Conseil 20216680 Séance du 10/03/2022

La Commission d'accès aux documents administratifs a examiné dans sa séance du 17 février 2022 votre demande de conseil relative au caractère communicable des documents suivants, conformément au respect du secret des affaires, et le cas échéant, après occultation des mentions protégées par le livre III du code des relations entre le public et l'administration : 1) certaines informations contenues dans un rapport d’évaluation (« Registration report ») d’un produit phytopharmaceutique pour lequel une demande d’accès a été formulée, ou si celles-ci doivent être considérées comme confidentielles ; 2) les lettres d'accès qui peuvent figurer dans le dossier de demande d'autorisation d'un produit ou d'approbation d'une substance active. La Commission relève que la demande s’inscrit dans le cadre de l’évaluation d’un produit phytopharmaceutique réalisée à l’occasion d’une demande d’autorisation de mise sur le marché (AMM) par reconnaissance mutuelle d’un produit similaire dont l’AMM est détenue par une autre société. Vous vous interrogez, plus particulièrement, d’une part, sur la communication des mentions suivantes figurant dans le rapport d’évaluation : nom du produit similaire et de la société détenant l’AMM, nom des produits avec lesquels ce produit a été comparé et nom des organismes ayant réalisé les essais des produits, au regard du secret des affaires et, d’autre part, sur la communication des lettres d’accès figurant au dossier de demande d’AMM, au regard de l'obligation de confidentialité des informations commerciales et industrielles. 1. Rappel des principes de communication : La Commission rappelle, en premier lieu, qu'aux termes de l’article L1313-1 du code de la santé publique, l'Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail, établissement public administratif de l’État : « met en œuvre une expertise scientifique indépendante et pluraliste » et « contribue principalement à assurer la sécurité sanitaire humaine dans les domaines de l'environnement, du travail et de l'alimentation ». L'agence « exerce, pour les produits phytopharmaceutiques et les adjuvants mentionnés à l'article L253-1 du code rural et de la pêche maritime, (...), des missions relatives à la délivrance, à la modification et au retrait des différentes autorisations préalables à la mise sur le marché et à l'expérimentation. (....) Dans son champ de compétence, l'agence a pour mission de réaliser l'évaluation des risques, de fournir aux autorités compétentes toutes les informations sur ces risques ainsi que l'expertise et l'appui scientifique et technique nécessaires à l'élaboration des dispositions législatives et réglementaires et à la mise en œuvre des mesures de gestion des risques. Elle assure des missions de veille, de vigilance et de référence. Elle définit, met en œuvre et finance en tant que de besoin des programmes de recherche scientifique et technique. Elle assure la mise en œuvre du système de toxicovigilance et des autres systèmes de vigilance sur les médicaments vétérinaires, les denrées alimentaires mentionnées à l'article L1323-1 et les produits phytopharmaceutiques. Elle propose aux autorités compétentes toute mesure de nature à préserver la santé publique. Lorsque celle-ci est menacée par un danger grave, elle recommande à ces autorités les mesures de police sanitaire nécessaires. » La Commission précise, en deuxième lieu, que le législateur a organisé de manière complète une police spéciale des produits phytopharmaceutiques, en particulier de mise sur le marché de ces produits, confiée à l’État, représenté notamment par le ministre de l’agriculture. Ainsi, en vertu de de l'article L253-1 du code rural et de la pêche maritime : « Les conditions dans lesquelles la mise sur le marché et l'utilisation des produits phytopharmaceutiques et des adjuvants vendus seuls ou en mélange et leur expérimentation sont autorisées, ainsi que les conditions selon lesquelles sont approuvés les substances actives, les coformulants, les phytoprotecteurs et les synergistes contenus dans ces produits, sont définies par le règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/ CEE et 91/414/ CEE du Conseil, et par les dispositions du présent chapitre. » Aux termes de l'article 40 du règlement (CE) n° 1107/2009 du 21 octobre 2009 précité : « 1. Le titulaire d'une autorisation accordée conformément à l'article 29 peut, au titre de la procédure de reconnaissance mutuelle prévue dans la présente sous-section, demander une autorisation pour un même produit phytopharmaceutique, une même utilisation et une utilisation selon des pratiques agricoles comparables dans un autre État membre, dans les cas suivants : « a) l'autorisation a été accordée par un État membre (État membre de référence) qui appartient à la même zone ; « b) l'autorisation a été accordée par un État membre (État membre de référence) qui appartient à une zone différente, à condition que l'autorisation demandée ne soit pas utilisée aux fins de la reconnaissance mutuelle dans un autre État membre de la même zone ; « c) l'autorisation a été accordée par un État membre pour une utilisation