Conseil 20190422 Séance du 17/05/2019
Caractère communicable, au regard du secret des affaires, des questionnaires qui ont été administrés par l'institut CSA dans le cadre des études d'usages ayant permis l'élaboration par la Commission copie privée des nouveaux barèmes des rémunérations applicables à trois familles de supports : les disques durs externes, les tablettes tactiles multimédias et les téléphones multimédias.
La commission a examiné, dans sa séance du 17 mai 2019, votre demande de conseil relative au caractère communicable, au regard de la protection du secret des affaires garantie par le 1° de l'article L311-6 du code des relations entre le public et l'administration, des questionnaires administrés par l'institut CSA dans le cadre des études d'usages ayant permis l'élaboration par la Commission copie privée des nouveaux barèmes des rémunérations applicables aux disques durs externes, aux tablettes tactiles multimédias et aux téléphones multimédias.
La commission relève qu'aux termes de l'article L311-1 du code de la propriété intellectuelle: "Les auteurs et les artistes-interprètes des œuvres fixées sur phonogrammes ou vidéogrammes, ainsi que les producteurs de ces phonogrammes ou vidéogrammes, ont droit à une rémunération au titre de la reproduction desdites œuvres, réalisée à partir d'une source licite dans les conditions mentionnées au 2° de l'article L. 122-5 et au 2° de l'article L. 211-3./Cette rémunération est également due aux auteurs et aux éditeurs des œuvres fixées sur tout autre support, au titre de leur reproduction réalisée à partir d'une source licite, dans les conditions prévues au 2° de l'article L. 122-5, sur un support d'enregistrement numérique." Aux termes des troisième, quatrième et cinquième alinéas de l'article L311-4 du même code: « Le montant de la rémunération est fonction du type de support et de la durée ou de la capacité d'enregistrement qu'il permet ou, dans le cas mentionné au deuxième alinéa du présent article, du nombre d'utilisateurs du service de stockage proposé par l'éditeur ou le distributeur du service de radio ou de télévision et des capacités de stockage mises à disposition par cet éditeur ou ce distributeur./Ce montant est également fonction de l'usage de chaque type de support et, dans le cas mentionné au même deuxième alinéa, des capacités de stockage mises à disposition par un éditeur ou un distributeur d'un service de radio ou de télévision. Cet usage est apprécié sur le fondement d'enquêtes. Toutefois, lorsque des éléments objectifs permettent d'établir qu'un support ou une capacité de stockage mise à disposition par un éditeur ou un distributeur de service de radio ou de télévision peut être utilisé pour la reproduction à usage privé d'œuvres et doit, en conséquence, donner lieu au versement de la rémunération, le montant de cette rémunération peut être déterminé par application des seuls critères mentionnés au troisième alinéa, pour une durée qui ne peut excéder un an à compter de cet assujettissement./Le montant de la rémunération tient compte du degré d'utilisation des mesures techniques définies à l'article L. 331-5 et de leur incidence sur les usages relevant de l'exception pour copie privée. Il ne peut porter rémunération des actes de copie privée ayant déjà donné lieu à compensation financière ».
Il en résulte que la commission copie privée, chargée, par l'article L311-5 du code de la propriété intellectuelle de déterminer le montant de la compensation prévue par les dispositions précitées, doit apprécier, sur la base des capacités techniques des matériels et de leurs évolutions, le type d’usage qui en est fait par les différents utilisateurs, en recourant à des enquêtes et sondages qu’il lui appartient d’actualiser régulièrement (CE, 19 novembre 2014, Société Research in motion, nos 358734,358750,358751,358758). Cette méthode implique de mesurer l'usage licite par les consommateurs de différents supports d’enregistrement utilisable pour la reproduction d’œuvres à usage privé, notamment de leur durée d'utilisation et de leurs capacités d’enregistrement. La décision n° 18 du 5 septembre 2018 précise qu'il convient de distinguer cette compensation en fonction du « type d'œuvre copiée », « pour une capacité nominale d'enregistrement moyenne évaluée par les études pour chaque famille de support ou d'appareil », ainsi que les catégories d'appareils utilisées.
L'administration des études d'usage, prestation de services intellectuels, a été confiée à l'Institut CSA à l'issue d'une procédure concurrentielle avec négociation.
