Avis 20230242 Séance du 16/02/2023

Madame X a saisi la Commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 11 janvier 2023, à la suite du refus opposé par le maire de Bethoncourt à sa demande de communication, en sa qualité de conseillère municipale, des documents suivants : 1) l'extrait du grand livre (conseiller municipal X janvier 2022) : a) pour les tiers : X+ et X ; b) pour les années 2014 à 2022 ; c) les détails des prestations ; 2) l'extrait comparatif du budget/réalisé 2022 (détail par article) (XX) ; 3) le dossier d'appel d’offres « Camera » (janv.21) et l'analyse des offres ainsi que le résultat de celui‐ci (procédure) (conseillers municipaux X / XX – 2021) ; 4) le devis concernant le remplacement des « Caméras » (3 devis X, X, X, procès-verbal du conseil municipal du 7 juin 2022) – (XX) ; 5) le devis des décorations de Noël 2021 et la consultation (procédure) des prestataires de services (en attente de la présentation des 3 devis) (X) ; 6) la présentation de l'audit financier « Déplacement » de la mairie sur l’Arche (avant envoi de la consultation du bureau d’étude de maîtrise d’œuvre et de la commission travaux ‐ procès-verbal du conseil municipal du 7 juin 2022) (XX) ; 7) la présentation du projet de la mairie / CTM (Bureau d'études X – X – dossier complet ‐ procès-verbal du conseil municipal du 7 juin 2022) (XX) ; 8) le retour sur les dotations de la politique de la ville (DPV) 2022 (dossiers présentés, résultat). La commission rappelle, à titre liminaire, qu'elle n'est pas compétente pour se prononcer sur les droits d'information que les conseillers municipaux tirent, en cette qualité, de textes particuliers tel l'article L2121-13 du code général des collectivités territoriales, qui dispose que : « Tout membre du conseil municipal a le droit, dans le cadre de sa fonction, d'être informé des affaires de la commune qui font l'objet d'une délibération ». Toutefois, cette circonstance ne fait pas obstacle à ce que les élus puissent se prévaloir du droit d'accès prévu par le livre III du code des relations entre le public et l'administration, qui est ouvert à toute personne, indépendamment des fonctions qu'elle exerce ou des mandats qu'elle détient. 1. Sur les questions préalables : La commission rappelle que droit d'accès aux documents administratifs ne s'applique qu'à des documents existants ou susceptibles d’être obtenus par un traitement automatisé d’usage courant mais ne fait pas obligation aux autorités administratives de répondre aux demandes de renseignements qui leur sont adressées. En outre, l’administration saisie d’une demande de communication n'est pas tenue de procéder à des recherches en vue de collecter l'ensemble des documents éventuellement détenus (CE, 27 septembre 1985, Ordres des avocats de Lyon c/ X, recueil page 267), ou d'établir un document en vue de procurer les renseignements ou l'information souhaités (CE, 30 janvier 1995, Min. d'État, min. éduc. nat. et CE, 22 mai 1995, Association de défense des animaux victimes d'ignominie ou de désaffection). En réponse à la demande qui lui a été adressée, le maire de Bethoncourt a informé la commission de ce que "de nombreuses demandes, ne consistent pas à produire un document existant, mais relèveraient plutôt d'analyses ou d'une étude comparative". La commission ne pourrait donc que se déclarer incompétente pour se prononcer sur de telles demandes qui porteraient en réalité sur des renseignements. Elle relève toutefois que les points de la demande correspondant à des renseignements ne lui sont pas précisément indiqués, de sorte que, faute de pouvoir les identifier, elle ne saurait décliner sa compétence en tout ou partie. La commission rappelle par ailleurs que le droit à la communication des documents administratifs est un droit objectif. L'intérêt d'une communication pour le demandeur ou ses motivations ne peuvent donc, en principe, pas fonder un refus de communication. Par suite, la circonstance que la demande Madame X relaierait celles d'autres élus est sans incidence sur la recevabilité de la présente saisine, ainsi que sur le sens de la réponse à apporter à sa demande. 