en serre ou en tant que traitement après récolte ou traitement de locaux ou de conteneurs vides utilisés pour le stockage de végétaux ou de produits végétaux ou pour le traitement des semences, indépendamment de la zone à laquelle l'État membre de référence appartient. « 2. Lorsqu'un produit phytopharmaceutique n'est pas autorisé dans un État membre, aucune demande d'autorisation n'y ayant été présentée, les organismes officiels ou scientifiques travaillant dans le domaine agricole ou les organisations agricoles professionnelles peuvent, au titre de la procédure de reconnaissance mutuelle visée au paragraphe 1, demander, avec l'accord du titulaire de l'autorisation, une autorisation pour le même produit phytopharmaceutique, la même utilisation et une utilisation selon les mêmes pratiques agricoles dans cet État membre. Dans ce cas, le demandeur doit démontrer que l'utilisation d'un tel produit phytopharmaceutique est d'intérêt général pour l'État membre d'introduction. « Lorsque le titulaire de l'autorisation refuse de donner son accord, l'autorité compétente de l'État membre concerné peut accepter la demande pour des raisons d'intérêt général ». La Commission indique, en troisième lieu, que l'article L124-2 du code de l'environnement qualifie d'informations relatives à l'environnement toutes les informations disponibles, quel qu'en soit le support, qui ont notamment pour objet : « 1º L'état des éléments de l'environnement, notamment l'air, l'atmosphère, l'eau, le sol, les terres, les paysages, les sites naturels, les zones côtières ou marines et la diversité biologique, ainsi que les interactions entre ces éléments ; 2º Les décisions, les activités et les facteurs, notamment les substances, l'énergie, le bruit, les rayonnements, les déchets, les émissions, les déversements et autres rejets, susceptibles d'avoir des incidences sur l'état des éléments visés au 1º ; 3º L'état de la santé humaine, la sécurité et les conditions de vie des personnes, les constructions et le patrimoine culturel, dans la mesure où ils sont ou peuvent être altérés par des éléments de l'environnement, des décisions, des activités ou des facteurs mentionnés ci-dessus (….) ». Selon les articles L124-1 et L124-3 du même code, le droit de toute personne d'accéder à des informations lorsqu'elles sont détenues, reçues ou établies par les autorités publiques ou pour leur compte, s'exerce dans les conditions définies par le titre Ier du livre III du code des relations entre le public et l'administration, sous réserve des dispositions du chapitre IV du titre II du livre Ier du code de l'environnement. A cet égard, les articles L124-4 et L124-5 précisent les cas dans lesquels l'autorité administrative peut rejeter une demande d'information relative à l'environnement, l’article L124-4 de ce code, précisant notamment qu’ « Après avoir apprécié l'intérêt d'une communication, l'autorité publique peut rejeter la demande d'une information relative à l'environnement dont la consultation ou la communication porte atteinte : 1° Aux intérêts mentionnés aux articles L311-5 à L311-8 du code des relations entre le public et l'administration (...) », au nombre desquels figure le secret des affaires protégé par le 1° de l'article L311-6 de ce code. En vertu des dispositions du II de l'article L124-5 du code de l'environnement, l'autorité publique ne peut rejeter une demande portant sur une information relative à des émissions de substances dans l'environnement que dans le cas où sa consultation ou sa communication porterait atteinte à la conduite de la politique extérieure de la France, à la sécurité publique ou à la défense nationale, ou encore au déroulement des procédures juridictionnelles, à la recherche d'infractions pouvant donner lieu à des sanctions pénales ou enfin à des droits de propriété intellectuelle. La Commission rappelle que les dispositions des articles L124-1 à L124-8 du code de l’environnement doivent être lues à la lumière des dispositions de la directive 2003/4/CE, dont elles assurent la transposition. La directive prévoit au d) du paragraphe 2 de son article 4 que les États membres peuvent prévoir qu'une demande d'informations environnementales peut être rejetée lorsque la divulgation des informations porterait atteinte à la confidentialité des informations commerciales ou industrielles, lorsque cette confidentialité est prévue par le droit national ou communautaire afin de protéger un intérêt économique légitime, y compris l'intérêt public lié à la préservation de la confidentialité des statistiques et du secret fiscal. Le dixième alinéa de ce même paragraphe 2, prévoit toutefois que les motifs de refus visés au paragraphe 2 sont interprétés de manière restrictive, en tenant compte dans le cas d'espèce de l'intérêt que présenterait pour le public la divulgation de l'information. Dans chaque cas particulier, l'intérêt public servi par la divulgation est mis en balance avec l'intérêt servi par le refus de divulguer. Il précise en outre que les États membres ne peuvent prévoir qu'une demande soit rejetée en vertu du paragraphe 2, points a), d), f), g) et h), lorsqu’elle concerne des