Avis 20233185 Séance du 06/07/2023

Madame X a saisi la Commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 29 mai 2023, à la suite du refus opposé par le ministre de la santé et de la prévention à sa demande de communication, dans un format numérique, ouvert et réutilisable, de l'ensemble des travaux du Comité Analyse Recherche Expertise (CARE) depuis son installation le 24 mars 2020 et notamment : 1) les comptes rendus/procès-verbaux de réunion permettant de savoir quelles sont les personnes/entités qui ont été entendues par les membres du comité CARE en vue de rédiger leurs notes en avis ; 2) les avis sur des projets scientifiques de recherche qui ont été soumis par des entreprises ou des universités ; 3) les notes de conseil au Gouvernement. Dans le cadre de l'instruction d'une saisine ayant pour objet le refus opposé à la demande de communication des mêmes documents formulée par Madame X auprès de la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, la commission a été informée par cette dernière que les documents mentionnés au point 1) n'existaient pas, aucun compte rendu ou procès-verbal n'ayant été établi. La commission ne peut dès lors que déclarer la demande d'avis sans objet sur ce point. La commission relève ensuite que selon le communiqué du ministère de la santé du 24 mars 2020, l’installation à cette date du CARE avait pour objectifs « d’éclairer les pouvoirs publics dans des délais très courts sur les suites à donner aux propositions d’approche innovantes scientifiques, technologiques et thérapeutiques formulées par la communauté scientifique française et étrangère pour répondre à la crise sanitaire du Covid-19 et vérifier que les conditions de déploiement et de portage sont réunies ; de solliciter la communauté scientifique pour faire des propositions sur des thématiques identifiées par le ministère des solidarités et de la santé ou le ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. (…). » Ce « comité d’expertise rapide » était composé de douze médecins et chercheurs, sous la présidence de Madame X. Une note de la ministre en date du 3 avril 2020 en a précisé le rôle, la composition et appelé les directeurs des organismes de recherches et d'établissements d'enseignement supérieur à proposer « des idées, des actions, des innovations dans tous les domaines, pouvant avoir un impact rapide sur la situation et que les proposants sont en capacité de mener, au moins dans leur première phase, avec les moyens dont ils disposent ». La commission rappelle, en premier lieu, que l’article L311-6 s’oppose à ce que soient divulgués à des tiers les documents dont la « communication porterait atteinte (…) au secret des affaires, lequel comprend le secret des procédés, des informations économiques et financières et des stratégies commerciales ou industrielles et est apprécié en tenant compte, le cas échéant, du fait que la mission de service public de l'administration mentionnée au premier alinéa de l'article L300-2 est soumise à la concurrence ». Elle précise qu’aux termes de l’article L151-1 du code de commerce, est protégée par le secret des affaires toute information répondant aux critères suivants : « (…) 1° Elle n'est pas, en elle-même ou dans la configuration et l'assemblage exacts de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d'informations en raison de leur secteur d'activité ; 2° Elle revêt une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret ; 3° Elle fait l'objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret ». La commission précise que les documents administratifs et financiers relatifs aux conditions d’exercice des missions des personnes morales de droit public chargées d'une mission de service public dont l'objet principal n'est ni industriel, ni commercial sont intégralement communicables à toute personne, sans que puisse être opposé le secret des affaires et nonobstant le fait que leur activité s’inscrive dans un environnement concurrentiel (avis n° 20210291 du 4 mars 2021 ; n° 20216119 du 16 décembre 2021). La commission rappelle, en deuxième lieu, qu’en application du a) du 2° de l'article L311-5 du code des relations entre le public et l'administration et du a) du 1° du I de l’article L213-2 du code du patrimoine, les documents dont la divulgation porterait atteinte au secret des délibérations du Gouvernement et des autorités responsables relevant du pouvoir exécutif ne sont pas communicables avant l’expiration d’un délai de vingt-cinq ans à compter de leur élaboration ou de la date du document le plus récent figurant dans le même dossier. Relèvent de cette catégorie les documents élaborés ou reçus par les formations collégiales du Gouvernement, en particulier les comptes rendus du conseil des ministres, des conseils ou comités interministériels et des réunions interministérielles (CE, 10 mai 1996, n° 163607), ainsi que les documents dont le Président de la République, le Premier ministre ou, le cas échéant, l'un de ses ministres ont demandé l'élaboration pour définir la politique du Gouvernement, et qui présentent une sensibilité particulière. (CE, 2 décembre 1987, n° 74637 et CE, 12 octobre 1992, n° 106817, Association SOS Défense). N’entrent en revanche pas dans ce champ, les documents, élaborés par une entité administrative agissant dans le cadre de ses missions, qui ne s’inscrivent pas dans le processus décisionnel du Gouvernement et ne procèdent pas d’une initiative politique de sa part. La commission à toutefois estimé, dans un avis n° 20230184 du 16 février 2023, qu’il ne résulte pas des attributions et de la composition du CARE, telles que décrites par le communiqué du 24 mars 2020, que ce comité aurait eu pour vocation de participer à la définition de la politique du Gouvernement et que les exemples de notes dont elle avait pu prendre connaissance, qui ne répondaient pas à une demande du Président de la République, du Premier ministre ou d'un ministre pour préparer une future décision, ne faisaient pas apparaître, par leur contenu, qu'elles s'inscriraient dans le processus décisionnel du Gouvernement ou procéderaient d'une initiative politique de sa part. La commission estime donc que les documents sollicités, dont elle n'a pas pu prendre connaissance, constituent des documents administratifs communicables à toute personne qui en fait la demande, en application de l'article L311-1 du code des relations entre le public et l'administration, sous réserve de l'occultation des seules mentions qui seraient couvertes par le secret des affaires. A toutes fins utiles, la commission rappelle qu'aux termes de l’article L311-4 du code des relations entre le public et l’administration : « les documents administratifs sont communiqués sous réserve des droits de propriété littéraire et artistique ». Dans sa décision du 8 novembre 2017, n° 375704, le Conseil d’État a précisé que la réserve des droits de propriété intellectuelle implique, avant de procéder à la communication d’un document n’ayant pas déjà fait l’objet d’une divulgation, au sens de l’article L121-2 du code de la propriété intellectuelle, de recueillir l’accord de son auteur. Dans un avis n° 20224541 du 8 septembre 2022, la commission a précisé que les agents publics qui entrent dans le champ d’application du dernier alinéa de l’article L111-1 du code de la propriété intellectuelle, à l’instar des personnels de recherche des établissements publics, détiennent des droits de propriété intellectuelle sur les œuvres de l’esprit qu’ils créent. La commission considère dès lors, ainsi qu'elle l'a fait dans son avis n° 20230184 du 16 février 2023, qu'il appartient à l'administration de s'assurer que les propositions, telles qu’elles ont été soumises au CARE et au regard des développement dont elles ont fait l'objet, puissent être qualifiées d’œuvre de l’esprit et à recueillir, le cas échéant, l’accord de leurs auteurs avant de procéder à la communication des documents sollicités. La commission émet donc, sous les réserves précitées, un avis favorable sur les points 2) et 3). En réponse à la demande qui lui a été adressée, le ministre de la santé et de la prévention a informé la commission ne pas détenir les documents demandés et avoir transmis la demande de Madame X à la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche compétente pour y donner suite. Dans ces conditions et dès lors que Madame X l'a également saisie du refus opposé par la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche à sa demande de communication des mêmes documents, la commission estime que l'obligation de transmission de la demande à l'autorité susceptible de détenir les documents, en vertu du sixième alinéa de l’article L311-2 du code des relations entre le public et l’administration, ne présente en l’espèce pas de caractère utile.