Conseil 20217058 Séance du 25/11/2021

Consultation sur l'opportunité pour la France d'adhérer à la Convention du Conseil de l'Europe sur l'Accès aux documents publics (STCE n° 205).
La Commission d'accès aux documents administratifs (CADA) a examiné dans sa séance du 25 novembre 2021 votre demande de conseil relative à l’opportunité, pour la France, d’adhérer à la Convention du Conseil de l’Europe sur l'accès aux documents publics, dite de « Tromso », entrée en vigueur le 1er décembre 2020, dans l’objectif d’élaborer une position française commune et, le cas échéant, relancer le processus visant à la ratification de cette Convention. La Commission relève, à titre liminaire, qu’en 2011, à l’occasion d’une précédente saisine, elle vous a fait connaître ses observations formulant un certain nombre de réserves. La présente saisine a pour objet d’actualiser ces éléments de réponse, compte tenu de l’évolution du cadre juridique de l’accès aux documents administratifs. Elle précise, à cet égard, que la législation française sur le droit d’accès aux documents administratifs a été codifiée à droit constant dans le code des relations entre le public et l’administration (CRPA) en 2015. Elle ajoute que les principales évolutions postérieures à 2011 n’ont pas porté sur la communication des documents administratifs, mais sur la diffusion des données publiques et sur la réutilisation des informations publiques. La Commission a examiné les différents articles de la Convention du Conseil de l’Europe sur l'accès aux documents publics, à la lumière des dispositions du code des relations entre le public et l’administration dans leur version en vigueur, ainsi que des principes dégagés par la jurisprudence du Conseil d’État. Le rapport de présentation de la Convention, qui apporte des précisions utiles sur certains points, a par ailleurs été utilisé en toile de fond. La Commission souhaite attirer votre attention sur les points suivants : Article 1er – Dispositions générales : En premier lieu, en 2011, la Commission a relevé que le champ d’application de la Convention semblait plus étendu que celui de la loi du 17 juillet 1978, dans la mesure où il inclut, parmi les autorités publiques, les « organes législatifs » accomplissant « des fonctions administratives selon le droit national ». L’article L300-2 du code des relations entre le public et l’administration prévoit, pour sa part, que les « actes et documents produits ou reçus par les assemblées parlementaires sont régis par l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires ». La Commission observe que seuls les documents d’archives publiques sont soumis à un régime d’accès particulier prévu par l'article 7 bis de cette ordonnance, qu’elle n’est pas compétente pour interpréter (avis n° 20143027). Aux termes de l’article L342-2 du code, en effet, « la Commission d'accès aux documents administratifs émet des avis lorsqu'elle est saisie par une personne à qui est opposé un refus de communication de documents administratifs (…), un refus de consultation ou de communication des documents d'archives publiques, à l'exception des (…) documents produits ou reçus par les assemblées parlementaires (…) ». La CADA considère traditionnellement que les documents produits par une assemblée parlementaire (avis n° 20184701) ou élaborés à son intention (avis n° 20202384) revêtent un caractère parlementaire, indépendamment de ses fonctions administratives ou législatives. Sont ainsi exclus du champ du CRPA le dossier administratif d’un agent d’une assemblée parlementaire : avis n° 20010580, n° 20191317, les résultats d’une enquête administrative : avis n° 20041777, ou encore un marché public portant sur l’entretien des locaux : avis n° 20143118. Compte tenu de ces éléments, la Commission réitère les observations formulées en 2011. Il lui semble, en effet, que la notion de « fonctions administratives des autorités parlementaires » pourrait avoir pour effet d’inclure dans le champ de la communication certains documents parlementaires qui en sont aujourd’hui exclus. En second lieu, en 2011, la CADA a souligné que la définition du « document public » retenue par la Convention, à savoir « toutes informations enregistrées sous quelque forme que ce soit, rédigées ou reçues et détenues par les autorités publiques », n’est pas tout à fait identique à celle de « document administratif » retenue par la législation française (L300-2 du CRPA), puisqu’elle fait référence à des « informations », ce qui n’est le cas en droit français que dans certains domaines, tel que notamment l’environnement. Toutefois, comme vous l’avez relevé lors de vos précédents échanges avec la Commission, le rapport de présentation de la Convention indique que « les parties de la Convention doivent disposer d’une marge d’appréciation pour décider comment cette notion [de document public] peut être définie » et qui limite, par ailleurs, le droit d’accès aux documents existants. La Commission déduit de ces éléments que la notion de « document public » retenue par la convention est compatible avec le droit français. Article 2 - Droit d’accès aux documents publics : Cet article garantit à toute personne, sans discrimination aucune, le droit d'accéder, à sa demande, aux documents publics détenus par des autorités publiques. En 2011, la CADA a souligné que le droit national était incertain quant au point de savoir si les autorités publiques peuvent elles-mêmes se prévaloir du régime général du droit d’accès aux documents administratifs. La Commission observe, toutefois, que l'article 1er de la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique a instauré un régime parallèle d'accès des administrations