Avis 20232179 Séance du 11/05/2023
Maître X, conseils du cabinet X, a saisi la Commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 13 avril 2023, à la suite du refus opposé par le directeur général de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) à sa demande de communication, à la suite d'une transmission partielle, des informations relatives à l’identification de la société X comme origine de la substance active téfluthrine utilisée dans le produit « Fancy », mis sur le marché français par la société X depuis le X.
A titre liminaire, la commission, qui a pris connaissance de la réponse exprimée par le directeur général de l'ANSES, précise que le Conseil d'État a posé le principe selon lequel le droit à communication posé par l'article L311-1 du code des relations entre le public et l’administration ne s'applique qu'à des documents existants et que, par conséquent, l'administration n'est tenue, en règle générale, lorsqu'elle est saisie d'une demande tendant à la communication d'un dossier qui n'existe pas en tant que tel, ni de faire des recherches en vue de collecter l'ensemble des documents éventuellement détenus, ni d'établir un document en vue de procurer les renseignements ou l'information souhaités. Elle relève toutefois que le régime particulier prévu par le chapitre IV du titre II du livre Ier du code de l’environnement porte, à la différence du régime général d'accès aux documents administratifs, sur les « informations » et non uniquement sur les documents relatifs à l’environnement. Elle en déduit que dès lors que l’administration détient de telles informations, figurant ou non sur un document existant, elles sont communicables à toute personne qui en fait la demande en application de l’article L124-3 de ce code, ce dernier n’imposant aucune exigence de formalisation préalable de l'information demandée, et qu’il appartient alors à l’administration, saisie d’une demande en ce sens, d’élaborer un document comportant les informations sollicitées.
La commission rappelle ensuite, d'une part, que l’article L124-2 du code de l’environnement qualifie d'informations relatives à l'environnement toutes les informations disponibles, quel qu'en soit le support, qui ont notamment pour objet : « 1º L'état des éléments de l'environnement, notamment l'air, l'atmosphère, l'eau, le sol, les terres, les paysages, les sites naturels, les zones côtières ou marines et la diversité biologique, ainsi que les interactions entre ces éléments ; 2º Les décisions, les activités et les facteurs, notamment les substances, l'énergie, le bruit, les rayonnements, les déchets, les émissions, les déversements et autres rejets, susceptibles d'avoir des incidences sur l'état des éléments visés au 1º ; 3º L'état de la santé humaine, la sécurité et les conditions de vie des personnes, les constructions et le patrimoine culturel, dans la mesure où ils sont ou peuvent être altérés par des éléments de l'environnement, des décisions, des activités ou des facteurs mentionnés ci-dessus ; 4° Les analyses des coûts et avantages ainsi que les hypothèses économiques utilisées dans le cadre des décisions et activités visées au 2° ; 5° Les rapports établis par les autorités publiques ou pour leur compte sur l'application des dispositions législatives et réglementaires relatives à l'environnement ».
Selon les articles L124-1 et L124-3 de ce code , le droit de toute personne d'accéder à des informations relatives à l’environnement lorsqu'elles sont détenues, reçues ou établies par les autorités publiques ou pour leur compte, s'exerce dans les conditions définies par le titre Ier du livre III du code des relations entre le public et l’administration, sous réserve des dispositions du chapitre IV du titre II du livre I du code de l'environnement. A cet égard, les articles L124-4 et L124-5 énumèrent limitativement les hypothèses dans lesquelles l'autorité administrative peut rejeter une demande tendant à la communication d'informations relatives à l'environnement.
La commission précise qu'en vertu des dispositions du II de l'article L124-5 du code de l'environnement, l'autorité publique ne peut rejeter une demande portant sur une information relative à des « émissions de substances dans l'environnement » que dans le cas où sa communication porterait atteinte à la conduite de la politique extérieure de la France, à la sécurité publique ou à la défense nationale, ou encore au déroulement des procédures juridictionnelles, à la recherche d'infractions pouvant donner lieu à des sanctions pénales ou enfin à des droits de propriété intellectuelle. Ces dispositions font en revanche obstacle à ce que l'autorité administrative en refuse la communication au motif qu'elles comporteraient des mentions couvertes par le secret des affaires ou le secret de la vie privée.
