Avis 20227291 Séance du 12/01/2023

Maître X, conseil de la société X, a saisi la Commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 24 novembre 2022, à la suite du refus opposé par le directeur général de la Société des ports du Détroit à sa demande de communication des documents suivants concernant le marché public de conception-réalisation des travaux d'extension du port de Calais, passé par la Société des Ports du Détroit (SPD), avec le groupement momentané d'entreprises dont la société X est le mandataire, ainsi que le contrat de sous-traitance conclu entre ce groupement concepteur-constructeur et la société X au détriment de la société X, dans le cadre d'un contrat de subdélégation de service public conclu par la SPD avec la Société d'Exploitation des Ports du Détroit (SEPD), cette dernière s'étant vu confié un contrat de délégation de service public par la région Hauts de France : 1) les pièces de l'offre initiale de la société X de janvier 2014 à la SPD notamment (et par référence au règlement de consultation du marché) ; 2) l'acte d'engagement complété, signé et paraphé, avec la répartition entre les co-traitants ; 3) le contrat de conception-réalisation, comprenant les compléments et les renseignements apportés par le candidat à la demande de l'entité adjudicatrice ; 4) le cadre de décomposition du prix global et forfaitaire complété ; 5) le programme fonctionnel détaillé signé et paraphé, comprenant les compléments et les renseignements apportés par le candidat à la demande de l'entité adjudicatrice ; 6) la déclaration sur l'honneur signée et paraphée, à ne mettre en place aucune pratique ayant pour objet ou pour effet de fausser la concurrence, ou constituant une pratique anticoncurrentielle au sens des articles L420-1 et suivants du code de commerce, notamment au sein de groupes de sociétés, qui devait être signée par tous les membres du groupement et les prestataires intervenants au côté du groupement ; 7) le mémoire sur les moyens que le candidat propose de mettre en œuvre pour satisfaire son engagement en matière de sous-traitance à des petites et moyennes entreprises ; 8) le dossier technique composé : a) du mémoire d'avant-projet (AVP) ; b) du mémoire relatif aux coûts de maintenance (des digues, musoirs, tenons, cavaliers, quais et duc d'albe, profondeurs de navigation, des chaussées des terre-pleins, ouvrages d'art, bâtiments, passerelles, etc.) et de grosses réparations au regard des solutions techniques conçues par le candidat ; c) du mémoire relatif à l'analyse et la maîtrise des risques du projet ; 9) les diverses déclarations (DC1, DC2, etc.), tout particulièrement les formulaires DC4 (déclarations de sous-traitance) ; 10) ces mêmes éléments finalisés, contractualisés et signés par la société X avec la SPD faisant apparaitre son montant et sa décomposition, ainsi que les éventuels ajustements administratifs ou techniques après discussions et mise au point ; 11) le contrat de sous-traitance conclu par X avec la société X, notamment : a) la déclaration (DC4) régularisé (déclaration vis-à-vis du maître d'ouvrage) ; b) le contrat signé ; c) l'offre de la société X et ses références, ayant abouti au contrat), etc.. 1. Sur le caractère communicable des documents demandés : 1.1 La commission rappelle qu'aux termes de l'article L300-2 du code des relations entre le public et l’administration : « Sont considérés comme documents administratifs (...), quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l'État, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d'une telle mission ». La Commission comprend des éléments portés à sa connaissance que la région Hauts-de-France a confié, par contrat de délégation de service public du 19 février 2015, à la société d'Exploitation des Ports du Détroit (SEPD) la gestion, l'exploitation, la maintenance et le développement des infrastructures des ports de Boulogne-sur-mer et Calais et que la SEPB a confié, le jour même, par un contrat de subdélégation de service public, à la société des Ports du Détroit (SPD) la maîtrise d'ouvrage des travaux d'extension du port de Calais, de sorte que les SEPD et SPD doivent être regardées comme des sociétés de droit privé chargées d'une mission de service public et les documents qu'elles élaborent ou détient constituent des documents administratifs au sens de l'article L300-2 du code des relations entre le public et l'administration dès lors que leur objet les rattache directement à l'exécution de la mission de service public qui leur a été confiée. La commission en déduit que les documents visés aux points 1) à 10) de la demande, qui ont trait à la passation d'un marché public conclu par la SPD pour la réalisation de la mission de service public qui lui a été subdéléguée constituent des documents administratifs au sens de l'article L300-2. La commission rappelle, par ailleurs, qu'en application de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance, les sous-traitants doivent être agréés par le maître d'ouvrage pour bénéficier d'un droit au paiement direct. En l'absence de cet agrément, les actes de sous-traitance et quitus des sous-traitants relèvent uniquement des relations commerciales entre deux entreprises privées. Le code des relations entre le public et l’administration s'applique, en revanche, aux demandes de communication de tels actes lorsque la sous-traitance a fait l'objet d'un agrément. Dans cette seconde hypothèse, les actes de sous-traitance ou le formulaire DC4 sont librement communicables sous réserve de l’occultation des mentions protégées au titre du secret des affaires. La Commission en déduit que les documents visés au point 11) constituent également des documents administratifs au sens de l'article L300-2, dès lors que la sous-traitance a fait l'objet d'un agrément de la SPD. Elle précise que si tel n'était pas le cas, elle serait incompétente pour connaître de ce point de la demande. 