2. Sur le le caractère communicable des documents : La commission rappelle, en premier lieu, qu'il résulte de l’article L2121-26 du code général des collectivités territoriales que : « Toute personne physique ou morale a le droit de demander communication des procès-verbaux du conseil municipal, des budgets et des comptes de la commune et des arrêtés municipaux ». L’ensemble des pièces annexées à ces documents, y compris les pièces justificatives des comptes, sont communicables à toute personne qui en fait la demande, selon les modalités prévues par le livre III du code des relations entre le public et l'administration. La commission précise toutefois que si l'article L2121-26 du code général des collectivités territoriales a institué un régime spécifique d'accès aux documents des communes, distinct du régime général d'accès aux documents administratifs organisé par les dispositions du code des relations entre le public et l'administration, et si les exceptions au droit d'accès prévues à l'article L311-6 de ce code ne sont pas opposables à une demande présentée sur le fondement de ces dispositions spéciales, l'exercice de ce droit d'accès particulier ne saurait faire obstacle, par principe, à la protection de secrets protégés par la loi sur d'autres fondements, tels que le secret de la vie privée (CE 10 mars 2010, n° 303814, commune de Sète ; conseil n° 20121509 du 19 avril 2012 et conseil n° 20123242 du 27 septembre 2012), le secret médical (conseil n° 20122788 du 26 juillet 2012), le secret des correspondances échangées entre le client et son avocat (avis n° 20111095 du 14 avril 2011), ou le secret industriel et commercial (CE, 17 mars 2022, n° 449620). La commission estime, par suite, que le grand livre des comptes est un document administratif communicable à toute personne en faisant la demande sur le fondement de ces dispositions, sous réserve de l’occultation préalable des éventuelles mentions couvertes par le secret des affaires, le secret de la vie privée ou de tous autres secrets protégés par la loi (CE, 27 septembre 2022, n° 452614). En application de ces principes, la commission estime que revêtent, sous ces réserves, un caractère communicable les documents mentionnés au point 1) de la demande ainsi que, dans l'hypothèse où ces documents relèveraient du champ de ces dispositions, ce dont la commission n'est pas en l'état de s'assurer, au point 2) et aux points 4) à 8) de la demande. La commission ajoute qu'en tout état de cause, les documents visés à ces points 2) et 4) à 8) sont communicables à toute personne qui en fait la demande en application de l'article L311-1 du code des relations entre le public et l'administration, sous réserve, s'agissant du point 7), qu'il ne revête pas ou plus un caractère préparatoire. En second lieu, la commission rappelle qu'une fois signés, les marchés publics et les documents qui s’y rapportent sont des documents administratifs soumis au droit d'accès institué par le livre III du code des relations entre le public et l’administration. En conséquence, la communication à un candidat écarté des motifs ayant conduit la commission d'appel d'offres à ne pas lui attribuer le marché ne permet pas de refuser la communication de ces documents. Ce droit de communication, dont bénéficient tant les entreprises non retenues que toute autre personne qui en fait la demande, doit toutefois s'exercer dans le respect du secret des affaires, protégé par les dispositions de l’article L311-6 de ce code. Il résulte de la décision du Conseil d’État du 30 mars 2016, Centre hospitalier de Perpignan (n° 375529), que, lorsqu’elles sont saisies d’une demande de communication de documents relatifs à un marché public, les autorités mentionnées à l’article L300-2 du même code doivent examiner si les renseignements contenus dans ces documents peuvent, en affectant la concurrence entre les opérateurs économiques, porter atteinte au secret des affaires et faire ainsi obstacle à cette communication. Le Conseil d’État a en outre précisé qu’au regard des règles de la commande publique, doivent être regardées comme communicables, sous réserve des secrets protégés par la loi, l’ensemble des pièces d’un marché public et que, dans cette mesure, l’acte d’engagement, le prix global de l’offre et les prestations proposées par l’entreprise attributaire, notamment, sont en principe communicables. Sont également communicables les pièces constitutives du dossier de consultation des entreprises (règlement de consultation, cahier des clauses administratives particulières, cahier des clauses techniques particulières…). En revanche, les éléments qui reflètent la stratégie commerciale d’une entreprise opérant dans un secteur d’activité et dont la divulgation est susceptible de porter atteinte au secret des affaires ne sont, en principe, pas communicables. Il en va ainsi de l’offre de prix détaillée contenue dans le bordereau des prix unitaires, la décomposition du prix global et forfaitaire ou le détail quantitatif estimatif, ainsi que du mémoire technique, qui ne sont, de fait, pas communicables aux tiers. La commission a précisé dans son Conseil n° 20221455 du 21 avril 2022 évoqué ci-dessus, revenant sur sa doctrine antérieure, qu’il en va aussi désormais des factures, bons de commande, états d’acompte, décomptes et autres pièces établies dans le cadre de l’exécution d’un marché public, en