Avis 20230076 Séance du 16/02/2023
Monsieur X a saisi la commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 4 janvier 2023, à la suite du refus opposé par le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires à sa demande de copie complète du rapport sur la sécurisation de l'approvisionnement de l'industrie en matière premières minérales, dit rapport « X ».
1. La commission, qui a pris connaissance de la réponse exprimée par le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, rappelle, comme elle l'a fait dans son avis de partie I n° 20220181 du 31 mars 2022, qu’aux termes de l’article L300-2 du code des relations entre le public et l’administration : « Sont considérés comme documents administratifs, au sens des titres Ier, III et IV du présent livre, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l'État, (…). Constituent de tels documents notamment les dossiers, rapports, études, (…) ».
La commission estime, en l’espèce, que le rapport sollicité, réalisé par Monsieur X à la demande de la ministre de la transition écologique et de la ministre déléguée chargée de l’industrie, sur la sécurisation de l’approvisionnement de l’industrie en matière premières minérales, avec pour objectif d’évaluer avec les industriels le niveau de sécurité des approvisionnements en métaux, de préciser leurs besoins et de proposer une organisation du travail des acteurs privés et publics pour améliorer la résilience aux métaux critiques des chaines de production, constitue un document administratif au sens et pour l’application du livre III du code des relations entre le public et l’administration.
La commission rappelle également que l’article L124-1 du code de l’environnement prévoit le droit de toute personne d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues, reçues ou établies par les autorités publiques. Elle rappelle également qu’aux termes de l’article L124-2 de ce code : « Est considérée comme information relative à l'environnement au sens du présent chapitre toute information disponible, quel qu'en soit le support, concernant : / 1° L'état des éléments de l'environnement, notamment (…) le sol, les terres, (…), ainsi que les interactions entre ces éléments ; / 2° Les décisions, les activités et les facteurs, (…), susceptibles d'avoir des incidences sur l'état des éléments visés au 1°, ainsi que les décisions et les activités destinées à protéger ces éléments ; / 3° (…) les conditions de vie des personnes, (…), dans la mesure où ils sont ou peuvent être altérés par des éléments de l'environnement, des décisions, des activités ou des facteurs mentionnés ci-dessus ; / 4° Les analyses des coûts et avantages ainsi que les hypothèses économiques utilisées dans le cadre des décisions et activités visées au 2° ».
La commission constate, en l’espèce, que certaines mentions figurant notamment au point 3. du rapport, dont elle a pu prendre connaissance, ainsi que dans son annexe 8.10 peuvent être regardées comme des informations relatives à l’environnement au sens et pour l’application des dispositions précitées.
La commission précise également que si, dans une perspective rétrospective, certaines autres informations contenues dans le document demandé pourront être regardées comme relevant de l’article L124-2 précité dans la mesure où elles auront trait à des décisions, activités et facteurs susceptibles d'avoir des incidences sur l'état des sols et des terres ou encore aux hypothèses économiques utilisées dans le cadre de ces décisions, elles ne sauraient l’être à ce stade (CE 1er mars 2021, n° 436654).
2. La commission rappelle ensuite qu’aux termes de l’article L311-2 du code des relations entre le public et l’administration : « Le droit à communication ne concerne pas les documents préparatoires à une décision administrative tant qu'elle est en cours d'élaboration. ».
Elle précise que cette réserve a pour objectif de garantir la sérénité de la prise de décision administrative jusqu’à ce que celle-ci intervienne. Un document préparatoire est ainsi exclu du droit d'accès prévu par le livre III du code des relations entre le public et l’administration aussi longtemps que la décision administrative qu'il prépare n'est pas intervenue ou que l'administration n'y a pas manifestement renoncé, à l'expiration d'un délai raisonnable. Dans un tel cas, le caractère préparatoire d’un rapport s’oppose en principe à la communication immédiate de l’ensemble de son contenu, à moins, toutefois, que les éléments de ce rapport préparant une décision ultérieure ne soient divisibles de ses autres développements.
La commission relève également que le Conseil d’État admet la possibilité qu’un communiqué de presse d’un ministre puisse contenir ou révéler une décision (CE 7 février 2003, n° 244043 ; CE 15 décembre 2021, n° 444759). Il a ainsi pu relever, s’agissant d’un communiqué de presse de ministres présentant un dispositif dit « Pack rebond » à destination des territoires d’industrie et instituant un dispositif particulier à 66 sites sous la dénomination « clés en main », que les documents ne « comportent par eux-mêmes aucune décision, ni n’édictent aucune règle nouvelle, ni ne révèlent aucune instruction adressée aux services chargés de l’instruction des demandes d’autorisation » et « ne présentent par suite pas, eu égard à leur contenu et à leur portée, le caractère d’actes susceptibles de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir » (CE 3 mars 2022, n° 444569) ou encore, s’agissant d’un communiqué de presse du ministre des solidarités et de la santé se bornant à expliciter les conséquences juridiques de l’entrée en vigueur d’un décret et d’un arrêté qu’il « ne révèle aucune décision et n’est pas susceptible d’avoir des effets notables distincts des effets juridiques résultant de ce décret et de cet arrêté », de sorte qu’ « il ne constitue pas un acte faisant grief susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir » (CE 17 février 2022, n° 441292).
La commission constate que, dans leur lettre de mission à Monsieur X, les ministres ont notamment indiqué souhaiter que soient dégagées des actions concrètes que pourrait mener l’État, afin d’appuyer la sécurisation des approvisionnements des acteurs privés, et précisé les items sur lesquels des développements étaient attendus.
