de demander compte à tout agent public de son administration posé par l'article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 et de la liberté de recevoir et de communiquer des informations protégée par l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et, d'autre part, les intérêts que la loi a entendu protéger. L’intérêt légitime du demandeur doit être apprécié au vu de la démarche qu’il entreprend et du but qu’il poursuit en sollicitant la consultation anticipée d’archives publiques, de la nature des documents en cause et des informations qu’ils comportent. Les risques qui doivent être mis en balance sont ceux d’une atteinte excessive aux intérêts protégés par la loi. La pesée de l’un et des autres s’effectue en tenant compte notamment de l’effet, eu égard à la nature des documents en cause, de l’écoulement du temps et, le cas échéant, de la circonstance que ces documents ont déjà fait l’objet d’une autorisation de consultation anticipée ou ont été rendus publics.
La commission précise enfin que les autorisations de consultation par dérogation aux délais légaux de communicabilité n’entraînent pas de droit automatique à la reproduction ou à la transmission des documents. L’administration des archives peut toutefois, sur demande expresse, consentir à d’autres modalités d’accès que la consultation, suivant une procédure identique à l’autorisation de consultation par dérogation définie à l’article L213-3 du code du patrimoine, après accord de l’autorité dont émane les documents.
2. Application au cas d'espèce :
En l'espèce, la commission relève que la demande de consultation par dérogation et de reproduction présentée par Madame X a, en l’espèce, été partiellement rejetée par le directeur général des patrimoines et de l’architecture, en l'absence de l'accord préalable du ministre de l’Intérieur pour l'intégralité du dossier. Cette autorité a en effet émis un avis favorable à la demande, à l’exception, toutefois, de la feuille d’instruction de ce dossier, qui comprend l’analyse faite par des agents nommément identifiés, de la situation du grand-père de la demanderesse. La commission déduit de ces éléments que la demande d’avis conserve son objet, dans cette mesure.
En l’espèce, la commission constate que la direction générale du patrimoine est pour sa part favorable à la demande compte tenu des motivations de Madame X, d'ordre administratif, et de sa qualité, cette dernière étant la petite fille de la personne concernée par le dossier aujourd'hui décédé. La commission relève également que cette dernière a signé un engagement de réserve.
La commission prend également note du fait que les informations relatives à la vie privée de Monsieur X ainsi que les appréciations ou jugements de valeur portés à son encontre sont développés dans les autres documents du dossier dont la consultation et la reproduction ont été accordées.
S’agissant par ailleurs de l’argument tenant à la sécurité des agents signataires de ce document, la commission rappelle que l’atteinte à la sécurité ne se présume pas mais doit être établie. Elle estime, comme l'administration des archives, que le risque d’atteinte n’est, en l’espèce, pas caractérisé s'agissant d'une demande individuelle d'accès dérogatoire présentée sur le fondement du code du patrimoine.
Au terme de la mise en balance des intérêts en présence, la commission estime que la consultation de la feuille d’instruction du dossier de naturalisation de Monsieur X par sa petite-fille, par anticipation aux délais légaux de communicabilité, n’est pas de nature à porter une atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger. Elle émet, dès lors, un avis favorable à la demande.