S'agissant de la notion d'« émissions dans l'environnement », la commission constate que, par deux arrêts C-673/13 et C-442/14 du 23 novembre 2016, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a jugé que, pour l'application de la directive précitée, il y avait lieu d'interpréter ses dispositions à l'aune de sa finalité, qui est de garantir le droit d’accès aux informations concernant des facteurs, tels que les émissions, qui ont ou sont susceptibles d’avoir des incidences sur les éléments de l’environnement, notamment sur l’air, l’eau et le sol et de permettre au public de vérifier si les émissions, rejets ou déversements ont été correctement évalués et de raisonnablement comprendre la manière dont l’environnement risque d’être affecté par lesdites émissions. Cette notion vise ainsi les informations qui « ont trait à des émissions dans l’environnement », c’est-à-dire celles qui concernent ou qui sont relatives à de telles émissions, et non les informations présentant un lien, même direct, avec les émissions dans l’environnement. Par son arrêt C-442/14 du 23 novembre 2016, la même Cour a précisé que les indications concernant la nature, la composition, la quantité, la date et le lieu effectif ou prévisible, des émissions dans l'environnement ainsi que les données relatives aux incidences, à plus ou moins long terme, de ces émissions sur l'environnement, en particulier les informations relatives aux résidus présents dans l'environnement après l'application du produit en cause et les études portant sur le mesurage de la dérive de la substance lors de cette application, que ces données soient issues d'études réalisées en tout ou partie sur le terrain, d'études en laboratoire ou d'études de translocation relèvent de cette même notion.
D'autre part, la commission relève qu'en application des stipulations de l'article 29 du règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, un produit phytopharmaceutique dont la substance active, son phytoprotecteur ou son synergiste a une origine différente ne peut être autorisé que sous certaines conditions tenant, notamment, à l'absence d'effet nocif.
Dans ces conditions, la commission estime que l'information relative à l'origine d'une substance active d'un produit phytopharmaceutique, qui bénéficie d'ores et déjà d'une autorisation de mise sur le marché, constitue une information relative à des émissions de substances dans l'environnement, au sens et pour l'application de l'article L124-5 du code de l’environnement, dès lors que cette information permet au public d’appréhender, au regard des conditions posées par les stipulations précitées de l'article 29 du règlement (CE) n° 1107/2009, la composition ainsi que les éventuels effets nocifs du produit diffusé, notamment, sur l'état des sols, des terres, de l'air et de l'eau.
Elle considère donc que l'information sollicitée est communicable à toute personne qui en fait la demande en application des articles L311-1 et L124-5 du code de l'environnement, sans que puisse être opposé, notamment, le secret de la vie privée ou le secret des affaires, seules les réserves prévues au II de l'article L124-5 qui viennent d'être rappelées étant applicables.
La commission ajoute que l’information relative à l’origine de la substance active du produit phytopharmaceutique concernée constitue, en tout état de cause, une information relative à l’environnement au sens de l’article L124-2 du code de l’environnement.
Elle rappelle à cet égard que le I de l’article L124-4 de ce code dispose que : « Après avoir apprécié l’intérêt d’une communication, l’autorité publique peut rejeter la demande d’une information relative à l’environnement dont la consultation ou la communication porte atteinte : / 1°) Aux intérêts mentionnés aux articles L311-5 à L311-8 du code des relations entre le public et l'administration, à l'exception de ceux visés au e) et au h) du 2° de l'article L311-5 (...) ». La communication de ces informations peut être refusée notamment lorsqu’elle porterait atteinte au secret de la vie privée ou au secret des affaires, à moins qu'à l'issue d'une mise en balance, l'autorité administrative conclut à un intérêt public supérieur de l'accès du public à l'ensemble des informations.
En l’espèce, la commission précise, d’une part, que l'article 63 du règlement (CE) n° 1107/2009, qui fixe une liste positive des informations dont la divulgation serait en principe considérée comme portant atteinte à la protection des intérêts commerciaux ou de la vie privée et de la sécurité des personnes, ne saurait faire obstacle à l'application des dispositions de l'article L124-5 du code de l'environnement, qui doivent être lues à la lumière des stipulations de la directive 2003/4/CE du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2003 concernant l'accès du public à l'information en matière d'environnement, dont elles assurent la transposition.
La commission estime, d’autre part, que la communication au public de l’origine de la substance active d’un produit phytopharmaceutique qui bénéficie d’une autorisation de mise sur le marché présente, du point de vue de la préservation de l’environnement, un intérêt justifiant que cette information soit communiquée en dépit de l’atteinte susceptible d’être portée au secret des affaires.
Elle émet, dès lors, un avis favorable à la demande.