Conseil 20183379 Séance du 25/10/2018

Caractère communicable, aux administrateurs et liquidateurs judiciaires, de toutes informations concernant les entreprises soumises à procédures judiciaires : 1) les éventuelles sanctions ; 2) les lettres d'observations ; 3) les procédures pénales, etc.
La commission d'accès aux documents administratifs a examiné, dans sa séance du 25 octobre 2018, votre demande de conseil relative au caractère communicable, aux administrateurs et liquidateurs judiciaires,de toutes informations concernant les entreprises soumises à de telles procédures judiciaires : 1) les éventuelles sanctions ; 2) les lettres d'observations ; 3) les documents ayant trait à des procédures pénales, etc. I. Sur le caractère de document administratif : La commission rappelle qu'aux termes de l'article L300-2 du code des relations entre le public et l'administration : « Sont considérés comme documents administratifs, au sens des titres Ier, III et IV du présent livre, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l'Etat, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d'une telle mission. Constituent de tels documents notamment les dossiers, rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis, prévisions, codes sources et décisions. » Les documents détenus ou élaborés par l'inspection du travail concernant les entreprises soumises à son contrôle constituent donc, en principe, des documents administratifs communicables dans les conditions prévues par le livre III du code des relations entre le public et l'administration. Le Conseil d’État a, en particulier, jugé que les lettres d’observations adressées par l’inspection du travail aux employeurs à l’issue de contrôles effectués dans leurs établissements, après avoir relevé qu'elles résultaient de la seule pratique administrative et que ni leur objet, ni leur contenu n’est défini par aucun texte, étaient des documents administratifs (CE, 21 octobre 2016, Union départementale CGT d'Ille-et-Vilaine, n° 392711, mentionnée aux tables du Recueil). La commission rappelle qu'en revanche, ne revêtent pas le caractère de documents administratifs, au sens et pour l'application du livre III du code des relations entre le public et l'administration, les pièces relevant de l’autorité judiciaire, notamment, l’ensemble des documents élaborés pour les besoins et dans le cadre d’une procédure juridictionnelle, tels que les procès-verbaux d'infraction aux dispositions légales sur le régime du travail ou aux stipulations des conventions et accords collectifs, établis en application des articles L8112-1 et L8113-7 du code du travail, ainsi que les mises en demeure qui, le cas échéant, les précèdent, ou encore les courriers par lesquels sont dénoncés, en application de l’article 40 du code de procédure pénale, des faits susceptibles de recevoir une qualification pénale. La commission rappelle, enfin, que le f) du 2° de l'article L311-5 du code des relations entre le public et l'administration prévoit que ne sont pas communicables les documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait atteinte « au déroulement des procédures engagées devant les juridictions ou d'opérations préliminaires à de telles procédures, sauf autorisation donnée par l'autorité compétente ». Elle souligne, à cet égard, que le Conseil d'Etat a jugé, dans sa décision du 21 octobre 2016 n° 380504 (aux tables), que si la seule circonstance que la communication d’un document administratif soit de nature à affecter les intérêts d’une partie à une procédure juridictionnelle, ou qu’un document ait été transmis à une juridiction dans le cadre d’une instance engagée devant elle, ne fait pas obstacle à la communication de ces documents, cette communication est en revanche exclue, sauf autorisation donnée par l’autorité judiciaire ou par la juridiction administrative compétente, dans l’hypothèse où elle risquerait d’empiéter sur les compétences et prérogatives de cette autorité ou de cette juridiction. Le Conseil d'État a considéré, à cet égard, qu'il résulte des articles 40 et 41 du code de procédure pénale que, dès lors qu’un document administratif a été transmis au procureur de la République sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale, il appartient à l’autorité saisie d’une demande de communication de ce document de rechercher, à la date à laquelle elle se prononce, les suites données à cette transmission ou susceptibles de l’être, afin de déterminer, à moins que l’autorité judiciaire compétente ait donné son accord, si la communication du document sollicité est de nature à porter atteinte au déroulement de procédures juridictionnelles ou d’opérations