Avis 20233121 Séance du 20/07/2023

Madame X a saisi la Commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 24 mai 2023, à la suite du refus opposé par le directeur général des patrimoines à sa demande de consultation par dérogation aux délais fixés par l'article L213-2 du code du patrimoine, des sous-dossiers suivants, conservés aux Archives nationales au sein du dossier « Surveillance et contrôle des activités politiques des étrangers en France » (cote X), qu'elle souhaite étudier à titre d'exemple dans le cadre de ses recherches pour sa thèse de doctorat à l'université X sur les communautés rurales en France et en Allemagne de l'ouest de 1968 à 1985 : X La commission rappelle à titre liminaire que, par principe, les documents d'archives sont communicables de plein droit, en vertu de l'article L213-1 du code du patrimoine. Néanmoins, par dérogation, certaines catégories de documents, en raison des informations qu'ils contiennent, ne sont pas immédiatement communicables et ne le deviennent qu’aux termes des délais et dans les conditions fixés par l'article L213-2 du même code. A cet égard, les documents dont la communication porterait atteinte à la sécurité publique ou au secret de la vie privée deviennent communicables à l’expiration d’un délai de cinquante ans à compter de la date du document ou du document le plus récent inclus dans le dossier. La commission précise, par ailleurs, qu'en vertu de l'article L213-3 du code du patrimoine, une autorisation de consultation, par anticipation aux délais prévus par l'article L213-2 précité, peut cependant être accordée par l’administration des archives aux personnes qui en font la demande dans la mesure où l'intérêt qui s'attache à la consultation des documents ne conduit pas à porter une atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger. Cette autorisation requiert l’accord préalable de l'autorité dont émanent les documents, l’administration des archives étant tenue par l’avis donné, dans le cas où il serait défavorable. La commission rappelle que pour apprécier l'opportunité d'une communication anticipée, elle s'efforce, au cas par cas, de mettre en balance les avantages et les inconvénients d'une communication anticipée, en tenant compte d'une part de l'objet de la demande et, d'autre part, de l'ampleur de l'atteinte aux intérêts protégés par la loi. Conformément à sa doctrine constante (avis de partie II n° 20050939 du 31 mars 2005), cet examen la conduit à analyser le contenu du document (son ancienneté, la date à laquelle il deviendra librement communicable, la sensibilité des informations qu'il contient au regard des secrets justifiant les délais de communication) et à apprécier les motivations, la qualité du demandeur (intérêt scientifique s'attachant à ses travaux mais aussi intérêt administratif ou familial) et sa capacité à respecter la confidentialité des informations dont il souhaite prendre connaissance. Dans un avis de partie II n° 20215602 du 4 novembre 2021, la commission a estimé opportun de compléter sa grille d’analyse afin de tenir compte de la décision d’Assemblée n°s 422327 et 431026, du 12 juin 2020, par laquelle le Conseil d’État a précisé qu’afin de déterminer s'il y a lieu ou non de faire droit à une demande de consultation anticipée, il convient de mettre en balance d'une part, l'intérêt légitime du demandeur apprécié au regard du droit de demander compte à tout agent public de son administration posé par l'article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 et de la liberté de recevoir et de communiquer des informations protégée par l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et, d'autre part, les intérêts que la loi a entendu protéger. L’intérêt légitime du demandeur doit être apprécié au vu de la démarche qu’il entreprend et du but qu’il poursuit en sollicitant la consultation anticipée d’archives publiques, de la nature des documents en cause et des informations qu’ils comportent. Les risques qui doivent être mis en balance sont ceux d’une atteinte excessive aux intérêts protégés par la loi. La pesée de l’un et des autres s’effectue en tenant compte notamment de l’effet, eu égard à la nature des documents en cause, de l’écoulement du temps et, le cas échéant, de la circonstance que ces documents ont déjà fait l’objet d’une autorisation de consultation anticipée ou ont été rendus publics. En l’espèce, le directeur général des patrimoines et de l’architecture a indiqué à la commission que son refus était motivé par le fait que le ministère de l’intérieur lui avait fait part de son opposition à la consultation des documents par Madame X, considérant qu’elle porterait une atteinte excessive à la vie privée des personnes. Tenu par le I de l’article L213-3 du code du patrimoine, il ne pouvait qu’opposer un refus à la demande. La commission relève en l’espèce que Madame X souhaite accéder aux documents en cause dans le cadre de ses recherches sur les communautés libertaires rurales en France et en Allemagne de l’Ouest, plus précisément pour analyser l’appréciation portée par les autorités publiques sur ces communautés et les décisions prises à l'égard de leurs membres. L’intéressée a par ailleurs signé un engagement à ne pas révéler les informations non librement communicables qui seraient portées à sa connaissance. La commission estime ainsi que l’intérêt légitime du demandeur à consulter les dossiers identifiés est en l’espèce établi. Toutefois, la commission observe que les dossiers en cause sont soumis à un délai de libre communication de 50 ans, en application du 3° de l’article L213-2 du code du patrimoine, de sorte qu’ils ne deviendront librement communicables qu’en 2036 et 2037. Elle comprend par ailleurs des observations de l’administration que la communication de ces dossiers aurait pour effet de révéler de nombreuses informations se rapportant à des personnes nommément désignées, des membres de groupements alors surveillés. Elle constate enfin que les Archives nationales, après analyse du contenu des documents, ont également estimé que leur communication porterait une atteinte excessive à la protection de la vie privée des personnes et à la sécurité publique. Au terme de la mise en balance des intérêts en présence, la commission considère ainsi qu’en dépit de l’intérêt légitime de Madame X, la consultation, par anticipation aux délais légaux de libre communicabilité, des documents demandés est de nature à porter une atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger. La commission émet dès lors un avis défavorable.