Avis 20232430 Séance du 01/06/2023
Monsieur X, journaliste pour le journal X, a saisi la Commission d’accès aux documents administratifs, par un courrier enregistré à son secrétariat le 17 avril 2023, à la suite du refus opposé par le garde des sceaux, ministre de la justice à sa demande de communication du rapport sur le traitement de la criminalité organisée et financière destiné au garde des Sceaux, rendu par le groupe de travail présidé par Monsieur François MOLINS, procureur général près la Cour de cassation, en juin 2019.
La commission relève à titre liminaire que le rapport concerné a été rédigé par un groupe de travail missionné pour analyser le traitement de la criminalité organisée et financière, notamment le fonctionnement et l’organisation des juridictions interrégionales spécialisées, et pour faire des propositions en vue de son amélioration, en particulier sur l'articulation du rôle des différents acteurs. Ce rapport, remis en juin 2019, constitue un document administratif en principe communicable à toute personne qui en fait la demande, en application de l'article L311-1 du code des relations entre le public et l’administration, sous réserve des secrets protégés par les articles L311-5 et L311-6 du code des relations entre le public et l'administration .
En réponse à la demande qui lui a été adressée, le ministre de la justice a indiqué à la commission qu’il maintenait son refus de communication dès lors que ce rapport contient des éléments très précis sur le fonctionnement judiciaire et sur les stratégies mises en place pour rechercher et prévenir les infractions de toute nature et qu’il évoque certains dossiers traités par les juridictions interrégionales spécialisées.
La commission rappelle à cet égard qu’en vertu du 2° de l’article L311-5 du code des relations entre le public et l'administration, ne sont pas communicables les documents dont la communication porterait atteinte : « d) A la sûreté de l'Etat, à la sécurité publique, à la sécurité des personnes ou à la sécurité des systèmes d'information des administrations ; (…) f) Au déroulement des procédures engagées devant les juridictions ou d'opérations préliminaires à de telles procédures, sauf autorisation donnée par l'autorité compétente ; g) A la recherche et à la prévention, par les services compétents, d'infractions de toute nature ; h) Ou sous réserve de l'article L. 124-4 du code de l'environnement, aux autres secrets protégés par la loi ». Pour ce qui concerne la réserve prévue au g) de cet article, la commission précise qu’il ressort de la jurisprudence du Conseil d’État rendue en matière fiscale, que sont notamment couvertes par cette réserve les mentions relatives aux critères retenus par l'administration pour sélectionner les dossiers afin d’entreprendre des opérations de contrôle (CE, 12 octobre 1992, n° 100036). La commission souligne que cette exception a pour objet de préserver, en toute hypothèse, l’efficacité des contrôles, de sorte qu’il n’y a pas lieu de différencier selon la plus ou moins grande sophistication des méthodes employées, ni selon que le document met en cause la recherche d’une infraction donnée ou pourrait de manière générale porter atteinte au contrôle de l’application d’une législation.
Elle rappelle également qu’aux termes de l'article L311-7 du code des relations entre le public et l'administration, lorsque la demande porte sur un document comportant des mentions qui ne sont pas communicables en application des articles L311-5 et L311-6 du même code mais qu'il est possible d'occulter ou de disjoindre, le document est communiqué au demandeur après occultation ou disjonction de ces mentions. L’administration n’est fondée à refuser la communication d'un document dans son entier que lorsque l’occultation partielle priverait ce document de son intelligibilité (CE, 25 mai 1990, Lebon T. 780) ou de son sens (CE, 4 janv. 1995, req. n° 117750), ou la communication de tout intérêt (CE, 26 mai 2014, req. n° 342339).
Après avoir pu prendre connaissance du rapport sollicité, la commission considère qu’il est communicable à toute personne qui en fait la demande, après occultations ou disjonctions des mentions révélant un secret protégé par l’article L311-5, en particulier le déroulement des procédures engagées devant les juridictions ainsi que la recherche et la prévention d’infractions de toute nature. Elle estime que les occultations nécessaires à ce titre ne priveraient pas le document de son intelligibilité ni la communication de tout intérêt, dans la mesure où l’essentiel du rapport porte sur un bilan du fonctionnement des juridictions interrégionales spécialisées, en termes de ressort territorial et d’articulation entre les services et sur des propositions destinées à améliorer en particulier l’échange d’informations et la coordination.
La commission souligne qu’il ne lui appartient pas d’indiquer précisément et de manière exhaustive, au sein d’un document volumineux, les mentions qui doivent être occultées en application des règles rappelées ci-dessus, cette opération incombant à l'administration, mais seulement d’éclairer cette dernière sur le caractère communicable ou non de passages ou informations soulevant des difficultés particulières d’appréciation et sur lesquels la commission attire son attention.
Toutefois, en l’espèce, la commission considère en effet, d’une part, que la communication des passages de ce rapport évoquant des affaires en cours de traitement par les juridictions (par exemple, en pages 13, 16, 17, 18, 28, 81) serait de nature à porter atteinte aux secrets protégés par le f) du 2° de l’article L311-5 précité.
D’autre part, la commission estime que la communication des passages de ce rapport décrivant les techniques d’investigation et moyens d’investigation qu’utilisent ou n’utilisent pas les services (par exemple, en pages 30, 68, 79 à 81) serait également de nature à porter atteinte aux secrets protégés par le g) du 2° de l’article L311-5 précité.
Elle émet par suite un avis favorable à la demande, sous réserve de l’occultation ou de la disjonction des mentions couvertes par les secrets protégés par l’article L311-5 du code des relations entre le public et l'administration.