aux documents administratifs, largement calqué sur le droit commun et relevant de son champ d’attribution (22° de l'article L342-2 du code des relations entre le public et l’administration). Les administrations sont désormais tenues de communiquer les documents administratifs qu'elles détiennent aux autres administrations « qui en font la demande pour l'accomplissement de leurs missions de service public ». La Commission considère que le régime d’accès aux « documents publics détenus par des autorités publiques » prévu par la Convention trouve désormais son équivalent dans le droit français. Elle vous laisse le soin d’apprécier l’opportunité de préciser que l'accès des administrations aux documents administratifs est en droit français réservé aux documents nécessaires à l’accomplissement de leurs missions de service public, sachant que ces administrations seraient en tout état de cause incompétentes pour intervenir à un autre titre que pour accomplir les missions qui leur ont été attribuées. Article 3 – Limitations possibles à l’accès aux documents publics 3.1) S’agissant des motifs légaux de refus de communication : La CADA a souligné, en 2011, que certains motifs prévus par le code des relations entre le public et l’administration n’étaient pas repris dans la Convention. En premier lieu, elle a indiqué que la protection des « délibérations au sein de ou entre les autorités publiques concernant l’examen d’un dossier » (Article 3 §1 k) lui paraissait correspondre en droit français à la protection des « documents préparatoires », les « documents inachevés » ne lui paraissant donc pas protégés. Le rapport de présentation précise que cet alinéa vise à « protéger la confidentialité des délibérations au sein ou entre les autorités publiques concernant l’examen d’un dossier. (…) Il s’agit au travers de la présente limitation de préserver la qualité du processus décisionnel en permettant un « espace libre pour penser ». Le rapport indique, en outre, que le terme « dossier » peut couvrir tous les types d’affaires qui sont entre les mains des autorités publiques y compris les procédures de prise de décision politique. En droit français la protection des documents préparatoires a pour finalité de garantir la sérénité de la prise de décision administrative jusqu'à ce que celle-ci intervienne. Sont considérés comme préparatoires l'ensemble des documents qui concourent à l'élaboration d'une décision administrative et sont inséparables de ce processus. La Commission observe que la notion de document « inachevé » vise quant à elle à éviter l'immixtion des citoyens dans l'élaboration formelle d'un document et à préserver la confidentialité des échanges internes à l'administration. Sont traditionnellement considérés comme inachevés les plans, ébauches, notes et documents de travail ayant servi à l'élaboration d'un rapport, ainsi que les états successifs et provisoires d'un document. A la différence d’un document inachevé, le document préparatoire échappe de manière temporaire à la communication et devient communicable dès que le processus de décision dans lequel il s'inscrit prend fin soit, parce que la décision est effectivement prise, soit, au contraire, parce que l'autorité compétente renonce à son projet (CE, Section, 11 février 1983, Ministre de l'Urbanisme et du logement c/ Association « X », req. n° 35565, Lebon 56). La Commission estime que la protection des « délibérations au sein de ou entre les autorités publiques concernant l’examen d’un dossier » renvoie, pour l’essentiel, à la notion de document préparatoire. Il peut toutefois peut-être également inclure celle de document inachevé, dans la mesure où une succession de documents provisoires pourrait permettre de connaître les différentes options envisagées et la teneur des débats au sein des autorités publiques. La Commission estime qu’une explicitation serait souhaitable sur ce point afin de s’assurer que les documents inachevés sont également concernés. En deuxième lieu, comme elle l’a indiqué en 2011, la Convention ne reprend pas expressément l’exception de diffusion publique, qui dispense l’administration de son obligation de communiquer un document administratif. La convention encourage, toutefois, en son article 10, les autorités publiques à rendre publics les documents qu’elles détiennent et prévoit au 3) de son article 6 que « l’autorité publique peut donner accès à un document public en orientant le demandeur vers des sources alternatives facilement accessibles ». Comme elle l’a fait en 2011, compte tenu de l’incertitude de ces formulations, la Commission estime qu’une réserve d’interprétation précisant qu’un document faisant l’objet d’une diffusion publique est soustrait au droit de communication sur demande serait utile. En troisième lieu, s’agissant de la commercialisation de certains documents, vous l’avez précisé lors de vos précédents échanges avec la CADA, le rapport de présentation admet que la gratuité de principe « n’exclut pas que les autorités publiques puissent produire des publications à des fins commerciales et les vendre sur le marché à des prix compétitifs ». Ce point n’appelle donc aucune observation particulière. - En quatrième lieu, la CADA a également souligné, en 2011, que les exceptions visant les avis du Conseil d’Etat et des autres juridictions administratives ne trouvent pas d’équivalent dans la Convention, sauf à les rattacher aux « délibérations au sein de ou entre les autorités publiques concernant l’examen d’un dossier », ce qui n’est pas évident. Cette observation est réitérée. En cinquième lieu, la Commission renouvelle également la remarque qu’elle a faite, tenant au risque que la mention des « autres secrets protégés par la loi » consacré par le droit français ne soit pas suffisamment précise, compte tenu des exigences posées par le 1. de l’article 3 de la Convention qui prévoit que les limitations sont « établies précisément par la loi ». En dernier lieu, la Commission a relevé, en 2011, que l’exception (désormais prévue par les 2° et 3° de l’article L311-6 du CRPA) visant les documents portant une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne et les documents révélant le comportement d’une personne, dès lors que sa divulgation pourrait lui porter préjudice, n’était pas expressément reprise par la Convention qui se borne à mentionner les « autres intérêts privés légitimes ». En l’absence de précision sur les « autres intérêts légitimes », une explicitation du droit français serait peut-être utile. 