Avis 20223585 Séance du 21/07/2022
Monsieur X a saisi la commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 12 mai 2022, à la suite du refus opposé par la directrice chargée des Archives de France à sa demande de communication, par dérogation aux délais fixés par l'article L213-2 du code du patrimoine, dans le cadre de recherches historiques, des documents contenus dans la cote AG/5(F)/341, conservée aux Archives nationales, à Pierrefitte-sur-Seine :
Organisations gaullistes. - Service d'action civique (SAC) : Dossier personnel de X, membre actif du SAC et des comités de défense de la République (CDR) (15e arrondissement de Paris) et contractuel à l'ANPE : correspondance ms. et dact., notes et fiches mss. et dact., versions dact. des motions des CDR, plaquette de timbres à l'effigie des CDR, tracts, copies de papiers d'identité. 1958-1976
La commission, qui a pris connaissance de la réponse de la directrice chargée des Archives de France, rappelle, à titre liminaire, que, par principe, les documents d'archives sont communicables de plein droit, en vertu de l'article L213-1 du code du patrimoine. Néanmoins, par dérogation, certaines catégories de documents, en raison des informations qu'ils contiennent, ne sont pas immédiatement communicables et ne le deviennent qu’aux termes des délais et dans les conditions fixées par l'article L213-2 du même code. A cet égard, selon le 3° du I de cet article, les documents qui comportent des informations dont la communication porte atteinte à la protection de la vie privée ne deviennent librement communicables qu’à l’expiration d’un délai de cinquante ans à compter de la date du document ou du document le plus récent inclus dans le dossier.
La commission précise, par ailleurs, qu'en vertu de l'article L213-3 du code du patrimoine, une autorisation de consultation, par anticipation aux délais prévus par l'article L213-2 précité, peut cependant être accordée par l’administration des archives aux personnes, physiques ou morales, qui en font la demande dans la mesure où l'intérêt qui s'attache à la consultation des documents ne conduit pas à porter une atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger. Cette autorisation requiert l’accord préalable de l'autorité dont émanent les documents, l’administration des archives étant tenue par l’avis donné.
La commission rappelle que pour apprécier l'opportunité d'une communication anticipée, elle s'efforce, au cas par cas, de mettre en balance les avantages et les inconvénients d'une communication anticipée, en tenant compte d'une part de l'objet de la demande et, d'autre part, de l'ampleur de l'atteinte aux intérêts protégés par la loi. Conformément à sa doctrine constante (avis de partie II, n° 20050939, du 31 mars 2015), cet examen la conduit à analyser le contenu du document (son ancienneté, la date à laquelle il deviendra librement communicable, la sensibilité des informations qu'il contient au regard des secrets justifiant les délais de communication) et à apprécier les motivations, la qualité du demandeur (intérêt scientifique s'attachant à ses travaux mais aussi intérêt administratif ou familial) et sa capacité à respecter la confidentialité des informations dont il souhaite prendre connaissance.
La commission a estimé opportun de compléter sa grille d’analyse afin de tenir compte de la décision d’Assemblée n°s 422327 et 431026, du 12 juin 2020, par laquelle le Conseil d’État a précisé qu’afin de déterminer s'il y a lieu ou non de faire droit à une demande de consultation anticipée, il convient de mettre en balance d'une part, l'intérêt légitime du demandeur apprécié au regard du droit de demander compte à tout agent public de son administration posé par l'article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 et de la liberté de recevoir et de communiquer des informations protégée par l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et, d'autre part, les intérêts que la loi a entendu protéger (avis de partie II, n° 20215602, du 4 novembre 2021).
La commission rappelle, à cet égard, d’une part, que l'exercice du droit d’accès aux documents administratifs, garanti par l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen a valeur constitutionnelle (décision du Conseil constitutionnel n° 2020-834, du 3 avril 2020). Il est loisible au législateur d'apporter à ce droit des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi.
La commission précise, d’autre part, que si l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales n’accorde pas un droit d’accès à toutes les informations détenues par une autorité publique ni n’obligent l’État à les communiquer, il peut en résulter un droit d’accès à des informations détenues par une autorité publique lorsque l’accès à ces informations est déterminant pour l’exercice du droit à la liberté d’expression et, en particulier, à la liberté de recevoir et de communiquer des informations, selon la nature des informations demandées, leur disponibilité, le but poursuivi par le demandeur et son rôle dans la réception et la communication au public d’informations. Dans cette hypothèse, le refus de fournir les informations demandées constitue une ingérence dans l’exercice du droit à la liberté d’expression qui, pour être justifiée, doit être prévue par la loi, poursuivre un des buts légitimes mentionnés au point 2 de l’article 10 et être strictement nécessaire et proportionnée.
Comme l’a indiqué le Conseil d’État dans sa décision d’Assemblée précitée, la commission estime, en conséquence, que l'intérêt légitime du demandeur doit être apprécié à la lumière de ces deux textes, au vu de la démarche qu'il entreprend et du but qu'il poursuit en sollicitant la consultation anticipée d'archives publiques, de la nature des documents en cause et des informations qu'ils comportent. Les risques qui doivent être mis en balance sont ceux d'une atteinte excessive aux intérêts protégés par la loi. La pesée de l'un et des autres s'effectue en tenant compte notamment de l'effet, eu égard à la nature des documents en cause, de l'écoulement du temps et, le cas échéant, de la circonstance que ces documents ont déjà fait l'objet d'une autorisation de consultation anticipée ou ont été rendus publics.
En l'espèce, la commission observe que le demandeur inscrit sa démarche dans une finalité de recherches universitaires. La commission note l'intérêt scientifique des travaux réalisés par Monsieur X, et la signature de sa part d'un engagement à ne pas communiquer les informations auxquelles il demande accès.
En l'état des informations portées à sa connaissance, la commission note en outre qu'une partie des documents demandés inclus dans le sous-dossier « comité de défense de la République » est d'ores et déjà librement communicable et pourrait lui être adressé par extrait au demandeur. Elle constate, s'agissant du surplus, que les documents comportent des informations se rapportant à des personnes privées nommément désignées qui ne sont pas encore librement communicables.
Au terme de la mise en balance des intérêts en présence, la commission estime qu’en dépit de l’intérêt légitime du demandeur, la communication par anticipation aux délais légaux de communicabilité est, à ce jour, de nature à porter une atteinte excessive à la vie privée de Monsieur X, de ses proches et de ses descendants, en raison, d'une part, de la nature des documents concernés (documents d'état civil, déclaration de revenus, fiches de paye, procès-verbal d'expulsion) et, d'autre part dans la mesure où ces documents témoignent d'interventions auprès d'élus pour des situations individuelles difficiles.
En conclusion, la commission émet un avis favorable à la demande pour la seule consultation par extrait du dossier « comité de défense de la République ». Elle émet en revanche un avis défavorable s'agissant du surplus.