1.2 La commission, qui a pris connaissance des observations du directeur général de la SPD, estime qu'une fois signés, les contrats sollicités et les documents afférents sont communicables à toute personne qui en fait la demande en application de l'article L311-1 du code des relations entre le public et l'administration. La commission précise que ce droit de communication doit toutefois s'exercer dans le respect du secret des affaires, protégé par les dispositions de l’article L311-6 de ce code, tel qu'explicité notamment s'agissant des contrats de marchés publics, par son avis de partie II n° 20221914 du 12 mai 2022. Il résulte en effet de la décision du Conseil d’État du 30 mars 2016, « Centre hospitalier de Perpignan » (n° 375529), que, lorsqu’elles sont saisies d’une demande de communication de documents relatifs à un marché public, les autorités mentionnées à l’article L300-2 du même code doivent examiner si les renseignements contenus dans ces documents peuvent, en affectant la concurrence entre les opérateurs économiques, porter atteinte au secret des affaires et faire ainsi obstacle à cette communication. Le Conseil d’État a en outre précisé qu’au regard des règles de la commande publique, doivent être regardées comme communicables, sous réserve des secrets protégés par la loi, l’ensemble des pièces d’un marché public et que, dans cette mesure, l’acte d’engagement, le prix global de l’offre et les prestations proposées par l’entreprise attributaire, notamment, sont en principe communicables. Sont également communicables les pièces constitutives du dossier de consultation des entreprises (règlement de consultation, cahier des clauses administratives particulières, cahier des clauses techniques particulières…). En revanche, les éléments qui reflètent la stratégie commerciale d’une entreprise opérant dans un secteur d’activité concurrentiel et dont la divulgation est susceptible de porter atteinte au secret des affaires ne sont, en principe, pas communicables. Il en va ainsi de l’offre de prix détaillée contenue dans le bordereau des prix unitaires, la décomposition du prix global et forfaitaire ou le détail quantitatif estimatif, ainsi que du mémoire technique, qui ne sont, de fait, pas communicables aux tiers. En outre, pour l’entreprise attributaire comme pour l’entreprise non retenue, les dispositions de l’article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration doivent entraîner l’occultation des éléments suivants : - les mentions relatives aux moyens techniques et humains, à la certification de système qualité, aux certifications tierces parties ainsi qu'aux certificats de qualification concernant la prestation demandée, ainsi que toute mention concernant le chiffre d'affaires, les coordonnées bancaires et les références autres que celles qui correspondent à des marchés publics ; - dans les documents préparatoires à la passation du marché (procès-verbaux, rapports d'analyse des offres) les mentions relatives aux détails techniques et financiers des offres de toutes les entreprises. La commission émet donc, sous les réserves susmentionnées, un avis favorable à la demande. Elle rappelle enfin que si, ainsi qu'il l'indique, le directeur général de la SPD n’est pas en possession des documents visés au point 11), il lui appartient toutefois, en application du sixième alinéa de l’article L311-2 du code des relations entre le public et l’administration, de transmettre la demande de communication, accompagnée du présent avis, à l’autorité administrative susceptible de le détenir, s'il en existe une, et d’en aviser Maîtres X et X. 2. Sur le caractère abusif de la demande : En réponse à la demande qui lui a été adressée, le directeur général de la SPD a indiqué à la commission que la demande de Maîtres X et X présentait un caractère abusif, en ce qu'elle vise un grand nombre de documents non communicables ainsi que des documents contenant des mentions protégées par le secret et que le travail d'occultation, du fait de leur nombre, de leur volume et de la nécessaire concertation avec l'autorité concédante, la SEPD et le groupement concepteur-réalisateur, ferait peser sur la SPD une charge disproportionnée au regard des moyens dont elle dispose, à savoir trois salariés qui en sont le directeur général et ses deux directeurs techniques adjoints. La commission rappelle qu'aux termes de l’article L311-2 du code des relations entre le public et l'administration : « L’administration n’est pas tenue de donner suite aux demandes abusives, en particulier par leur nombre ou leur caractère répétitif ou systématique. ». La commission précise que, par sa décision du 14 novembre 2018 dite Ministre de la culture c/ Société pour la protection des paysages et l’esthétique de la France (n°s 420055, 422500), le Conseil d’État a jugé que revêt un caractère abusif la demande qui a pour objet de perturber le bon fonctionnement de l’administration sollicitée ou qui aurait pour effet de faire peser sur elle une charge disproportionnée au regard des moyens dont elle dispose. Par sa décision du 17 mars 2022 dite M. K… M… (n° 449620), il a précisé que, pour apprécier le caractère excessif d’une telle charge, il convient de prendre en compte « l’intérêt qui s’attache à [la] communication pour le demandeur ainsi, le cas échéant, que pour le public ». Par sa décision du 27 septembre 2022 dite Association X (n° 451627), il a estimé qu’une charge disproportionnée pouvait provenir de l’ampleur d’occultations à effectuer au sein d’un même document. En l'espèce, il n'apparaît pas à la commission, compte tenu de la nature des documents demandés, de l'intention alléguée de recourir à l'expertise des autres intervenants, et en l'absence de difficulté particulière soulignée quant aux occultations à opérer, que cette demande présenterait un caractère abusif. La commission rappelle néanmoins que lorsqu'une administration est saisie d'une demande portant sur un nombre important de documents, elle est fondée à étaler dans le temps la communication afin qu’elle reste compatible avec le bon fonctionnement de ses services, ou alternativement de convenir avec le demandeur d'un calendrier de communication.