Avis 20220881 Séance du 21/04/2022

Monsieur X a saisi la commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 15 février 2022, à la suite du refus opposé par le directeur général des patrimoines à sa demande de consultation, par dérogation aux délais fixés par l'article L213-2 du code du patrimoine, dans le cadre de recherches effectuées pour obtenir l'habilitation à diriger les recherches (HDR) sur les travailleurs marocains de la SNCF (1970-2018), de l'article suivant conservé aux Archives nationales sous la cote : Direction des libertés publiques et des affaires juridiques, bureau de la circulation transfrontalière et des visas 19890519/40 (1 dossier). Liasse 2. Dossier Maroc. Refoulements, conditions d'entrée des travailleurs marocains en France, correspondance avec le ministère des Affaires étrangères, délivrance de laissez-passer à des Français musulmans, notes d'information de la PAF, circulaires 1956-1978, 1983. En l’absence de réponse de l’administration à la date de sa séance, la commission relève que le ministère de l’intérieur a rejeté la demande, en raison de la présence d'informations dont la communication serait susceptible de porter une atteinte excessive aux secrets que la loi a entendu protéger, et notamment à la protection de la vie privée des personnes concernées. Tenue par le I de l'article L213-3 du code du patrimoine, la directrice chargée des Archives de France ne pouvait qu'opposer un refus à la demande de Monsieur X. La commission rappelle à titre liminaire que, par principe, les documents d'archives sont communicables de plein droit, en vertu de l'article L213-1 du code du patrimoine. Néanmoins, par dérogation à cet article, certaines catégories de documents, en raison des informations qu'ils contiennent, ne sont pas immédiatement communicables et ne le deviennent qu’aux termes des délais et dans les conditions, fixés par l'article L213-2 de ce même code. A cet égard, les documents qui, comme en l’espèce, comportent des informations dont la communication porte atteinte à la protection de la vie privée ne deviennent librement communicables qu’à l’expiration d’un délai de cinquante ans à compter de la date du document ou du document le plus récent inclus dans le dossier. La commission précise, par ailleurs, qu'en vertu de l'article L213-3 du code du patrimoine, une autorisation de consultation, par anticipation aux délais prévus par l'article L213-2 précité, peut cependant être accordée par l’administration des archives aux personnes, physiques ou morales, qui en font la demande dans la mesure où l'intérêt qui s'attache à la consultation des documents ne conduit pas à porter une atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger. Cette autorisation requiert l’accord préalable de l'autorité dont émanent les documents, l’administration des archives étant tenue par l’avis donné. La commission rappelle que pour apprécier l'opportunité d'une communication anticipée, elle s'efforce, au cas par cas, de mettre en balance les avantages et les inconvénients d'une communication anticipée, en tenant compte d'une part de l'objet de la demande et, d'autre part, de l'ampleur de l'atteinte aux intérêts protégés par la loi. Conformément à sa doctrine constante (avis de partie II, n° 20050939, du 31 mars 2015), cet examen la conduit à analyser le contenu du document (son ancienneté, la date à laquelle il deviendra librement communicable, la sensibilité des informations qu'il contient au regard des secrets justifiant les délais de communication) et à apprécier les motivations, la qualité du demandeur (intérêt scientifique s'attachant à ses travaux mais aussi intérêt administratif ou familial) et sa capacité à respecter la confidentialité des informations dont il souhaite prendre connaissance. La commission a estimé opportun de compléter sa grille d’analyse afin de tenir compte de la décision d’Assemblée n°s 422327 et 431026, du 12 juin 2020, par laquelle le Conseil d’Etat a précisé qu’afin de déterminer s'il y a lieu ou non de faire droit à une demande de consultation anticipée, il convient de mettre en balance d'une part, l'intérêt légitime du demandeur apprécié au regard du droit de demander compte à tout agent public de son administration posé par l'article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 et de la liberté de recevoir et de communiquer des informations protégée par l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et, d'autre part, les intérêts que la loi a entendu protéger (avis de partie II, n° 20215602, du 4 novembre 2021). Comme l’a indiqué le Conseil d’Etat dans sa décision d’Assemblée précitée, la commission estime, en conséquence, que l'intérêt légitime du demandeur doit être apprécié à la lumière de ces deux textes, au vu de la démarche qu'il entreprend et du but qu'il poursuit en sollicitant la consultation anticipée d'archives publiques, de la nature des documents en cause et des informations qu'ils comportent. Les risques qui doivent être mis en balance sont ceux d'une atteinte excessive aux intérêts protégés par la loi. La pesée de l'un et des autres s’effectue en tenant compte notamment de l'effet, eu égard à la nature des documents en cause, de l'écoulement du temps et, le cas échéant, de la circonstance que ces documents ont déjà fait l'objet d'une autorisation de consultation anticipée ou ont été rendus publics. En l’espèce, la commission comprend que le dossier demandé, qui comporte des documents dont la communication est de nature à porter atteinte à la protection de la vie priée de personnes nommément désignées n’est, à ce stade, pas encore librement communicable. Toutefois, elle relève que la demande de Monsieur X s’inscrit dans une démarche de recherche universitaire. Ce dernier cherche en particulier à comprendre, dans le cadre de son habilitation à diriger des recherches, de quelle manière fut interprétée par les service du ministère de l’intérieur, la convention franco-marocaine mise en œuvre par le décret n° 63/779 du 27 juillet 1963. La commission relève en outre que le demandeur ne s’oppose pas à la transmission de documents anonymisés et qu’il a par ailleurs signé un engagement de réserve de ne publier aucune information portant atteinte à la vie privée des personnes nommément désignées. Au terme de la mise en balance des intérêts en présence, la commission estime que l’intérêt légitime de Monsieur X est de nature à justifier la consultation anticipée des fonds d’archives demandés. Elle émet, dès lors, un avis favorable à la demande.