Avis 20230338 Séance du 09/03/2023
Maître X, conseil de la SAS X, a saisi la Commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 17 janvier 2023, à la suite du refus opposé par le président du conseil départemental du Calvados à sa demande de communication des documents suivants concernant la délégation de service public (DSP) pour la gestion et l'exploitation des ports départementaux du Calvados via la création d'une société d'économie mixte à opération unique (SEMOP), à la suite de la résiliation par le département du Calvados à compter du 31 décembre 2022 des deux autorisations d'occupation domaniale dont disposait la SAS X sur les dépendances des ports départementaux de Trouville-Deauville et de Honfleur :
1) l'ensemble des délibérations du département depuis le mois de septembre 2021 afférentes à cette procédure de délégation de service public ;
2) l’intégralité des documents de la consultation (DCE) relatifs à la passation de cette DSP ;
3) le procès‐verbal et le rapport d’analyse des candidatures ;
4) le procès‐verbal et le rapport d’analyse des offres initiales (avant négociation) ;
5) l'ensemble des pièces retraçant l'évolution des négociations avec la société attributaire, notamment les courriers de négociation envoyés à l’attributaire et les réponses adressées par ce dernier ;
6) le procès‐verbal et le rapport d’analyse des offres finales ;
7) les pièces fournies par l'assemblée délibérante sur la base desquelles elle s'est prononcée sur le choix du délégataire ;
8) la délibération du conseil syndical en date du 24 octobre 2022 et son compte rendu des débats ainsi que la convocation et la note de synthèse adressées aux conseillers départementaux ;
9) toute délégation et subdélégation habilitant le signataire du contrat à l’effet de préparer, passer et exécuter ledit contrat ainsi que la preuve des mesures de publicité afférentes auxdits actes ;
10) les pièces relatives à la candidature de l’attributaire ainsi que les éventuelles demandes de régularisation ;
11) l’offre initiale et l’offre négociée (finale) de l’attributaire de la concession ;
12) la convention complétée et signée par l'attributaire de la délégation, accompagnée de toutes ses annexes :
13) les statuts de la SEMOP « Ports du Calvados » ;
14) le pacte d’actionnaires signé par les actionnaires de la SEMOP.
En l'absence de réponse du président du conseil départemental du Calvados à la date de sa séance, la commission rappelle, en premier lieu, qu’il résulte de l’article L3121-17 du code général des collectivités territoriales que toute personne peut demander communication des délibérations et procès-verbaux des séances publiques du conseil général, des arrêtés du président, ainsi que des budgets et comptes du département. L’ensemble des pièces annexées à ces documents sont communicables à toute personne qui en fait la demande, selon les modalités prévues par l’article L311-9 du code des relations entre le public et l’administration.
Elle émet par suite un avis favorable à la communication des documents visés aux points 1) et 9) de la demande, ainsi qu’au point 8) dont elle comprend qu’il vise en réalité la délibération du conseil départemental du 24 octobre 2022.
Elle émet également un avis favorable au point 8) de la demande, en tant qu’il vise le compte rendu des débats ainsi que la convocation et la note de synthèse adressées aux conseillers départementaux, en application de l’article L311-1 du code des relations entre le public et l’administration, sous réserve de l’occultation des éventuelles mentions protégées au titre des articles L311-5 et L311-6 du même code, en particulier, s’agissant de la convocation, le secret de la vie privée (adresses personnelles des élus).
En second lieu, la commission rappelle qu'une fois signés, les délégations de service public définies comme des contrats de concession de travaux ou de service au sens du code de la commande publique (L1121-1 à L1121-3) et les documents qui s'y rapportent sont des documents administratifs soumis au droit d'accès institué par le livre III du code des relations entre le public et l’administration. En conséquence, la communication à un candidat écarté des motifs ayant conduit à ne pas lui attribuer le contrat ne permet pas de refuser la communication de ces documents.
