Avis 20227888 Séance du 26/01/2023
Monsieur et Madame X et X ont saisi la commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 19 décembre 2022, à la suite du refus opposé par le président du conseil départemental du Doubs à leur demande de communication de tous les documents les concernant ou leurs enfants X ayant fait l'objet de placement auprès du service de l'aide sociale à l'enfance, sans occultation :
1) le numéro ADELI de l'assistante sociale, Madame X, et son accréditation à exercer entre novembre 2022 et décembre 2022 ;
2) le numéro ADELI et sa date d'obtention ainsi que la date d'accréditation du psychologue, Monsieur X, auprès des services départementaux, seul signataire d'un « rapport psy » début 2021 contre leurs enfants ;
3) tous les rapports d'incident au complet concernant leurs enfants ;
4) toutes les notes d'élaboration et de comptes rendu des réunions concernant les parents- services, enfants-services, réunions pluridisciplinaires, visites médiatisées, évaluations parentales et évaluation des enfants, parents-enfants ;
5) tous les rapports internes et notes de service les concernant ;
6) tous les échanges entre services ;
7) les lieux de résidence et /ou de garde de leurs enfants, les concernant ou leurs enfants ;
8) l'information préoccupante dans son intégralité non caviardée et complète ;
9) tous les bilans et/ ou évaluations et autres éléments concernant leurs enfants et leur état de santé, évolution physique, morale, psychique, émotionnelle, relationnelle etc ;
10) toutes les notes ou autres rapports d'évaluation et ou d'appréciation les concernant élaborés par les services avant après ou en dehors des rencontres de quelque nature que ce fut ;
11) les noms, prénoms des personnes en relation avec leurs enfants, que ce soit dans le cadre médical, social, administratif, éducatif, scolaire, passé ou présent ainsi que leurs coordonnées de contact dans le but d'obtenir des informations en relation avec l'état de leurs enfants.
Pour ce qui concerne les documents sollicités aux points 1) et 2) :
La commission relève que le traitement automatisé de gestion des listes départementales des professions réglementées par le code de la santé publique, de la famille et de l'aide sociale, dénommé ADELI, a été créé par arrêté ministériel du 27 mai 1988, avec pour finalités, notamment, l'attribution d'un numéro identifiant aux professionnels concernés, la tenue des listes des professionnels exerçant dans le département, et leur édition annuelle au recueil des actes administratifs prévue par le code de la santé publique. Elle estime que les documents sollicités sont communicables à toute personne qui en fait la demande, en application de l'article L311-1 du code des relations entre le public et l’administration, sous réserve de l'occultation préalable, en application de l’article L311-6 du même code, des mentions dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée, au secret médical ou au secret de l'activité libérale relevant du secret des affaires. A ce titre, les mentions telles que la date et le lieu de naissance ou la nationalité du professionnel de santé ne sont pas communicables à des tiers.
S'agissant des mentions relatives aux titres, la commission estime que si, en règle générale, la formation initiale d'une personne est couverte par le secret de sa vie privée, il n'en va pas ainsi des titres et diplômes légalement requis pour l'exercice d'une profession réglementée, qui, lorsqu'ils figurent dans un dossier ou un document relatif à l'activité professionnelle de l'intéressé, sont communicables à toute personne qui en fait la demande.
La commission émet donc, sous les réserves qui précèdent, un avis favorable à la communication aux demandeurs des documents mentionnés aux points 1) et 2). En réponse à la demande qui lui a été adressée, le président du conseil départemental du Doubs a informé la commission qu'il ne dispose pas des documents sollicités. La commission rappelle qu'en application du sixième alinéa de l'article L311-2 du même code, il appartient à l'administration de transmettre la demande accompagnée du présent avis à l'autorité administrative susceptible de le détenir, et d'en aviser Monsieur et Madame X.
Pour ce qui concerne les documents mentionnés aux points 3) à 11) :
La commission relève que les services d’aide sociale à l’enfance sont chargés de trois grandes catégories de missions (article L221-1 du code de l'action sociale et des familles (CASF), en partie en lien avec le service de la protection maternelle et infantile (PMI) et le service départemental d’action sociale (article L226-1 du CASF)) :
- Ils ont un rôle de sensibilisation et d’information des personnes pouvant être concernées par des mineurs en danger ou en risque de l’être. Le président du conseil départemental est chargé de la centralisation de toutes les informations préoccupantes relatives à la situation d’un mineur au sein d’une cellule de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes (CRIP). L’information transmise doit permettre l’évaluation de la situation du mineur, la mise en œuvre d’éventuelles actions de protection dont lui et sa famille pourraient bénéficier, voire le signalement à l’autorité judiciaire ;
- Ils développent des missions préventives auprès des mineurs et de leurs familles, soit individuelles, soit collectives (prévention spécialisée) ;
- Ils pourvoient aux besoins des mineurs qui leur sont confiés, sur décision administrative ou judiciaire ou en tant que pupilles de l’État. À des fins de prévention individuelle et de protection, différentes prestations d’aide sociale à l’enfance sont précisément définies aux articles L222-1 à L222-7 du CASF.