3.2) S’agissant du principe de proportionnalité prévu par la Convention : L’article 3 de la convention prévoit que l’accès aux informations contenues dans un document public peut être refusé si leur divulgation porte ou est susceptible de porter préjudice à l'un ou à l'autre des intérêts mentionnés au paragraphe 1, à moins qu’un intérêt public supérieur ne justifie la divulgation. Comme indiqué en 2011, il s’agit de la principale différence entre le régime institué par la Convention et la législation française sur le droit d’accès aux documents administratifs. Cette article reprend l’approche, très prégnante dans le droit de la Convention européenne des droits de l'homme et dans le droit de l'Union, de proportionnalité des refus de communication. Il suppose de mettre en balance, dans chaque cas particulier, l'intérêt public servi par la divulgation avec le ou les intérêts particuliers servis par le refus de divulguer. Cette mise en balance pourrait conduire, le cas échéant, à écarter certains secrets. La CADA applique cette balance des intérêts en matière environnementale ou dans le domaine des demandes d’accès par dérogation aux documents d’archives. Dans les deux cas, le principe de proportionnalité est posé par les textes. Cette mise en balance a également été introduite de manière prétorienne par la jurisprudence du Conseil D’État, pour apprécier la notion de demande abusive (CE, 27 mars 2020, n° 426623, aux Tables). La Commission souligne que cette grille d’analyse demeure toutefois, pour l’essentielle, étrangère au droit d’accès aux documents administratifs, qui repose sur une logique objective. Elle observe que si le rapport de présentation prévoit qu’il est loisible au législateur d’organiser des exemptions inconditionnelles, celles-ci sont toutefois réservées aux informations « extrêmement sensibles ». Le rapport préconise, en outre, de réduire les exceptions statutaires absolues au minimum. Comme elle l’a indiqué en 2011, « la signature de la Convention en l’état modifierait donc en profondeur la philosophie de notre droit d’accès. La CADA ne s’y oppose pas, dans la mesure où il pourrait en résulter un équilibre plus satisfaisant entre la transparence administrative et la confidentialité des données. Il convient toutefois d’être conscient de la complexité qu’introduit une telle règle dans le traitement des demandes d’accès ». Article 4 - Demandes d’accès aux documents publics La remarque qui avait été formulée sur l’anonymat du demandeur n’a plus lieu d’être, dans la mesure où le rapport de présentation de la Convention offre une simple faculté aux Etats membres en la matière. Article 5 - Traitement des demandes d'accès aux documents publics Le droit français est conforme à l’obligation d’aider les demandeurs à identifier les documents qu’ils recherchent, mentionnés dans cet article. Il résulte en effet du rapport de présentation de la Convention que cette obligation renvoie à l’obligation faite aux administrations d’élaborer des répertoires des informations publiques, consacrée par l’article L322-6 du code des relations entre le public et l’administration. Article 6 - Formes d'accès aux documents publics La convention consacre l’idée que le demandeur a le libre choix du mode d’accès aux documents administratifs. Cet article mentionne expressément la consultation ou la copie dans la forme ou le format disponibles de son choix. La loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique a ajouté un mode d'accès supplémentaire, à savoir celui de la publication en ligne des documents librement communicables à toute personne qui en fait la demande. Toutefois, il n’y a aucune incompatibilité avec la convention qui consacre un socle minimum de dispositions de base. Comme le rapport de présentation l’indique, l’esprit de la convention est en effet d’encourager les Parties à se doter, à maintenir ou à renforcer des dispositions internes qui accordent un droit d’accès plus large pourvu que le socle minimum soit, en tout état de cause mis en œuvre. Article 8 - Droit au recours En 2011, la CADA s’est interrogée sur le point de savoir si le recours administratif préalable que constitue l’intervention de la CADA constitue une procédure de recours « rapide » au sens de cet article de la Convention. Ni la convention, ni le rapport de présentation ne précisent ce que représente ce « recours rapide ». La Commission précise que le délai de deux mois à compter de l’enregistrement du recours formé devant elle, prévu par l’article R343-5 du CRPA, à l’expiration duquel le demandeur peut saisir le juge administratif, lui semble raisonnable, d’autant que le rapport de présentation prévoit la possibilité de mettre en place une procédure de révision interne préalablement à la saisine d’une Cour. Enfin, les autres dispositions de la Convention n’appellent aucune observation particulière.