La commission relève que l'article 7 du cahier des clauses administratives particulières retient l'option B du cahier des clauses administratives générales en matière de propriété intellectuelle et prévoit que le titulaire cède au ministère de la Culture et de la Communication avec l'ensemble des garantes de droit et de faits associés, à titre exclusif, au fur et à mesure de leur réalisation, l'intégralité des droits patrimoniaux et notamment les droits d'exploitation, de reproduction, d'adaptation, de traduction, de l'ensemble des livrables établis dans le cadre de l'exécution du marché, la cession de ces droits étant comprise dans le prix du marché. La commission en déduit que les dispositions de l'article L311-4 du code des relations entre le public et l'administration ne s'opposent pas à la communication des questionnaires établis par l'Institut CSA sur le fondement de l'article L311-1 du même code.
Toutefois, cet institut, consulté dans le cadre de l'examen d'une demande de communication des questionnaires, fait valoir que cette communication porterait atteinte à son savoir-faire, protégé par les dispositions du 1° de l'article L311-6 de ce code.
La commission souligne que, selon une doctrine constante, le secret en matière commerciale et industrielle comprend trois composantes : les mentions protégées par le secret des procédés, les mentions protégées par le secret des informations économiques et financières et les mentions protégées par le secret des stratégies commerciales. Si le secret des affaires au sens du 1° de l'article L311-6 du code des relations entre le public et l'administration et de l'article L151-5 du code de commerce, auquel il y a lieu de se reporter pour apprécier cette notion eu égard aux travaux préparatoires de l'article 4 de la loi n° 2018-670 du 30 juillet 2018 relative à la protection du secret des affaires, requiert également un critère subjectif, tenant aux dispositions raisonnables prises pour conserver secrètes les informations en cause, la commission considère qu'il inclut les trois composantes du secret en matière commerciale et industrielle, qui en constituent les critères objectifs, en ce sens que de telles informations, dans leur globalité ou dans la configuration et l'assemblage exacts de leurs éléments, ne sont pas généralement connues des personnes appartenant aux milieux qui s'occupent normalement du genre d'informations en question, ou ne leur sont pas aisément accessibles et ont une valeur commerciale effective ou potentielle de ce fait.
La commission en déduit qu'il convient d'examiner si le « savoir-faire » est susceptible, en principe, de relever du secret des stratégies commerciales ou du secret des procédés.
La commission observe que le considérant 1 de la directive 2016/943 du 8 juin 2016 sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués (secrets d'affaires) contre l'obtention, l'utilisation et la divulgation illicites, qui contribue à éclairer la finalité poursuivie par la protection du savoir-faire résultant de l'article L151-5 du code de commerce, dispose que les « secrets d'affaires » constituent les informations commerciales de valeur qui ne sont pas déjà protégées par les brevets, les dessins et modèles et le droit d'auteur, le considérant 14 précisant que « La définition du secret d'affaires exclut les informations courantes et l'expérience et les compétences obtenues par des travailleurs dans l'exercice normal de leurs fonctions et elle exclut également les informations qui sont généralement connues de personnes appartenant aux milieux qui s'occupent normalement du genre d'informations en question, ou qui leur sont aisément accessibles ». La commission relève que le « savoir-faire » n'est pas expressément protégé par les dispositions du code de la propriété industrielle ou du code de la propriété intellectuelle, qu'elles soient antérieures à la transposition de cette directive ou qu'elles aient été prises à cet effet.
Cette notion est toutefois définie pour la mise en œuvre de l'article 101, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Aux termes de l'article 1er, sous g) du règlement (UE) n° 330/2010 du 20 avril 2010 de la Commission européenne concernant l'application de cet article à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées, le savoir-faire est défini comme "un ensemble secret, substantiel et identifié d'informations pratiques non brevetées, résultant de l'expérience (...); dans ce contexte, « secret » signifie que le savoir-faire n'est pas généralement connu ou facilement accessible; « substantiel » se réfère au savoir-faire qui est significatif et utile à l'acheteur aux fins de l'utilisation, de la vente ou de la revente des biens ou des services contractuels; « identifié » signifie que le savoir-faire est décrit d'une façon suffisamment complète pour permettre de vérifier s'il remplit les conditions de secret et de substantialité". Aux termes du i) de l'article 2 du règlement (UE) n° 316/2004 du 21 mars 2014 de la Commission européenne relatif à l’application de ce même article du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne à des catégories d’accords de transfert de technologie, le « savoir-faire » est défini comme « un ensemble d’informations pratiques, résultant de l’expérience et testées, qui est:/i) secret, c’est-à-dire qu’il n’est pas généralement connu ou facilement accessible, ii) substantiel, c’est-à-dire important et utile pour la production des produits contractuels, et; iii) identifié, c’est-à-dire décrit d’une façon suffisamment complète pour permettre de vérifier qu’il remplit les conditions de secret et de substantialité ».