informations relatives à des émissions dans l'environnement. Les dispositions de droit national pertinentes au regard de cette directive sont fixées aux 1° et 3° de l'article L311-6 du code des relations entre le public et l'administration et à l'article L312-1-2 du même code, en tant qu'il prévoit le respect des dispositions de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés. La Commission constate que la notion de confidentialité des informations commerciales et industrielles au sens du d) du paragraphe 2 de l'article 4 de la directive renvoie au droit national et estime que sont pertinentes, en l'espèce, les dispositions du 1° de l'article L311-6 du code des relations entre le public et l'administration. Depuis l'entrée en vigueur de l'article 4 de la loi n° 2018-670 du 30 juillet 2018 relative à la protection du secret des affaires, le 1° de l'article L311-6 du code des relations entre le public et l'administration a substitué la notion de « secret des affaires », inspirée, d'après les travaux parlementaires dont ces dispositions sont issues, de la directive (UE) 2016/943 du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2016 sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués (secrets d'affaires) contre l'obtention, l'utilisation et la divulgation illicites, à celle de secret commercial et industriel. Comme relevé précédemment, l'interprétation de l'exception tirée de la confidentialité des informations commerciales et industrielles doit demeurer stricte et s’apprécier au regard des éléments définis au 1° de l’article L311-6, qui dispose que le secret des affaires comprend le secret des procédés, le secret des informations économiques et financières et le secret des stratégies commerciales ou industrielles. Relèvent notamment de la deuxième catégorie le niveau d’activité d'une entreprise, ses coûts et sa prise de risque (volume de production ou chiffre d’affaires, prix, marges bénéficiaires, coûts, charges de personnel, rémunération des dirigeants non affectés à une mission de service public, niveau de charges ayant un impact direct sur son positionnement concurrentiel, niveau d’investissement, niveau de capacités et degré d’utilisation de celles-ci, volumes de matières premières utilisés, moyens logistiques et commerciaux, prix d’acquisition ou de cession d’actifs ou coût d’un investissement, enjeux de litiges en cours, sanctions ou pénalités contractuelles encourues, etc.), sauf à ce que les informations en cause fassent déjà l’objet d’une diffusion publique obligatoire en vertu du code de commerce ou du code monétaire et financier, et de la troisième catégorie les données laissant deviner la stratégie commerciale de l’entreprise ou son positionnement concurrentiel actuel ou futur (tarification et études marketing ; comptabilité analytique ; marge bénéficiaire ou part de marché par produit, activité ou point de vente ; prévisions de vente ou de réorganisations internes ; évolution du niveau des ventes ou de la fréquentation ; rôle, rentabilité et activité des distributeurs ; politique de remises et rabais, générale ou par client ou catégories de clients ; candidatures non retenues à un marché public, détail d’une offre ; rapport d’audit ; politique de recrutement ou projets de licenciement avant mise en œuvre des obligations légales prévues par le code du travail, notamment en cas d’obligation d’établissement d’un plan de sauvegarde de l’emploi ; organisation spécifique du travail, etc.). Par ailleurs, en vertu de l’article L124-4 du code de l’environnement, l’administration ne pourrait refuser la communication de ces informations, en dépit de leur « confidentialité », qu’après en avoir apprécié l’intérêt, notamment pour l’information du public et pour le demandeur. La Commission observe, enfin, que les limites du secret des affaires sont tracées, s’agissant des produits phytopharmaceutiques, par les dispositions combinées de l’article L521-7 du code de l’environnement et de l’article L253-2 du code rural. S’appliquent en outre les dispositions de l’article 63 du règlement du 21 octobre 2009, qui après avoir précisé que « Toute personne demandant que les informations soumises en application du présent règlement soient traitées de façon confidentielle est tenue d’apporter une preuve vérifiable démontrant que la divulgation de ces informations pourrait porter atteinte à ses intérêts commerciaux ou à la protection de sa vie privée et de son intégrité », fixe une liste positive des informations dont la divulgation serait en principe considérée comme portant atteinte à la protection des intérêts commerciaux ou de la vie privée et de la sécurité des personnes, à savoir la méthode de fabrication; la spécification d’impureté de la substance active, à l’exception des impuretés qui sont considérées comme importantes sur le plan toxicologique, écotoxicologique ou environnemental ; les résultats des lots de fabrication de la substance active comprenant les impuretés; les méthodes d’analyse des impuretés présentes dans la substance active fabriquée, sauf les méthodes d’analyse des impuretés considérées comme importantes sur le plan toxicologique, écotoxicologique