Avis 20232216 Séance du 11/05/2023
Monsieur X, pour X et Madame X pour X, ont saisi la Commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 25 janvier 2023, à la suite du refus opposé par le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires à leur demande de communication par courrier électronique des documents suivants relatifs aux contrôles des opérateurs de mises sur le marché du bois et de ses produits dérivés dans le cadre du Règlement sur le bois de l'Union européenne (RBUE) :
1) le registre des contrôles 2021 établi en application du plan de contrôle, complet dans l’ensemble de ses colonnes et lignes et mis à jour à la date de formulation de la présente demande sous format XLSX ;
2) l’ensemble des rapports de manquements administratifs établis suite aux contrôles ayant eu lieu en 2021 ;
3) l’ensemble des arrêtés de mise en demeure et sanctions établis suite aux contrôles ayant eu lieu en 2021.
En l'espèce, la commission observe que Monsieur X et Madame X ont adressé une demande de communication identique à la présente demande au ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, enregistrée sous le numéro n° 20232245 et examinée à la même séance.
En premier lieu, elle rappelle qu'aux termes de l'article L311-2 du code des relations entre le public et l’administration : « Lorsqu'une administration mentionnée à l'article L300-2 est saisie d'une demande de communication portant sur un document administratif qu'elle ne détient pas mais qui est détenu par une autre administration mentionnée au même article, elle la transmet à cette dernière et en avise l'intéressé ».
Ayant pris connaissance de la réponse d'attente du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, la commission relève que le ministère de l’agriculture, de l’alimentation et de la forêt, a été désigné autorité compétente, responsable pour la mise en œuvre en France du RBUE, entré en vigueur le 3 mars 2013. Ce règlement impose aux entreprises émettant du bois ou certains de ses dérivés de prendre des mesures pour s’assurer que celui-ci n’est pas issu d’une exploitation illégale. Dans ce cadre, le ministère de l’agriculture, de l’alimentation et de la forêt assure le contrôle du suivi du règlement par les entreprises d’exploitation forestière et les scieries importatrices de bois. Le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires est pour sa part chargé d'assurer les contrôles pour le reste des opérateurs importateurs, dès lors qu’il s’agit de la première mise sur le marché européen de bois ou produits dérivés. Le ministère de l’agriculture, de l’alimentation et de la forêt est également chargé de l’élaboration de l’analyse du risque et du plan de contrôle de l’ensemble des opérateurs concernés, en concertation avec le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires. La commission relève, en outre, que les contrôles sont mis en œuvre par les services déconcentrés de l’État, qui adressent, le cas échéant, des propositions de sanction au Préfet de région territorialement compétent.
La commission déduit de ce qui précède que l'obligation de transmission prévue par l'article L311-2 du CRPA au ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, saisi par ailleurs, ne présente en l'espèce aucun caractère utile. Elle considère, en revanche, qu'il appartiendra le cas échéant à l'autorité saisie de transmettre la demande accompagnée du présent avis aux autorités préfectorales compétentes susceptibles de détenir certains documents et d'en aviser les demandeurs.
En deuxième lieu, la commission rappelle que l'article L124-2 du code de l'environnement qualifie d'informations relatives à l'environnement toutes les informations disponibles, quel qu'en soit le support, qui ont notamment pour objet : « 1º L'état des éléments de l'environnement, notamment l'air, l'atmosphère, l'eau, le sol, les terres, les paysages, les sites naturels, les zones côtières ou marines et la diversité biologique, ainsi que les interactions entre ces éléments ; 2º Les décisions, les activités et les facteurs, notamment les substances, l'énergie, le bruit, les rayonnements, les déchets, les émissions, les déversements et autres rejets, susceptibles d'avoir des incidences sur l'état des éléments visés au 1º ; (…) 5° Les rapports établis par les autorités publiques ou pour leur compte sur l'application des dispositions législatives et réglementaires relatives à l'environnement. »
La commission estime que les documents sollicités, qui portent sur le contrôle de l’importation de bois illégal, contiennent des informations relatives à l’environnement, au sens des dispositions précitées de l’article L124-2 du code de l’environnement (en ce sens, TA de Bordeaux, 16 novembre 2021, n° 1901990).
La commission rappelle, en troisième lieu, sa doctrine constante selon laquelle revêtent un caractère juridictionnel et non administratif les documents produits ou reçus dans le cadre et pour les besoins d’une procédure juridictionnelle, qu'elle soit de nature civile, pénale ou commerciale. Il en va ainsi, notamment, des jugements, ordonnances, décisions ou arrêts rendus par les juridictions de l'ordre judiciaire ou administratif. C'est aussi le cas, plus largement, de toutes les pièces établies pour les besoins et au cours d'une procédure juridictionnelle, concourant à l'instruction des affaires ou à la formation des jugements, telles que les dossiers d'instruction, ou les procès-verbaux de constat ou d'audition. Elle considère ainsi qu’un document comportant des informations environnementales qui aurait été produit, par l’une des autorités publiques mentionnées à l’article L124-3 du code de l’environnement, à la demande d’une juridiction ou spécifiquement pour les besoins d’une procédure juridictionnelle serait inséparable de cette dernière. Un tel document devrait alors être regardé comme ne relevant pas du régime d’accès à l’information environnementale organisé par le chapitre IV du titre II du livre Ier du code de l’environnement, pas davantage qu’il ne relèverait du droit d’accès aux documents administratifs organisé par le livre III du code des relations entre le public et l'administration.
Elle considère, de manière constante, que les procès-verbaux d'infraction pouvant donner lieu à des sanctions pénales revêtent un caractère judiciaire et sont exclus du champ d'application du livre III du code des relations entre le public et l’administration auquel renvoie le code de l'environnement. En revanche, les documents relatifs aux contrôles et sanctions administratives constituent des documents administratifs.