tant que ces documents mentionnent les prix unitaires. L'examen de l’offre d’une entreprise attributaire au regard du respect du secret des affaires conduit ainsi la commission à considérer que l’offre de prix détaillée contenue dans le bordereau des prix unitaires, la décomposition du prix global et forfaitaire ou le détail quantitatif estimatif, ne sont pas communicables aux tiers, sans qu’il soit besoin de s’interroger sur le mode de passation, notamment répétitif, du marché ou du contrat, sa nature, sa durée ou son mode d’exécution. L’examen de l’offre des entreprises non retenues au regard des mêmes principes conduit de même la commission à considérer que leur offre de prix globale est, en principe, communicable mais qu’en revanche, le détail technique et financier de cette offre ne l’est pas. En outre, pour l’entreprise attributaire comme pour l’entreprise non retenue, les dispositions de l’article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration doivent entraîner l’occultation des éléments suivants : - les mentions relatives aux moyens techniques et humains, à la certification de système qualité, aux certifications tierces parties ainsi qu'aux certificats de qualification concernant la prestation demandée, ainsi que toute mention concernant le chiffre d'affaires, les coordonnées bancaires et les références autres que celles qui correspondent à des marchés publics ; - dans les documents préparatoires à la passation du marché (procès-verbaux, rapports d'analyse des offres) les mentions relatives aux détails techniques et financiers des offres de toutes les entreprises. La commission précise enfin que les notes et classements des entreprises non retenues ne sont communicables qu'à celles-ci, chacune en ce qui la concerne, en application de l’article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration. En revanche, les notes, classements et éventuelles appréciations de l'entreprise lauréate du marché sont librement communicables. La commission estime, par suite, que les documents visés au point 3) sont communicables à toute personne qui en fait la demande, sous la réserve tenant au secret des affaires. Elle précise, au regard des principes ci-dessus rappelés, que les devis visés aux points 4) et 5) ne sont pas communicables en tant qu'ils comporteraient les prix unitaires ou le détail de décomposition du prix forfaitaire. 3. Sur le caractère abusif de la demande : En réponse à la demande qui lui a été adressée, le maire de Bethoncourt a informé la commission de ce qu'au égard "au vu du volume que représente [les] documents [demandés] et du temps de travail nécessaire pour effectuer certaines de ces recherches, la demande vient surcharger [ses] agents et pénalise le fonctionnement de [cette] petite collectivité". La commission rappelle, à cet égard, que le droit d’accès doit rester compatible avec le bon fonctionnement des services et cède devant les demandes abusives, auxquelles les administrations ne sont pas tenues de répondre, en application du dernier alinéa de l'article L311-2 du code des relations entre le public et l'administration. Toute demande portant sur une quantité importante de documents ou le fait pour une même personne d’adresser soit plusieurs demandes à une même autorité soit des demandes multiples formulées à l’identique à plusieurs autorités, ne sont pas nécessairement assimilables à des demandes abusives. Une demande peut être regardée comme abusive, au sens de ces dispositions, lorsqu'elle a pour objet de perturber le bon fonctionnement de l’administration sollicitée. Relèvent de cette catégorie les demandes récurrentes, portant sur un volume important de documents traitant, le cas échéant, de la même affaire, que le service sollicité est dans l’incapacité matérielle de traiter, ou les demandes portant sur des documents auxquels le demandeur a déjà eu accès. La commission fonde également son appréciation sur les éléments portés à sa connaissance par le demandeur et l'administration quant au contexte dans lequel s'inscrit la demande et aux motivations qui la sous-tendent. Par sa décision du 14 novembre 2018 ministre de la culture c/ Société pour la protection des paysages et l’esthétique de la France n° 420055, 422500, le Conseil d’État a jugé que revêt également un caractère abusif, les demandes qui auraient pour effet de faire peser sur l’autorité saisie une charge disproportionnée au regard des moyens dont elle dispose. La commission précise, en outre, que lorsque les éléments d'information non communicables contenus dans un document dont la communication est sollicitée sont très nombreux et qu'il est possible de se procurer les éléments communicables autrement, la communication des documents après occultation des éléments non