et environnemental ; les liens existant entre un producteur ou un importateur et le demandeur ou le titulaire de l’autorisation ; les informations sur la composition complète d’un produit phytopharmaceutique ; le nom et l’adresse des personnes pratiquant des essais sur les vertébrés. La Commission observe, en outre, que ces dispositions prévoient que les règles relatives à la confidentialité des informations s’entendent, en la matière, sans préjudice des dispositions de la directive 2003/4/CE. A la lumière de ces textes, la Commission considère que les dispositions du II de l’article L124-5 du code de l’environnement doivent être interprétées comme permettant la divulgation d’informations relatives à des émissions de substance dans l’environnement ayant trait à la confidentialité des informations commerciales et industrielles. En revanche, les informations relatives à l'environnement qui n’ont pas trait à de telles émissions doivent faire l'objet d'un traitement permettant d'occulter les mentions relevant de la confidentialité au regard des informations commerciales ou industrielles, à moins que, à l'issue d'une mise en balance, l'autorité administrative conclue à un intérêt public supérieur de l'accès du public à l'ensemble des informations. Enfin, les documents, qui ne comportent pas d’informations relatives à l’environnement, sont soumis aux seules dispositions du livre III du code des relations entre le public et l'administration. Il en résulte que, tant qu’une décision n’a pas été prise sur la demande d’autorisation, ces documents et informations figurant dans le dossier de demande revêtent un caractère préparatoire qui fait obstacle à leur communication en application de l’article L311-2 de ce code. Ils deviennent ensuite communicables après occultation des mentions couvertes par le secret des affaires, déterminées conformément aux règles rappelées précédemment. Dans ce cadre, l’administration est tenue de refuser la communication des données couvertes par ce secret. 2. Application de ces principes en l’espèce : La Commission estime que les noms du produit similaire et de la société détenant l’AMM, ainsi que ceux des produits avec lesquels ce produit a été comparé et des organismes ayant réalisé les essais du produit sont des informations relatives à l'environnement au sens du 3° de l'article L124-1 du code de l'environnement. Elle considère que la communication combinée du nom du produit similaire et de la société détenant l’AMM est de nature à dévoiler le produit que cette dernière a développé et, par suite à révéler sa stratégie commerciale. Elle estime, toutefois, que le secret des affaires, en ce qu’il vise à éviter que soit dévoilée la stratégie commerciale d’une entreprise quant aux produits qu’elle envisage de commercialiser, ne saurait justifier le refus de communication d’un document administratif après que les produits en cause ont été mis sur le marché. Elle en déduit que ce secret ne saurait en l’espèce s’opposer à la communication de ces informations. Elle vous invite, dès lors, à les transmettre au demandeur. La Commission relève, ensuite, que le nom des produits avec lesquels le produit a été comparé, en l’absence de toute autre précision permettant d’identifier les entreprises les ayant développés, n’est pas à lui seul de nature à dévoiler la stratégie commerciale de ces entreprises. Elle en déduit que cette information est dès lors librement communicable. La Commission déduit, en outre des dispositions de l’article 63 du règlement du 21 octobre 2009 que le nom des organismes ayant réalisé les essais du produit n’est confidentiel que si ces essais ont été réalisés sur des vertébrés. Dans cette hypothèse, vous ne pourriez en outre refuser la communication de ces informations, en dépit de leur « confidentialité », qu’après en avoir apprécié l’intérêt, notamment pour l’information du public et pour le demandeur. Enfin, la Commission précise, s’agissant des lettres d’accès, qu’aux termes de l’article 3 du règlement du 21 octobre 2009 précité, « Aux fins du présent règlement, on entend par : (...) « lettre d’accès », tout document original par lequel le propriétaire de données protégées en vertu du présent règlement marque son accord sur l’utilisation de ces données, selon les conditions et modalités spécifiques, par l’autorité compétente en vue de l’autorisation d’un produit phytopharmaceutique ou de l’approbation d’une substance active, d’un synergiste ou d’un phytoprotecteur au profit d’un autre demandeur ». Il vous appartient en l’espèce d’apprécier la communicabilité des informations contenues dans ce document, au regard des principes rappelés ci-dessus, en appréciant notamment la volonté de leur auteur ainsi que les preuves apportées par ce dernier démontrant que la divulgation de ces informations pourrait porter atteinte à ses intérêts commerciaux ou à la protection de sa vie privée et de son intégrité. Vous pourriez, en outre, comme précédemment, refuser la communication de ces informations, en dépit de leur « confidentialité », après en avoir apprécié l’intérêt, notamment pour l’information du public et pour le demandeur.