Avis 20230924 Séance du 20/04/2023
Monsieur X a saisi la Commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 16 février 2023, à la suite du refus opposé par le directeur général des patrimoines et de l'architecture à sa demande de consultation, par dérogation aux délais fixés par l'article L213-2 du code du patrimoine, dans le cadre de la préparation d'une thèse portant sur l'histoire des politiques européennes de lutte contre la pollution atmosphérique, des documents conservés aux Archives nationales sous la cote : Cabinet du Premier ministre ; Dossiers de X, conseiller technique en charge de la recherche, de l'industrie et de l'énergie 19870484/5 ; Dossier relatif à l'environnement, juillet 1984-octobre 1985.
A titre liminaire, la commission rappelle que, par principe, les documents d'archives sont communicables de plein droit, en vertu de l'article L213-1 du code du patrimoine. Néanmoins, par dérogation à cet article, certaines catégories de documents, en raison des informations qu'ils contiennent, ne sont pas immédiatement communicables et ne le deviennent qu’aux termes des délais et dans les conditions, fixés par l'article L213-2 de ce même code.
La commission précise, par ailleurs, qu'en vertu de l'article L213-3 du code du patrimoine, une autorisation de consultation, par anticipation aux délais prévus par l'article L213-2 précité, peut cependant être accordée par l’administration des archives aux personnes, physiques ou morales, qui en font la demande dans la mesure où l'intérêt qui s'attache à la consultation des documents ne conduit pas à porter une atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger. Cette autorisation requiert l’accord préalable de l'autorité dont émanent les documents, l’administration des archives étant tenue par l’avis donné.
En réponse à la demande qui lui a été adressée, le directeur général des patrimoines a informé la commission que la demande de consultation par anticipation présentée par Monsieur X porte sur des documents dont la communication est régie par les dispositions du protocole de remise des archives signé par Monsieur FABIUS en quittant ses fonctions de Premier ministre et que ce dernier a opposé un refus implicite à cette demande.
La commission précise à cet égard, d’une part, qu'aux termes de l'article L213-4 du code du patrimoine, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2008-696 du 15 juillet 2008 : « Le versement des documents d'archives publiques émanant du Président de la République, du Premier ministre et des autres membres du Gouvernement peut être assorti de la signature entre la partie versante et l'administration des archives d'un protocole relatif aux conditions de traitement, de conservation, de valorisation ou de communication du fonds versé, pendant la durée des délais prévus à l'article L213-2. Les stipulations de ce protocole peuvent également s'appliquer aux documents d'archives publiques émanant des collaborateurs personnels de l'autorité signataire. Pour l'application de l'article L213-3, l'accord de la partie versante requis pour autoriser la consultation ou l'ouverture anticipée du fonds est donné par le signataire du protocole. Le protocole cesse de plein droit d'avoir effet en cas de décès du signataire et, en tout état de cause, à la date d'expiration des délais prévus à l'article L213-2. Les documents d'archives publiques versés antérieurement à la publication de la loi n° 2008-696 du 15 juillet 2008 relative aux archives demeurent régis par les protocoles alors signés. Toutefois, les clauses de ces protocoles relatives au mandataire désigné par l'autorité signataire cessent d'être applicables vingt-cinq ans après le décès du signataire ».
La commission rappelle que dans sa décision d’Assemblée n°s 422327 et 431026 du 12 juin 2020, le Conseil d’État a jugé qu’une autorisation de consultation par anticipation aux délais prévus par un tel protocole, que ce dernier ait été signé antérieurement ou postérieurement à la loi du 15 juillet 2008 précitée, peut être accordée par l’administration des archives aux personnes, physiques ou morales, qui en font la demande dans la mesure où l'intérêt qui s'attache à la consultation des documents ne conduit pas à porter une atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger.
La commission souligne, d’autre part, que pour apprécier l'opportunité d'une communication anticipée, elle s'efforce, au cas par cas, de mettre en balance les avantages et les inconvénients d'une communication anticipée, en tenant compte d'une part de l'objet de la demande et, d'autre part, de l'ampleur de l'atteinte aux intérêts protégés par la loi.
Conformément à sa doctrine traditionnelle (avis de partie II, n° 20050939, du 31 mars 2005), cet examen la conduit à analyser le contenu du document (son ancienneté, la date à laquelle il deviendra librement communicable, la sensibilité des informations qu'il contient au regard des secrets justifiant les délais de communication) et à apprécier les motivations, la qualité du demandeur (intérêt scientifique s'attachant à ses travaux mais aussi intérêt administratif ou familial) et sa capacité à respecter la confidentialité des informations dont il souhaite prendre connaissance.
Dans un avis de partie II, n° 20215602, du 4 novembre 2021, la commission a estimé opportun de compléter sa grille d’analyse afin de tenir compte de la décision d’Assemblée n°s 422327 et 431026, du 12 juin 2020, par laquelle le Conseil d’Etat a précisé qu’afin de déterminer s'il y a lieu ou non de faire droit à une demande de consultation anticipée, il convient de mettre en balance d'une part, l'intérêt légitime du demandeur apprécié au regard du droit de demander compte à tout agent public de son administration posé par l'article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 et de la liberté de recevoir et de communiquer des informations protégée par l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et, d'autre part, les intérêts que la loi a entendu protéger. L’intérêt légitime du demandeur doit être apprécié au vu de la démarche qu’il entreprend et du but qu’il poursuit en sollicitant la consultation anticipée d’archives publiques, de la nature des documents en cause et des informations qu’ils comportent. Les risques qui doivent être mis en balance sont ceux d’une atteinte excessive aux intérêts protégés par la loi. La pesée de l’un et des autres s’effectue en tenant compte notamment de l’effet, eu égard à la nature des documents en cause, de l’écoulement du temps et, le cas échéant, de la circonstance que ces documents ont déjà fait l’objet d’une autorisation de consultation anticipée ou ont été rendus publics.
En l’espèce, la commission observe d’abord qu’aucun motif n’a été invoqué par le signataire du protocole en cause pour justifier du rejet de la demande de Monsieur X, qui a été implicitement rejetée. Ni les archives nationales, où sont conservés les documents, ni le directeur général des patrimoines n’ont quant à eux émis de réserve quant à la consultation par dérogation sollicitée.
La commission relève ensuite que le demandeur inscrit sa demande dans le cadre d’un travail de recherche universitaire et que les documents demandés sont en lien direct avec la rédaction de sa thèse sur l'histoire des politiques européennes de lutte contre la pollution atmosphérique. Elle note par ailleurs que le demandeur a d’ores et déjà signé un engagement de réserve.
Elle constate enfin que la demande porte sur des dossiers qui, s'ils n'étaient pas dans le champ du protocole, seraient librement communicables en application de l'article L213-1 du code du patrimoine.
Au terme de la mise en balance des intérêts en présence, la commission estime en conséquence que l’intérêt légitime du demandeur est en l’espèce de nature à justifier la consultation anticipée des fonds d’archives demandés.
Elle émet, par suite, un avis favorable à la demande.