Elle rappelle qu'aux termes de l'article L300-2 du code des relations entre le public et l'administration, sont considérés comme documents administratifs, « quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l’État, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d'une telle mission. Constituent de tels documents notamment les dossiers, rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis, prévisions, codes sources et décisions. »
La commission en a déduit que les documents élaborés par les services de l'aide sociale à l'enfance avant l'ouverture éventuelle d'une procédure judiciaire ou juridictionnelle, et sans être établis en vue de celle-ci, qu'ils aient ou non été ensuite transmis à l'autorité judiciaire, constituent des documents administratifs, communicables dans les conditions et sous les réserves prévues par le livre III du code des relations entre le public et l'administration. Il en va ainsi des correspondances entre les services intéressés, des rapports et notes établis pour les besoins de l’administration, des pièces retraçant les échanges entre le président du conseil départemental et les parents du mineur ou les accueillants familiaux (avis n° 20152463 du 10 septembre 2015).
Revenant sur ses avis antérieurs, elle précise que revêtent également un caractère administratif, les rapports d'évaluation sociale établis par les services de l'aide sociale à l'enfance en dehors de toute sollicitation de l'autorité judiciaire, y compris lorsque les services préconisent, en application des dispositions de l'article L226-4 du CASF, la transmission du dossier au procureur de la République en vue de la saisine du juge des enfants. La commission estime, en effet, que ces rapports ont été élaborés par l'administration dans le cadre de ses missions de service public définies par le code de l'action sociale et des familles et qu'ils n'ont pas été élaborés, à la différence du courrier de transmission lui-même, en vue de la saisine de l'autorité judiciaire, cette transmission résultant d'une obligation légale prévue par l'article L226-4 du CASF lorsque certaines circonstances sont réunies, lesquelles sont révélées par la mission administrative d'évaluation confiée au service de l'aide sociale à l'enfance.
La commission en déduit que lorsque ces documents administratifs ont été transmis au procureur de la République, il appartient à l'autorité administrative saisie d'une demande de communication de ce document de rechercher, à la date à laquelle elle se prononce, les suites données à cette transmission ou susceptibles de l'être, afin de déterminer, à moins que l'autorité judiciaire compétente ait donné son accord, si la communication du document sollicité est de nature à porter atteinte au déroulement de procédures juridictionnelles ou d'opérations préliminaires à de telles procédures en empiétant sur les prérogatives de cette autorité (CE, 21 octobre 2016, CHSCT de l'établissement d'Amiens Nord de la société Goodyear Dunlop Tyres France, n° 380504, mentionné aux Tables du Recueil ; 30 décembre 2015, Société Les Laboratoires Servier, n° 372230, Rec. p. 493).
Revêtent, en revanche, un caractère judiciaire, les documents élaborés par les services de l'aide sociale à l'enfance à la demande de l'autorité judiciaire, procureur de la République ou juge des enfants, qu'une procédure judiciaire ait ou non été ouverte, par exemple dans le cadre d'un soit transmis ou du suivi d'une mesure de protection judiciaire. La commission demeure donc incompétente pour en connaître et il appartient au demandeur de s'adresser directement à l'autorité judiciaire.