préliminaires à de telles procédures en empiétant sur les prérogatives de cette autorité. II. Sur la qualité de personne intéressée au sens de l'article L311-6 du code des relations entre le public et l'administration : La commission rappelle, à titre liminaire, que le droit d'accès prévu par le livre III du code des relations entre le public et l'administration est ouvert à toute personne, indépendamment des fonctions qu'elle exerce ou des mandats qu'elle détient. Il s'applique également sans préjudice des droits d'information que les administrateurs et liquidateurs judiciaires tirent, en cette qualité, de textes particuliers, notamment du Livre VI du code de commerce. La commission rappelle ensuite que si les documents administratifs sont en principe communicables à toute personne qui en fait la demande, la communication des documents administratifs comportant des mentions protégées par le secret des affaires ou qui font apparaître le comportement d'une personne physique ou morale, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice, ne sont communicables qu'à la personne intéressée au sens de l'article L311-6 du code des relations entre le public et l'administration. S'agissant des documents mettant en cause une entreprise, doivent être regardées comme personnes intéressées les représentants légaux de cette entreprise. La commission considère que les administrateurs et mandataires judiciaires peuvent également être considérés comme personnes intéressées au sens de ces dispositions, en fonction des missions qui leur sont confiées par la loi et le juge judiciaire. La commission constate ainsi que lorsque l'administrateur judiciaire, qui est défini par l'article L811-1 du code du commerce comme un mandataire chargé « par décision de justice d'administrer les biens d'autrui ou d'exercer des fonctions d'assistance ou de surveillance dans la gestion de ces biens », se voit confier, par le juge, l'administration provisoire d'une entreprise, sa désignation entraîne le dessaisissement du représentant légal de l'entreprise (Cass. 3e civ., 25 oct. 2006). La commission en déduit qu'il constitue alors une personne intéressée au sens de l'article L311-6 du code des relations entre le public et l'administration. En revanche, l'administrateur judiciaire ne peut être regardé comme une personne intéressée, quand le juge le charge d'un mandat ad hoc pour une mission ponctuelle, sans que les dirigeants soient relevés de leurs fonctions d'administration courante, ou de la mise en œuvre d'une procédure de sauvegarde, dès lors que, dans un tel cas, le dirigeant n'est pas dessaisi de la gestion de l'entreprise et que l'administrateur n'exerce à son égard qu'une mission de surveillance ou d'assistance (article L622-1 du code du commerce). Enfin, dans le cas de l'engagement d'une procédure de redressement judiciaire, il résulte de l'article L631-12 du code du commerce que la mission de l'administrateur est fixée par le tribunal, qui peut le charger d'assister le débiteur pour tous les actes relatifs à la gestion ou certains d'entre eux, ou d'assurer seuls, entièrement ou en partie, l'administration de l'entreprise. La commission considère que ce n'est que dans cette dernière hypothèse, que l'administrateur judiciaire doit être assimilé à une personne intéressée susceptible d'accéder aux documents de l'inspection du travail sans occultation. Quant au mandataire judiciaire, défini par l'article L812-1 du code du commerce comme le mandataire « chargé par décision de justice de représenter l'ensemble des créanciers dans le cadre d'une procédure de redressement judiciaire et de procéder à la liquidation d'une entreprise », la commission considère que celui-ci ne doit pas être regardé comme une personne directement intéressée au sens du code des relations entre le public et l'administration lorsque sa mission ne consiste, dans le cadre d'une procédure collective, qu'à représenter les créanciers. Il en va différemment lorsqu'il a été désigné liquidateur de la société et qu'il est alors chargé de mettre en œuvre la cession globale de l'entreprise avec ses salariés ou la vente séparée de ses actifs mobiliers et immobiliers et recouvrer les sommes dues par les clients. Avant de procéder à la communication de documents administratifs à un administrateur ou à un mandataire judiciaire, la commission vous conseille, par conséquent, de leur demander la production préalable de la décision de justice par laquelle ils ont été nommés et qui a défini l'étendue de leurs missions, afin de déterminer s'ils peuvent avoir accès, sans occultation, aux documents de l'inspection du travail concernant l'entreprise dont ils ont la charge.