En l'espèce, la commission estime, dès lors, que son avis ne saurait valoir, le cas échéant, pour les procès-verbaux constatant une infraction pénale, élaborés en vue de la saisine de l'autorité judiciaire ou élaborés à sa demande. Elle n'est en effet pas compétente pour se prononcer sur la communication de tels documents, qui ne présentent pas le caractère de documents administratifs.
Sous cette réserve, la commission précise, en quatrième lieu, que l’article L124-1 du code de l’environnement dispose que : « Le droit de toute personne d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues, reçues ou établies par les autorités publiques mentionnées à l'article L124-3 ou pour leur compte s'exerce dans les conditions définies par les dispositions du titre Ier du livre III du code des relations entre le public et l'administration, sous réserve des dispositions du présent chapitre ». Le I de l’article L124-4 précise qu’« Après avoir apprécié l'intérêt d'une communication, l'autorité publique peut rejeter la demande d'une information relative à l'environnement dont la consultation ou la communication porte atteinte : / 1° Aux intérêts mentionnés aux articles L311-5 à L311-8 du code des relations entre le public et l'administration, à l'exception de ceux visés au e et au h du 2° de l'article L311-5 ; / (…) ».
La commission rappelle, d'une part, que l’article L311-6 du CRPA dispose que : « Ne sont communicables qu'à l'intéressé les documents administratifs : / (…) 3° Faisant apparaître le comportement d'une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice. ». Elle relève, toutefois, que les dispositions précitées du code de l'environnement doivent être interprétées à la lumière de celles de la directive 2003/4/CE du 28 janvier 2003 du Parlement européen et du Conseil, concernant l'accès du public à l'information en matière d'environnement, dont elles assurent la transposition en droit national. Dans son avis n° 20132830 du 24 octobre 2013, la commission a estimé qu’une information environnementale, lorsqu’elle se rapporte à une personne morale, est non seulement communicable à l’intéressée mais aussi à toute autre personne qui en ferait la demande, sur le fondement des articles L124-1 et suivants du code de l’environnement, sans que l’exception prévue au 3° de l'article L311-6 du code des relations entre le public et l'administration (CRPA) ne puisse s’y opposer, dès lors que cette information est détenue, reçue ou établie par les autorités publiques mentionnées à l'article L124-3 du code de l'environnement ou pour leur compte. Pour aboutir à cette conclusion, la commission a en effet relevé que les exceptions prévues par l’article L311-6 du CRPA ne peuvent être opposées, en application du 1°) du I de l’article L124-4 du code de l'environnement, à une demande de communication d’informations environnementales que dans la seule mesure où ces exceptions correspondent aux cas dans lesquels la directive du 28 janvier 2003 prévoit elle-même que les États membres peuvent déroger au droit d’accès qu’elle consacre. Or la commission a constaté que l'article 4 de cette directive autorisait les États membres à déroger au droit d’accès aux informations relatives à l’environnement pour garantir la confidentialité des données à caractère personnel et des dossiers des personnes physiques, mais ne prévoyait pas la même exception au profit d'une personne morale.
La commission estime donc que les documents sollicités sont communicables à toute personne qui en fait la demande, sans que l'exception prévue par le 3° de l'article L311-6 du CRPA ne puisse s’y opposer.
La commission rappelle, d'autre part, qu'aux termes de l'article L311-5 du code des relations entre le public et l’administration énonce : « Ne sont pas communicables : / (…) 2° Les (…) documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait atteinte : / (…) f) Au déroulement des procédures engagées devant les juridictions ou d'opérations préliminaires à de telles procédures, sauf autorisation donnée par l'autorité compétente ; (…) ».
La commission rappelle toutefois que la seule circonstance qu'un document administratif se rapporte à une procédure en cours devant une juridiction de l'ordre judiciaire ou administratif ne saurait par elle-même faire obstacle à sa communication sur le fondement du droit d'accès aux documents administratifs, et ce même s’il a été transmis à l’autorité judiciaire et coté au dossier d’instruction (CE, 5 mai 2008, n° 309518) et même si la communication du document serait de nature à affecter les intérêts d'une partie à la procédure (CE, 16 avril 2012, n° 320571), qu'il s'agisse d'une personne publique ou de toute autre personne. Ce n’est, en effet, que dans l’hypothèse où cette communication risquerait d’empiéter sur les compétences et prérogatives de la juridiction que la communication d'un document administratif peut être refusée en application du f) du 2° de l'article L311-5 du code des relations entre le public et l'administration. Tel peut être le cas lorsque la communication est de nature à porter atteinte au déroulement de l’instruction, entrave ou complique l'office du juge ou encore retarde le jugement d'une affaire (conseil n° 20092608 du 18 juillet 2009). Lorsqu’un document administratif a été transmis à une juridiction, il appartient à l’autorité saisie d’une demande de communication de ce document de rechercher, à la date à laquelle elle se prononce, les suites données à cette transmission ou susceptibles de l’être, afin de déterminer, à moins que la juridiction compétente ait donné son accord, si la communication du document sollicité est de nature à porter atteinte au déroulement de procédures juridictionnelles ou d’opérations préliminaires à de telles procédures en empiétant sur les prérogatives de cette autorité (CE, 30 décembre 2015, n° 372230 et CE, 21 octobre 2016, n° 380504).
En application de ces principes, la commission émet un avis favorable à la demande, sous réserve de circonstances particulières, telles qu’une mise en examen, un placement sous contrôle judiciaire ou encore une mesure d’expertise judiciaire permettant de justifier d'un risque d’empiètement qu’impliquerait la communication de certains d'entre eux sur les compétences et prérogatives de l’autorité judiciaire.