Avis 20214846 Séance du 25/11/2021
Copie, dans un format numérique ouvert et réutilisable, des documents suivants :
1) la liste des demandes de licence d'exportation adressées par des entreprises françaises au Service des biens à double usage (SBDU) depuis sa création en 2010 ;
2) les échanges (courriels, compte rendus de réunions, délibérations) entre les entreprises X, X, X, X et X et le SBDU, sur la même période.
Monsieur X, journaliste à X, a saisi la Commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 21 juillet 2021, à la suite du refus opposé par le ministre de l'économie, des finances et de la relance à sa demande de copie, dans un format numérique ouvert et réutilisable, des documents suivants :
1) la liste des demandes de licences d'exportation adressées par des entreprises françaises au Service des biens à double usage (SBDU) depuis sa création en 2010 ;
2) les échanges (courriels, compte rendus de réunions, délibérations) entre les entreprises X, X, X, X et X et le SBDU, sur la même période.
1. Présentation du cadre juridique des biens à double usage :
La commission, qui a pris connaissance des observations du ministre de l'économie, des finances et de la relance, présentées par l’intermédiaire du chef du service des biens à double usage (SBDU), rappelle, à titre liminaire, que les biens à double usage sont des biens et équipements susceptibles d’avoir une utilisation tant civile que militaire ou pouvant, en tout ou partie, contribuer au développement, à la production, au maniement, au fonctionnement, à l'entretien, au stockage, à la détection, à l'identification, à la dissémination d'armes de destruction massive.
Elle souligne que le Règlement CE n° 428/2009 du Conseil du 5 mai 2009 a institué un régime communautaire de contrôle des exportations, des transferts, du courtage et du transit de biens à double usage. Ce règlement a été abrogé et remplacé par le Règlement (UE) 2021/821 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2021 instituant un régime de l’Union de contrôle des exportations, du courtage, de l’assistance technique, du transit et des transferts en ce qui concerne les biens à double usage. Ces Règlements fixent notamment la liste des biens à double usage et soumettent leur exportation à un régime d’autorisation. Ce contrôle est une exception à la libre circulation des biens, à la liberté d’établissement et à la libre concurrence, qui vise à prévenir le risque d’une utilisation militaire des biens à double usage par des États ou des groupes soumis à sanctions internationales ou encore d’une utilisation à des fins de prolifération.
En France, en application de l’article 1er du décret n° 2001-1192 du 13 décembre 2001 relatif au contrôle à l'exportation, à l'importation et au transfert de biens et technologies à double usage, ces autorisations sont délivrées par le service des biens à double usage, service à compétence nationale rattaché au chef du service de l'industrie de la direction générale des entreprises. Ce service statue sur les dossiers les plus sensibles après avis conforme de la commission interministérielle des biens à double usage.
Dans la majorité des cas, ces autorisations prennent la forme d’une licence individuelle, accordée pour un ou plusieurs biens à double usage identifiés et de même nature, destinés à une personne désignée, dans la limite d'une quantité et d'une valeur déterminées. Elles peuvent également, sous certaines conditions, prendre la forme simplifiée d’une licence globale, d’une licence générale nationale ou d’une autorisation générale d’exportation.
La commission précise, enfin, que conformément aux principes posés à l’article 15 du Règlement UE 2021/821 du 20 mai 2021, l’instruction des demandes d’autorisation a pour but de déterminer si le projet d’exportation peut être réalisé en prenant en considération les objectifs du cadre réglementaire du contrôle des biens à double usage, les engagements internationaux et la politique extérieure de la France, ainsi que les caractéristiques économiques et industrielles du projet.
Cet examen s’attache, d’une part, à déterminer si l’opération d’exportation envisagée nécessite une autorisation d’exportation « biens à double usage » et si la demande d’autorisation examinée est cohérente avec l’opération envisagée. Elle tend, d’autre part, à apprécier le niveau de sensibilité de l’exportation en fonction des caractéristiques techniques du produit, le niveau de sensibilité du pays de destination du projet d’exportation étudié et, enfin, le niveau de sensibilité de l’exportation en fonction de l’identité et des activités du destinataire et de l’utilisateur final.
2. Communicabilité des documents demandés :
2.1. En ce qui concerne le secret des affaires :
La commission rappelle qu’aux termes de l’article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration : « Ne sont communicables qu'à l'intéressé les documents administratifs : 1° Dont la communication porterait atteinte (…) au secret des affaires ».
