Conseil 20152823 Séance du 30/07/2015
Demande de conseil sur le régime applicable, les délais d'ouverture par anticipation et la réutilisation des archives de l'occupation française en Allemagne et en Autriche relative à la dénazification.
La commission d'accès aux documents administratifs a examiné dans sa séance du 30 juillet 2015 votre demande de conseil sur le régime applicable, les délais d'ouverture par anticipation et la réutilisation des archives de l'occupation française en Allemagne et en Autriche relative à la dénazification.
La commission comprend que les documents sur lesquels porte votre demande de conseil se rapportent au processus d’épuration administrative mené, à la suite des accords conclus à Postdam le 2 août 1945, sous l’autorité de la République française dans les zones allemandes et autrichiennes soumises à son contrôle. Ces documents résultent, pour l’essentiel, de l’activité des chambres dites de dénazification (« Spruchkammern »), instituées, s’agissant des zones allemandes du Bade et du Wurtemberg, par des lois concernant la libération du national-socialisme et du militarisme, adoptées par les parlements locaux concernés les 29 mars 1947 et 25 avril 1947. Inspirées de celles créées dans les zones d’occupation américaine, ces chambres avaient pour fonction, au vu de questionnaires renseignés par des citoyens allemands majeurs, de classer les intéressés, selon cinq catégories correspondant à leur degré de compromission à l’égard du nazisme – principaux coupables, individus compromis, individus peu compromis, suiveurs, individus exonérés – et, le cas échéant, de prononcer des sanctions par une décision rendue sans audition et insusceptible de recours.
Bien que disposant d’éléments parcellaires quant aux conditions de création et de fonctionnement de ces chambres, la commission estime, en premier lieu, que dès lors que les documents procédant de leur activité ont été communiqués aux autorités françaises en qualité de puissance occupante, ces documents présentent le caractère d’archives publiques et ce, quel qu'ait pu être, dans les faits, le degré d’intervention des autorités françaises dans le processus de dénazification ainsi mené. En vertu de cette constatation, et sans qu’y fasse obstacle la circonstance que les documents en cause concernent exclusivement des citoyens allemands, elle estime qu'il y a donc bien lieu d'appliquer aux archives que vous conservez dans votre service à ce titre, les règles d'accès prévues par le droit français, notamment celles découlant des articles L213-2 et suivants du code du patrimoine.
La commission comprend ensuite qu’estimant les archives en cause couvertes par le délai de soixante-quinze ans prévu par l’article L213-4 de ce code s’agissant d’affaires portées devant les juridictions ou couvertes par le secret en matière de statistiques, vous tendez, dans la pratique, à accorder de manière quasiment systématique l’accès par dérogation audit délai des documents demandés, lorsque vous êtes saisis, via les autorités allemandes, de demandes émanant de chercheurs ou inscrites dans le cadre de recherches personnelles ou familiales. Les délais de communication de documents de cette nature étant cependant expirés en Allemagne, vous êtes saisis, de la part des autorités archivistiques allemandes, d’une demande d’ouverture de ces archives aux fins de numérisation et d’une éventuelle réutilisation.
En ce qui concerne, tout d’abord, les délais de communication applicables et compte tenu des informations que vous avez portées à sa connaissance, la commission estime que s’agissant de documents dont la divulgation porterait atteinte au secret de la vie privée des personnes visées par les procédures en cause, portant des appréciations ou jugements de valeur sur des personnes physiques nommément désignées ou facilement identifiables, ou révélant de leur part un comportement dont la divulgation pourrait leur porter préjudice, ces documents ne sont communicables qu’après un délai de cinquante ans à compter de la date des documents ou du document le plus récent inclus dans le dossier, délai aujourd’hui expiré.
S’agissant de l’application des délais plus longs prévus par les dispositions du a) du 4° du I de l’article L213-2 du code du patrimoine, la commission relève, en premier lieu, qu’en vertu de l’article 6 de la loi du 7 juin 1951 sur l’obligation, la coordination et le secret en matière de statistiques, les renseignements individuels figurant dans les enquêtes statistiques des services publics et ayant trait à la vie personnelle et familiale et, d'une manière générale, aux faits et comportements d'ordre privé ne peuvent, sauf décision de l'administration des archives, faire l'objet d'aucune communication de la part du service dépositaire avant l'expiration d'un délai de soixante-quinze ans suivant la date de réalisation de l'enquête ou d'un délai de vingt-cinq ans à compter de la date du décès de l'intéressé, si ce dernier délai est plus bref. Les questionnaires remplis par la population allemande à l’occasion des procédures d’épuration étant cependant dépourvus de finalité statistique et n’entrant pas dans le champ de cette loi, au demeurant postérieure, la commission estime qu’il n’y a pas lieu d’appliquer aux documents faisant l’objet de votre demande de conseil, le délai de soixante-quinze ans prévu par la loi de 1951 et rappelé au a) du 4° du I de l’article L213-2 du code du patrimoine.