La commission relève que le rapport remis aux ministres comporte, outre l’état des lieux et la table des recommandations communiqués, l’analyse et le diagnostic des conditions d’approvisionnement des industriels français et européens en matières premières minérales ainsi que de leurs perspectives, appuyés sur des annexes, qui ont présidé à la formulation desdites recommandations et ont pour objectif de guider la prise de décision.
La commission estime que le communiqué de presse des ministres du 10 janvier 2022 relatif au rapport dit « X », s’il fait état des cinq « axes stratégiques » retenus par le Gouvernement de ce rapport, ne peut, compte tenu de ses termes et des seules orientations qu’il traduit, même explicitement formulées, être regardé comme révélant l’existence d’une décision administrative au sens et pour l’application des dispositions précitées, ayant pour effet de lever le caractère préparatoire de ce rapport.
La commission relève enfin que le communiqué de presse du 10 janvier 2022 fait état de l’ouverture, à l’aune des conclusions du rapport de Monsieur X, d’un premier appel à projets (AAP) ciblé sur les métaux critiques à destination des filières industrielles stratégiques dans le cadre du plan d’investissement France 2030, jusqu’au 30 janvier 2024, avec une première relève intermédiaire au 24 mai 2022. Elle constate toutefois que si cette annonce révèle une décision au sens de l’article L311-2, le rapport demandé ne comporte pas pour autant de développements divisibles immédiatement communicables.
La commission, qui relève le caractère toujours récent du rapport, ne peut, par suite et en l’état, qu’émettre un avis défavorable à la demande d’avis au regard du code des relations entre le public et l’administration.
Elle relève toutefois que l’exception tirée du caractère préparatoire d’un document administratif ne fait pas obstacle à la communication des informations environnementales qu’il contient, dès lors qu'un tel motif de refus n'est pas prévu par les articles L124-4 et L124-5 du code de l'environnement.
3. S’agissant de ces informations, la commission rappelle qu’aux termes du I de l’article L124-4 du code de l’environnement : « Après avoir apprécié l'intérêt d'une communication, l'autorité publique peut rejeter la demande d'une information relative à l'environnement dont la consultation ou la communication porte atteinte : / 1° Aux intérêts mentionnés aux articles L311-5 à L311-8 du code des relations entre le public et l'administration, à l'exception de ceux visés au e) et au h) du 2° de l'article L311-5 ; », au nombre desquels figure le secret des affaires.
La commission rappelle, à cet égard, qu’il résulte des dispositions de l’article L311-6 du code des relations entre le public et l'administration, que le secret des affaires comprend le secret des procédés, des informations économiques et financières et des stratégies commerciales ou industrielles. Il s’apprécie en tenant compte, le cas échéant, du fait que la mission de service public est soumise à la concurrence, et eu égard à la définition donnée à l’article L151-1 du code de commerce. Aux termes de cet article est protégée par le secret des affaires toute information répondant aux critères suivants : « (…) 1° Elle n'est pas, en elle-même ou dans la configuration et l'assemblage exacts de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d'informations en raison de leur secteur d'activité ; 2° Elle revêt une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret ; 3° Elle fait l'objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret. ».
La commission prend note de ce que, dans le cadre de sa mission, Monsieur X s’est appuyé sur les contributions des comités stratégiques de filières automobile, nouveaux systèmes énergétiques et mines et métallurgie, ainsi que des responsables d’institutions scientifiques (BRGM, CNRS, CEA) et de nombreuses personnalités qualifiées. Elle prend également note de ce que l’implication des dirigeants des principales entreprises concernées a été une contribution essentielle à la mission, ainsi que le relève le communiqué de presse des ministres.
Elle observe que les analyses transcrites dans le rapport résultent des entretiens intervenus entre Monsieur X et des dirigeants d’entreprises et révèlent leur analyse de la situation et leurs stratégies en la matière. Elle constate que la valeur et la sensibilité particulière des informations contenues dans ce rapport proviennent de son mode d’élaboration en ce qu’il traduit l’analyse et les stratégies des industriels français. Elle relève, à cet égard, que le faible nombre d’acteurs dans ce domaine permet aisément, en dépit d’une approche agrégée, d’identifier les contributions de chacun. Elle prend note également de ce que les données factuelles figurant dans le rapport et provenant notamment de l’Agence internationale de l’énergie sont de nature à révéler, du fait de leur sélection et par elles-mêmes, ces analyses et stratégies.
La commission estime par suite que la communication de la majorité des informations en cause, qui serait de nature à révéler des stratégies d’acteurs économiques identifiables dans des secteurs concurrentiels et sensibles, porterait atteinte au secret des affaires au sens du 1° de l'article L311-6 du code des relations entre le public et l'administration.
La commission considère que l'intérêt réel qui s'attacherait à la communication de ces informations n'est pas tel pour la protection de l'environnement et dans les circonstances de l'affaire, que celle-ci s'impose sur le fondement du premier alinéa du I de l'article L124-4 du code de l'environnement au détriment des intérêts protégés par l'article L311-6 susmentionné.
Elle constate enfin que l’ampleur des occultations à apporter à ce titre priverait d’intérêt la communication.
La commission émet donc également un avis défavorable dans cette mesure et prend note de l'intention de l'administration de procéder, toutefois, prochainement, à la communication à Monsieur X d'une synthèse du rapport sollicité.