La commission souligne que le secret des affaires, qui comprend le secret des stratégies industrielles et commerciales, le secret des procédés et le secret des informations économiques et financières, est apprécié en tenant compte du caractère concurrentiel, ou potentiellement concurrentiel de l’activité exercée.
En l’espèce, le chef du service des biens à double usage, a attiré l’attention de la commission sur la spécificité du marché des biens à double usage, sur les défis délicats que doivent relever les acteurs présents sur ce marché et sur la valeur commerciale et stratégique de ces biens.
La commission déduit de ces éléments que les documents mentionnés au point 2) de la demande, qui font d’ailleurs partie des dossiers de demande de licence d’exportation de biens à double usage déposés par ces cinq entreprises, instruits par le service des biens à double usage, sont nécessairement couverts par le secret des affaires.
Elle observe, par ailleurs, que la divulgation de la liste des demandes de licences d'exportation instruites par le service des biens à double usage, en tant qu’elle dévoilerait l’identité des entreprises exportatrices et des clients destinataires, lesquelles sont peu nombreuses sur ce marché, la nature et les caractéristiques des biens concernés et, enfin, le sort réservé à chaque demande, aurait également pour conséquence de révéler la spécialité et l’avancement technologique de ces entreprises et, partant, leur stratégie commerciale. Elle considère, dès lors, que cette liste est également protégée par le secret des affaires.
La commission déduit de ces éléments que les documents demandés sont protégés par les dispositions de l’article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration et ne sont, à ce titre, pas communicables.
2.2. En ce qui concerne les secrets protégés par l’article L311-5 du code des relations entre le public et l’administration :
La commission rappelle qu’aux termes de l’article L311-5 du code des relations entre le public et l’administration : « Ne sont pas communicables : (…) 2° Les autres documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait atteinte : a) Au secret des délibérations du Gouvernement et des autorités responsables relevant du pouvoir exécutif ; b) Au secret de la défense nationale ; c) A la conduite de la politique extérieure de la France ; d) A la sûreté de l'État, à la sécurité publique, à la sécurité des personnes ou à la sécurité des systèmes d'information des administrations ; (…). »
En l’espèce, comme elle l’a indiqué dans le dossier n° 20215653 inscrit à la même séance, la commission relève que les documents afférents aux dossiers de demandes d’exportation des biens à double usage sensibles, instruits par le SDBU après avis de la commission interministérielle sont, pour certains, couverts par le secret de la défense nationale. Elle déduit par ailleurs des informations portées à sa connaissance que ces documents sont, selon les cas, susceptibles de porter atteinte au secret des délibérations du Gouvernement, pour les dossiers qui impliquent l’arbitrage d’un cabinet ministériel, au secret de la politique extérieure de la France en ce que leur divulgation révèle, selon l’issue donnée au dossier, une appréciation des autorités françaises sur les États destinataires et permet de subodorer la nature des relations diplomatiques entre les autorités françaises et ces différents États, et enfin, à la sûreté de l'État, à la sécurité publique ou à la sécurité des personnes, dans la mesure où leur communication révélerait indirectement des informations sensibles sur l’activité des exportateurs et de leurs partenaires commerciaux ainsi que, dans certains cas, sur le pays de destination.
La commission déduit de ces éléments que les échanges mentionnés au point 2) de la demande, qui comme indiqué précédemment sont des éléments des dossiers de demande de licence d’exportation déposées par les cinq entreprises concernées, comportent nécessairement des éléments couverts par un ou plusieurs secrets protégés par les a) b), c) d) du 2° de l’article L311-5 du code des relations entre le public et l’administration. Elle émet, dès lors, un avis défavorable à leur communication.
S’agissant de la liste évoquée au point 1), compte tenu de la spécificité et du caractère sensible des biens à double usage ainsi que de la portée et la finalité du contrôle exercé par l’administration sur leur exportation, la commission considère que la divulgation des éléments d’information figurant sur la liste des dossiers instruits par le service des biens à double usage, qui permettrait notamment d’identifier les entreprises exportatrices et importatrices, qui préciserait l’objet et la nature des biens concernés et qui révélerait quelles suites ont été données aux différentes demandes, est également susceptible de porter atteinte aux secrets protégés par les a) b), c) d) du 2° de l’article L311-5 du code des relations entre le public et l’administration. Elle émet, dès lors, un avis défavorable à la demande en son point 1).