En application de ces principes, la commission estime, en particulier, que les documents du dossier de consultation des entreprises se rapportant à la convention initiale, tels que le cahier des charges ou le règlement de consultation ne revêtent jamais un caractère préparatoire et ne sont pas couverts par le secret des affaires. Ces documents sont, dès lors, intégralement communicables à toute personne qui en fait la demande en application de l’article L311-1 du code des relations entre le public et l’administration. Il en va de même de la liste des entreprises ayant participé à la procédure.
Ce droit de communication, dont bénéficient tant les entreprises non retenues que toute autre personne qui en fait la demande, doit toutefois s'exercer dans le respect du secret des affaires, protégé par les dispositions de l’article L311-6 de ce code. Sont notamment visées par cette réserve, pour l’ensemble des candidats, y compris l’entreprise retenue, les mentions relatives à la certification de système qualité, aux certifications tierces parties ainsi qu'aux certificats de qualification concernant la prestation demandée, ainsi que toute mention concernant le chiffre d'affaires, les coordonnées bancaires et les références autres que celles qui correspondent à des contrats publics.
La commission considère, en outre, de façon générale que sous réserve des particularités propres à chaque délégation :
- l'offre détaillée de l'entreprise retenue est en principe communicable, dans la mesure où elle reflète la qualité et le coût du service rendu à l’usager ;
- l'offre globale des entreprises non retenues est, en principe, elle aussi communicable. En revanche, le détail technique et financier de leurs offres ne l’est pas. De plus, doivent être occultées dans les documents préalables à la conclusion du contrat de concession (procès-verbaux, rapports de la commission de délégation de service public et de l'autorité habilitée à signer le contrat, documents relatifs à la négociation des offres…) les mentions relatives aux détails techniques et financiers de ces offres ;
- de la même manière, si les moyens techniques et humains mentionnés dans les offres des candidats sont protégés par le secret des affaires, certaines mentions se rapportant au cocontractant, tels que le montant de la masse salariale ou la liste des biens et équipements mis à sa disposition sont en revanche librement communicables, en ce qu’elles reflètent le coût du service ;
- les notes et classements des entreprises non retenues ne sont communicables qu'à celles-ci, chacune en ce qui la concerne, en application de l’article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration. En revanche, les notes, classements et éventuelles appréciations de l'entreprise lauréate du contrat sont librement communicables ;
- le contrat de délégation de service public est communicable ainsi que ses annexes, sous réserve de l'occultation des éléments couverts par le secret des affaires.
La commission émet par suite un avis favorable aux documents sollicités aux points 2), 3), 6), 7), 10 et 12) de la demande, ainsi qu’au point 11) de la demande en tant qu’il vise l’offre finale de l’attributaire, sous les réserves qui viennent d'être énoncées.
En revanche, s’agissant de l’offre initiale et des propositions intermédiaires de l’attributaire, la commission rappelle que de telles offres doivent être traitées comme des offres produites par les entreprises non retenues. Conformément aux règles de communication qui viennent d’être rappelées, il en découle que seules les offres globales sont communicables, à l’exclusion de tout détail technique et financier (avis de partie II n° 20122663 du 26 juillet 2012). Elle émet donc un avis favorable, sous ces réserves et dans cette mesure au point 11) de la demande en tant qu’il vise l’offre initiale de l’attributaire.
Elle émet également un avis favorable, dans les mêmes conditions et sous les mêmes réserves, au point 4) de la demande.
En troisième lieu, comme l’a rappelé le Conseil d’Etat dans sa décision n° 465151 du 15 mars 2023, à propos d’un contrat de concession de services, « les documents et informations échangés entre l'administration et un candidat lors de la phase de négociation d'un contrat de la commande publique, dès lors qu'ils révèlent par nature la stratégie commerciale du candidat, entrent dans le champ du 1° de l'article L311-6 et ne sont, par suite, pas communicables ».