communicables peut être légalement refusée, au motif qu'elle ferait peser sur l'administration une charge excessive, eu égard aux moyens dont elle dispose et à l'intérêt que présenterait, pour les requérants, le fait de bénéficier, non de la seule connaissance des éléments communicables, mais de la communication des documents occultés eux-mêmes (CE, 27 mars 2020, Association contre l'extension et les nuisances de l'aéroport de Lyon-St-Exupéry, n° 426623). La commission rappelle, en outre, comme précédemment, que le droit à la communication des documents administratifs est un droit objectif. L'intérêt d'une communication pour le demandeur ou ses motivations ne peuvent donc, en principe, pas fonder un refus de communication. Elle relève, toutefois, que dans un avis n° 20220207, du 10 mars 2022, elle a fait évoluer sa doctrine en retenant désormais que, dans le cas particulier où l’autorité saisie fait valoir que la communication des documents sollicités ferait peser sur elle une charge de travail disproportionnée au regard des moyens dont elle dispose, il y a lieu de prendre en compte, pour apprécier le caractère abusif de la demande, non plus seulement le fait que la communication a objectivement perdu son intérêt, mais également l’intérêt qui s’attache à la communication pour le demandeur, ainsi que, le cas échéant, pour le public. Cette position a été confirmée par le Conseil d’État (CE, 17 mars 2022, n° 449620). La commission ne dispose en l’espèce d'aucun élément circonstancié lui permettant de retenir la qualification de demande abusive. Elle relève notamment que le volume des documents visés n'est pas spécifié alors que leur nombre est relativement restreint. Elle relève également qu'il n'est pas fait état des moyens dont dispose la commune ou encore de difficultés particulières induites par le traitement de cette demande. La commission estime, dès lors, que Madame X est en l’espèce fondée à exercer son droit d'accès aux documents administratifs. Elle invite toutefois à nouveau cette dernière à faire preuve de discernement et de modération dans l'usage qui est fait du droit d'accès prévu par le livre III du code des relations entre le public et l’administration et rappelle que si la demande porte sur une copie de documents volumineux qu’elle n’est pas en mesure de reproduire aisément compte tenu de ses contraintes matérielles, l'administration est notamment en droit d'inviter le demandeur à venir consulter ces documents sur place et à emporter copie des seuls éléments qu’il aura sélectionnés. Alternativement, elle peut convenir avec le demandeur d’un échéancier de communication compatible avec le bon fonctionnement des services. La commission émet, par suite et sous les réserves susmentionnées, un avis favorable à la demande. 4. Sur les modalités de communication : La commission rappelle qu'en vertu de l'article L311-9 du code des relations entre le public et l’administration, l'accès aux documents administratifs s'exerce, au choix du demandeur et dans la limite des possibilités techniques de l'administration, soit par consultation gratuite sur place, soit par courrier électronique et sans frais lorsque le document est disponible sous forme électronique, soit, sous réserve que la reproduction ne nuise pas à la conservation du document, par la délivrance d'une copie sur un support identique à celui utilisé par l'administration ou compatible avec celui-ci et aux frais du demandeur, sans que ces frais puissent excéder le coût de cette reproduction et de l’envoi du document, soit par publication des informations en ligne, à moins que les documents ne soient communicables qu'à l'intéressé en application de l'article L311-6 du même code. La commission rappelle également qu’en vertu de l'article R311-11 du code des relations entre le public et l’administration, « des frais correspondant au coût de reproduction et, le cas échéant, d'envoi de celui-ci peuvent être mis à la charge du demandeur. Pour le calcul de ces frais sont pris en compte, à l'exclusion des charges de personnel résultant du temps consacré à la recherche, à la reproduction et à l'envoi du document, le coût du support fourni au demandeur, le coût d'amortissement et de fonctionnement du matériel utilisé pour la reproduction du document ainsi que le coût d'affranchissement selon les modalités d'envoi postal choisies par le demandeur ». Les frais autres que le coût de l'envoi postal ne peuvent excéder des montants définis par l'arrêté conjoint du Premier ministre et du ministre du budget du 1er octobre 2001, à savoir 0,18 euro la page en format A4, 1,83 euro pour une disquette et 2,75 euros pour un cédérom. L'intéressé est avisé du montant total des frais à acquitter, dont le paiement préalable peut être exigé.