La commission estime qu'il résulte de ce qui précède que le savoir-faire n'est, au regard des dispositions du 1° de l'article L311-6 du code des relations entre le public et l'administration, susceptible d'être protégé que dans le cadre d'accords de distribution de produits ou de transferts de technologie de production, ou dans celui de stipulations contractuelles définissant le savoir-faire, prévoyant des mesures explicites de protection de celui-ci, lorsque l'objet protégé exclut les informations courantes, l'expérience et les compétences obtenues par des travailleurs dans l'exercice normal de leurs fonctions ou les informations qui sont généralement connues de personnes appartenant aux milieux qui s'occupent normalement du genre d'informations en question, ou qui leur sont aisément accessibles.
Ayant pris connaissance du questionnaire intitulé « smartphone », d'un volume de quarante pages, dédié aux possesseurs de ces appareils, la commission constate qu'il se décompose en blocs de questions :
1) catégorie de personne interrogée (identité, âge, sexe, origine géographique, taille de la commune de résidence, catégorie socio-professionnelle, nombre de personnes dans le foyer, niveau de diplôme...), ces questions figurant au début et à la fin du questionnaire ;
2) marque et modèle de téléphone, caractéristiques techniques en termes de mémoire, stockage, système d'exploitation, durée de possession, possession d'autres appareils;
3) pratiques de copie et de synchronisation, mesure des fichiers présents et nature de ceux-ci, déclarations d'usage, les questions générales étant ensuite déclinées par type de fichier (musique, audiovisuel, images, textes), afin de préciser l'origine et la source des œuvres, leur nature, et le retrait ou non de mesures de protection.
La commission estime, en premier lieu, que les questions relevant du 1) et du 2) et que les questions A6a, B6a, C7a, et D6a, orientées de manière directe par les dispositions précitées du code de la propriété intellectuelle et le cahier des clauses techniques particulières, ne présentent pas un caractère « secret » en ce sens qu'elles ne seraient pas généralement connues ou facilement accessibles par les professionnels des instituts de sondage.
La commission considère, en second lieu, que si la conception du questionnaire, sa structure générale, les conseils méthodologiques s'adressant aux enquêteurs et certaines des questions posées, attestent de recherches particulières de l'Institut CSA et de ses employés, notamment les questions A9, B9, C9a, C10, D8a, D9, et peuvent être susceptibles d'être qualifiés d’œuvres de l'esprit au sens de l'article L112-2 du code de la propriété intellectuelle, ces éléments, qui ne sont manifestement pas mis en œuvre dans le cadre d'un accord de commercialisation ou de transfert de technologie, ne peuvent être regardés comme révélant la stratégie commerciale de l'Institut CSA ou comme constituant un secret substantiel ayant fait l'objet de mesures de protection particulières, dans le sens ci-dessus précisé,, par des stipulations contractuelles ou par le cahier des clauses techniques particulières.
Dès lors, par ailleurs, que, comme déjà relevé, l’État est propriétaire des droits d'auteur en vertu de l'article 7 du cahier des clauses administratives particulières, la commission vous conseille de communiquer le questionnaire dont elle a pris connaissance à toute personne qui les demande sur le fondement du Livre III du code des relations entre le public et l'administration. Eu égard à l'objet du marché et à la nature des questionnaires, la commission considère que ceux concernant les tablettes tactiles multimédias et les disques durs externes, dont elle n'a pas pris connaissance, devraient également, en principe, pour les mêmes motifs, être communicables.
La commission souligne en revanche que les résultats bruts des questionnaires, non agrégés, sont susceptibles de contenir des informations relevant du secret des affaires des entreprises commercialisant des supports d'enregistrement, des sources d'enregistrement, et des systèmes d'exploitation ainsi que des entreprises exploitant des sites internet et des éditeurs.