Avis 20232093 Séance du 01/06/2023
Maître X, conseil de la société X, a saisi la commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 6 avril 2023, à la suite du refus opposé par président de la communauté de communes du pays de Lure à sa demande de communication des documents originaux concernant le lot n° 1 du marché public ayant pour objet l'aménagement d'une voie verte de Vouhenans à la Côte :
1) les calculs ayant conduit à qualifier l’offre de sa cliente de « suspecte » ;
2) la délibération désignant les membres de la commission d’analyse des offres ;
3) les convocations des membres de la commission d’analyse des offres ;
4) le mémoire technique de l’entreprise attributaire ;
5) le rapport complet d’analyse des offres en conservant le détail quantitatif estimatif des offres remises par les différentes entreprises ;
6) le marché du maître d’œuvre X (dossier de consultation des maîtres d’œuvre, rapport d’analyse, offre du maître d’œuvre X, commission d’analyse des offres, décision attribuant le marché à X, etc.) ;
7) l’absence de conflit d’intérêt et/ou de lien entre l’entreprise attributaire (l’entreprise elle-même, ses dirigeants, ses salariés, etc.) et le maître d’œuvre (l’entreprise elle-même, ses dirigeants et ses salariés, etc.).
La commission rappelle, à titre liminaire, que, conformément aux dispositions combinées des articles L342-1 et R311-12 du code des relations entre le public et l’administration, elle ne peut être saisie par une personne qu’en cas de refus opposé par une autorité administrative à une demande de communication d'un document administratif. En l’espèce, il ne ressort pas des termes des demandes préalables adressées par Maître X à la communauté de communes du pays de Lure, produites à l’appui de sa saisine, qu'il aurait sollicité la communication des documents visés aux points 2), 3), 6) et 7).
Elle déclare, en conséquence, la demande irrecevable sur ces points.
La commission, qui a pris connaissance de la réponse exprimée par le président de la communauté de communes du pays de Lure, rappelle, en premier lieu, qu'une fois signés, les marchés publics et les documents qui s’y rapportent sont des documents administratifs soumis au droit d'accès institué par le livre III du code des relations entre le public et l’administration. En conséquence, la communication à un candidat écarté des motifs ayant conduit à ne pas lui attribuer le marché ne permet pas de refuser la communication de ces documents.
Ce droit de communication, dont bénéficient tant les entreprises non retenues que toute autre personne qui en fait la demande, doit toutefois s'exercer dans le respect du secret des affaires, protégé par les dispositions de l’article L311-6 de ce code. Il résulte en effet de la décision du Conseil d’État du 30 mars 2016, « Centre hospitalier de Perpignan » (n° 375529), que, lorsqu’elles sont saisies d’une demande de communication de documents relatifs à un marché public, les autorités mentionnées à l’article L300-2 du même code doivent examiner si les renseignements contenus dans ces documents peuvent, en affectant la concurrence entre les opérateurs économiques, porter atteinte au secret des affaires et faire ainsi obstacle à cette communication.
Le Conseil d’État a en outre précisé qu’au regard des règles de la commande publique, doivent être regardées comme communicables, sous réserve des secrets protégés par la loi, l’ensemble des pièces d’un marché public et que, dans cette mesure, l’acte d’engagement, le prix global de l’offre et les prestations proposées par l’entreprise attributaire, notamment, sont en principe communicables. Sont également communicables les pièces constitutives du dossier de consultation des entreprises (règlement de consultation, cahier des clauses administratives particulières, cahier des clauses techniques particulières…).
En revanche, les éléments qui reflètent la stratégie commerciale d’une entreprise opérant dans un secteur d’activité concurrentiel et dont la divulgation est susceptible de porter atteinte au secret des affaires ne sont, en principe, pas communicables. Il en va ainsi de l’offre de prix détaillée contenue dans le bordereau des prix unitaires, la décomposition du prix global et forfaitaire ou le détail quantitatif estimatif, ainsi que du mémoire technique, qui ne sont, de fait, pas communicables aux tiers. Revenant sur sa doctrine antérieure, la commission a également précisé dans son Conseil n° 20221455 du 21 avril 2022, qu’il en va aussi désormais ainsi des factures, bons de commande, états d’acompte, décomptes et autres pièces établies dans le cadre de l’exécution d’un marché public, qui ne sont communicables qu'après occultation des prix unitaires ou de la décomposition du prix forfaitaire, susceptibles, en soi, de refléter la stratégie commerciale d’une entreprise opérant dans un secteur d’activité déterminé.