La commission rappelle, en second lieu, qu’en vertu du c) du 4° du I de ce même article, les documents relatifs aux affaires portées devant les juridictions, notamment les pièces d'un dossier d'instruction pénale, ne sont communicables à toute personne qui le demande qu’à l'expiration d'un délai de soixante-quinze ans à compter de la date du document ou du document le plus récent inclus dans le dossier, ou de vingt-cinq ans à compter de la date du décès de l'intéressé si ce dernier délai est plus bref. Ne présentent le caractère de documents relatifs aux affaires portées devant les juridictions, au sens de cette disposition, que les documents que leur caractère juridictionnel exclut du champ d’application de la loi du 17 juillet 1978, c’est-à-dire les documents produits ou reçus dans le cadre ou pour les besoins d’une procédure juridictionnelle. Il s’agit ainsi, notamment, des jugements, ordonnances, décisions ou arrêts rendus par les juridictions de l’ordre judiciaire ou administratif, des dossiers de demande d’aide juridictionnelle, des décisions du parquet, des dossiers d’instruction, des procès-verbaux d’audition, des rapports d’expertise ou des mémoires et observations des parties, c’est-à-dire de l’ensemble des pièces de procédure proprement dites, mais aussi des documents émanant des juridictions et qui se rattachent à la fonction de juger dont elles sont investies, y compris les documents de travail internes destinés à leurs membres et concourant à l’instruction des affaires ou à la formation des jugements.
La commission considère que l’application de tels délais n’est possible qu’à la condition que les chambres d’épuration puissent être qualifiées, au sens et pour l’application de ces dispositions, de juridictions, et le processus de dénazification, tel qu’elles l’ont mené, de procédure juridictionnelle. Elle relève, à cet égard, ainsi que vous l’avez-vous-même indiqué à l’appui de votre demande de conseil, que ces chambres sont peu documentées en tant qu’institutions et que, n’étant pas en possession des documents à l’origine de leur création, vous vous êtes appuyés, pour estimer que les archives produites par ces chambres étaient relatives à des affaires portées devant les juridictions, sur un ensemble de critères matériels tels que le prononcé de sanctions de nature administrative ou pénale ou la composition de ces chambres, impliquant notamment la présence d’un magistrat.
La commission estime, pour sa part, que des critères de cette nature ne suffisent pas, à eux seuls, à établir que ces chambres aient été instituées comme des juridictions autonomes ou dépendant de l’autorité judiciaire française ou allemande. La commission, en l’absence de tout autre élément, en déduit que ces critères, ne permettent pas, à eux seuls, de retenir que les documents en cause seraient relatifs à des affaires portées devant les juridictions au sens des dispositions précitées du code du patrimoine et qu’il n’y a donc pas lieu d’appliquer le délai de soixante-quinze ans prévu par le c) du 4° du I de l’article L213-2 de ce code.
La commission considère donc que les documents sur lesquels porte votre demande de conseil sont devenus librement communicables à l’expiration du délai de cinquante ans prévu par les dispositions du 3° du I de ce même article.
La commission précise ensuite que la numérisation des archives par les autorités allemandes ne constitue pas, par elle-même une réutilisation, mais que vous n’êtes légalement tenus de faire droit à une telle demande que si celle-ci n’excède pas les contraintes liées au fonctionnement de votre service, ce qui ne semble pas être le cas en l’espèce.
En ce qui concerne enfin l’éventuelle réutilisation des documents précités, la commission rappelle que les services d’archives ne disposent pas d’un pouvoir discrétionnaire leur permettant d’apprécier l’opportunité de faire droit ou non à une demande de réutilisation. Toutefois une interdiction de réutilisation peut être légalement fondée, si elle est justifiée par des motifs d’intérêt général suffisants et si elle est proportionnée à la sensibilité des données en cause ainsi qu’à la nature de l’usage envisagé. Vous pouvez également fixer, en vertu de l’article 11 de la loi du 17 juillet 1978, les conditions dans lesquelles les informations peuvent être réutilisées, dans le respect des autres dispositions législatives et réglementaires en vigueur.
En l’absence d’indications suffisamment précises, outre la conservation de documents d’archives les concernant directement, quant aux finalités envisagées par les autorités allemandes pour la réutilisation des données ainsi obtenues, la commission rappelle que celle-ci doit notamment être faite dans le respect des dispositions du I de l'article 8 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés qui énonce l'interdiction de collecter ou de traiter des données à caractère personnel qui font apparaître, directement ou indirectement, les origines raciales ou ethniques, les opinions politiques, philosophiques ou religieuses ou l'appartenance syndicale des personnes, ou qui sont relatives à la santé ou à la vie sexuelle de celles-ci, ce que la mise en place d'une base de données destinée à consulter librement les reproductions numériques de vos documents serait susceptible de faire.