La commission émet donc un avis défavorable au point 5) de la demande.
Enfin, en quatrième et dernier lieu, la commission rappelle qu’aux termes de l’article L300-2 du code des relations entre le public et l’administration : « Sont considérés comme documents administratifs, au sens des titres Ier, III et IV du présent livre, (…) les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l’État, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d'une telle mission. (…) »
La commission relève que le Conseil d’État, dans sa décision n° 264541 du 22 février 2007, Association du personnel relevant des établissements pour inadaptés, a jugé qu'indépendamment des cas dans lesquels le législateur a lui-même entendu reconnaître ou, à l'inverse, exclure l'existence d'un service public, une personne privée qui assure une mission d'intérêt général sous le contrôle de l'administration et qui est dotée à cette fin de prérogatives de puissance publique est chargée de l'exécution d'un service public. Toutefois, même en l'absence de telles prérogatives, une personne privée doit également être regardée, dans le silence de la loi, comme assurant une mission de service public lorsque, eu égard à l'intérêt général de son activité, aux conditions de sa création, de son organisation ou de son fonctionnement, aux obligations qui lui sont imposées ainsi qu'aux mesures prises pour vérifier que les objectifs qui lui sont assignés sont atteints, il apparaît que l'administration a entendu lui confier une telle mission.
La commission relève que, prévues par les dispositions des articles L1541-1 à 3 du code général des collectivités territoriales (CGCT), les sociétés d’économie mixte à opération unique (SEMOP) sont des sociétés, revêtant la forme de sociétés anonymes régies par le livre II du code de commerce et par le titre II du livre V de la première partie du CGCT, créées par une collectivité territoriale ou un groupement de collectivités territoriales, dont ils détiennent entre 34 % et 85 % du capital et 34 % au moins des voix dans les organes délibérants. Elles sont constituées, « pour une durée limitée, à titre exclusif en vue de la conclusion et de l'exécution d'un contrat avec la collectivité territoriale ou le groupement de collectivités territoriales dont l'objet unique est : 1° Soit la réalisation d'une opération de construction, de développement du logement ou d'aménagement ; / 2° Soit la gestion d'un service public pouvant inclure la construction des ouvrages ou l'acquisition des biens nécessaires au service ; / 3° Soit toute autre opération d'intérêt général relevant de la compétence de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales ».
La commission, qui comprend qu’une SEMOP n’est créée que pour assurer une opération unique procédant de la compétence d’une ou plusieurs personnes publiques, en déduit qu’une telle société doit être regardée comme étant, en principe et pour l’ensemble de ses activités, chargée d’une mission de service public au sens de la jurisprudence précitée.
La commission estime, par suite, que les documents élaborés ou détenus par la SEMOP qui ont un lien suffisamment direct avec la mission de service public dont elle a la charge sont des documents administratifs au sens de l'article L300-2 du code des relations entre le public et l'administration soumis au droit d’accès ouvert par le livre III du même code (CE 24 avril 2013, Mme L., n° 338649). Ainsi, si les budgets et comptes sont regardés comme ayant, par principe, un lien direct avec la mission de service public (CE 20 juillet 1990, Ville de Melun et Association Melun culture loisirs c/X, n° 69867-72160, au rec. ; CE 25 juillet 2008, Commissariat à l'énergie atomique, n° 280163, aux T.), il n'en est pas de même des documents, décisions ou délibérations, relatifs au fonctionnement interne de la société (CE 24 avril 2013, Mme L., n° 338649 ; Conseil n° 20191480 du 5 septembre 2019).
La commission en déduit que les statuts de la SEMOP et le pacte d’actionnaires visés aux points 13) et 14) de la demande, qui définissent l’étendue et les modalités d’exercice de la mission de service public confiée à la société, constituent des documents administratifs au sens de l’article L300-2 du code des relations entre le public et l’administration.
Elle émet donc un avis favorable sur ces points.