La commission considère en revanche que le prix global par tranche est librement communicable à toute personne en faisant la demande (avis de partie II n° 20231017 du 11 mai 2023).
L’examen de l’offre des entreprises non retenues au regard des mêmes principes conduit de même la commission à considérer que leur offre de prix globale est, en principe, communicable mais qu’en revanche, le détail technique et financier de cette offre ne l’est pas.
En outre, pour l’entreprise attributaire comme pour l’entreprise non retenue, les dispositions de l’article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration doivent entraîner l’occultation des éléments suivants :
- les mentions relatives aux moyens techniques et humains, à la certification de système qualité, aux certifications tierces parties ainsi qu'aux certificats de qualification concernant la prestation demandée, ainsi que toute mention concernant le chiffre d'affaires, les coordonnées bancaires et les références autres que celles qui correspondent à des marchés publics ;
- dans les documents préparatoires à la passation du marché (procès-verbaux, rapports d'analyse des offres) les mentions relatives aux détails techniques et financiers des offres de toutes les entreprises.
La commission précise enfin que si la liste des entreprises ayant participé à la procédure est librement communicable, en revanche les notes et classements des entreprises non retenues ne sont communicables qu'à celles-ci, chacune en ce qui la concerne, en application de l’article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration. En revanche, les notes, classements et éventuelles appréciations de l'entreprise lauréate du marché sont librement communicables.
En application de ces principes, la commission estime que le document sollicité au point 5) est communicable au demandeur sous réserve de l'occultation préalable des mentions couvertes par le secret des affaires et notamment des mentions relatives aux détails techniques et financiers des offres des entreprises tierces. La commission, qui a en l'espèce pris connaissance du document sollicité dans sa version intégrale et dans sa version occultée, estime que les occultations opérées au titre du secret des affaires sont justifiées.
Elle émet donc un avis défavorable à la communication de ce document dans une version comportant davantage de mentions non occultées.
La commission estime également que la communication du document visé au point 4) serait susceptible de porter atteinte au secret des affaires.
Elle émet par suite un avis défavorable sur ce point.
En second lieu, la commission rappelle que le livre III du code des relations entre le public et l'administration ne fait pas obligation aux autorités administratives de répondre aux demandes de renseignements qui leur sont adressées, ni d'élaborer un document nouveau en vue de procurer les renseignements ou l'information souhaités (CE, 30 janvier 1995, Ministre d'État, Ministre de l’éducation nationale, n° 128797 ; CE, 22 mai 1995, Association de défense des animaux victimes d'ignominie ou de désaffection, n° 152393).
En revanche, la commission considère de manière constante que sont des documents administratifs existants au sens de l’article L300-2 du code des relations entre le public et l’administration, ceux qui sont susceptibles d’être obtenus par un traitement automatisé d’usage courant. Il résulte en effet de la décision du Conseil d’État du 13 novembre 2020, n° 432832, publié aux Tables, que constituent des documents administratifs au sens de ces dispositions les documents qui peuvent être établis par extraction des bases de données dont l’administration dispose, si cela ne fait pas peser sur elle une charge de travail déraisonnable, laquelle doit être interprétée de façon objective.
La commission précise, à ce titre, que les informations demandées doivent pouvoir être obtenues par un traitement automatisé de données, sans retraitements successifs, en particulier par des interventions manuelles. Elle estime également que, lorsque les informations sollicitées doivent, pour être extraites d'un fichier informatique, faire l'objet de requêtes informatiques complexes ou d'une succession de requêtes particulières qui diffèrent de l'usage courant pour lequel le fichier informatique dans lequel elles sont contenues a été créé, l'ensemble des informations sollicitées ne peut alors être regardé comme constituant un document administratif existant (avis n° 20222817, 20222850 et 20222936 du 23 juin 2022). Une demande portant sur la communication d'un tel ensemble d'informations doit dès lors être regardée comme tendant à la constitution d'un nouveau document (Conseil n° 20133264 du 10 octobre 2013) et, par suite, être déclarée irrecevable.
Elle émet donc un avis favorable à la demande formulée au point 1) de la demande, sur le fondement des dispositions de l'article L311-6 du code des relations entre le public et l'administration, sous réserve que le document sollicité existe en l'état ou soit susceptible d'être obtenu par un traitement automatisé d'usage courant, et sous réserve de l'occultation préalable des mentions susceptibles d'être couvertes par le secret des affaires dans les conditions précédemment exposées. Elle prend par ailleurs note de l'intention de l'administration de donner prochainement suite à la demande de Maître X.