En application de l'article L311-6 du code des relations entre le public et l'administration, les documents administratifs comportant des informations couvertes par le secret de la vie privée, qui porteraient un jugement de valeur sur un tiers, personne physique nommément désignée ou facilement identifiable, ou feraient apparaître le comportement d'un tiers, autre qu'une personne chargée d'une mission de service public, dès lors que sa révélation serait susceptible de lui porter préjudice (plaintes, dénonciations, etc.), ne peuvent être communiqués qu'à la personne intéressée et, lorsque celle-ci est mineure, à ses parents ou à la personne qui exerce l'autorité parentale. Elle précise sur ce point que les documents tels que les lettres de plainte ou de dénonciation ainsi que les témoignages adressés à une administration ne sont pas communicables à des tiers, y compris lorsque ceux-ci sont visés par la plainte ou la dénonciation en question, dès lors que leur auteur est identifiable. L’identification de l’auteur d’un signalement fait, en effet, apparaître de la part de celui-ci, lorsqu’il ne s’agit pas d’un agent d’une autorité administrative, agissant dans l’exercice de sa compétence, un comportement dont la divulgation pourrait porter préjudice à son auteur. La communication d’un signalement à l’un des parents de l’enfant n’est donc permise par le code des relations entre le public et l’administration que dans le cas où aucune des mentions qu’il comporte n’est susceptible de permettre d’en identifier l’auteur, s’il ne s’agit pas d’un agent d’une autorité administrative agissant dans le cadre de sa mission de service public, et ne met pas en cause la vie privée ou le comportement d’un tiers, y compris l’autre parent.
La commission précise également que les documents qui concernent directement, à un titre ou un autre, un enfant mineur ne sont pas communicables à une autre personne, même si celle-ci en assure la représentation légale, lorsque s’y oppose l’intérêt supérieur de l’enfant, protégé par l’article 3 de la convention internationale relative aux droits de l’enfant (cf avis CADA n° 20152463 du 10 septembre 2015). C’est au vu des circonstances propres à chaque situation qu’il convient d’apprécier l’intérêt supérieur de l’enfant. Il s’oppose le plus souvent à la communication à ses parents des documents faisant apparaître qu’il les met gravement en cause.
En réponse à la demande qui lui a été adressée, le président du conseil départemental du Doubs a, en premier lieu, indiqué à la commission avoir communiqué en janvier 2023, postérieurement à la saisine, à Monsieur et Madame X un complément d’information préoccupante en date du 6 février 2020, avec occultations de certains passages. La commission constate que la demande a perdu son objet dans cette seule mesure.
Après avoir pris connaissance du document intégral et du document tel qu’il a été communiqué, la commission estime que la communication du passage occulté du courrier de transmission en page 1 ne porterait pas atteinte aux secrets protégés par l’article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration et qu’il en va de même du passage « Ajout d’informations », « Personnes vivant au foyer » et « Conditions de vie et organisation familiale », sous la seule réserve de l’occultation du paragraphe consacré à la directrice de l’école. La commission émet par suite un avis favorable à la communication à Monsieur et Madame X d’un complément pour ces passages.
La commission considère en revanche que les autres mentions occultées l'ont été à juste titre et répondent aux réserves précédemment rappelées au titre de l’article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration.
En deuxième lieu, a été communiquée à Monsieur et Madame X en novembre 2022 l’information préoccupante en date du 24 septembre 2019, avec des occultations. Après avoir pris connaissance du document intégral et du document tel qu’il a été communiqué, la commission considère que les mentions occultées l’ont été à juste titre et répondent aux secrets protégés par l’article L311-6. La commission émet par suite un avis défavorable à la demande en tant qu’elle porte sur la communication intégrale de ce document.
En dernier lieu, le président du conseil départemental du Doubs a également informé la commission avoir transmis en novembre 2022 à Monsieur et Madame X les documents des dossiers de leurs enfants, après disjonction des documents revêtant un caractère judiciaire et occultations des mentions protégées par l’article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration.
La commission rappelle d’abord à cet égard qu’il ne lui appartient pas d’indiquer précisément et de manière exhaustive, au sein d’un dossier volumineux, les documents communicables, voire les mentions qui doivent être occultées en application des règles rappelées ci-dessus, cette opération incombant à l'administration
Néanmoins, après avoir pris connaissance des pièces produites par le président du conseil départemental du Doubs, la commission comprend que les notes et rapports concernant la situation des enfants qui n’ont pas été communiqués à Monsieur et Madame X ont été élaborés après la décision judiciaire de placement et à destination du juge des enfants. En l'état des informations dont elle dispose, la commission observe donc que ces documents revêtent un caractère judiciaire et ne relèvent pas du droit d’accès aux documents administratifs organisé par le livre III du code des relations entre le public et l’administration. Il appartient dès lors aux intéressés de s’adresser à l’autorité judiciaire.
La commission estime ensuite que le compte rendu de bilan psychomoteur d’X est un document administratif communicable à ses parents. Elle émet donc un avis favorable à sa communication, s’il n’y a pas déjà été procédé.
La commission émet enfin un avis favorable à la communication des documents administratifs des dossiers des enfants, s'ils existent et sous l'ensemble des réserves déjà rappelées.