Avis 20231649 Séance du 20/04/2023
Monsieur X, a saisi la Commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 23 mars 2023, à la suite du refus opposé par la Première ministre à sa demande de communication, de tout message reçu ou émis par Monsieur X, conseiller diplomatique du Premier ministre Manuel VALLS, contenant un ou plusieurs des noms ou syntagmes suivants, sur tous les supports ou toutes les formes qu’ils pourraient revêtir, ce qui intègre, par exemple, les SMS ou les messageries tant privés (whatsapp, telegram, signal ou autre) que publiques (tchap) :
1) X ;
2) X ;
3) X ;
4) X ;
5) X ;
6) X ;
7) X ;
8) X ;
9) X ;
10) X ;
11) X.
La commission estime que les documents sollicités revêtent le caractère de documents administratifs communicables en application du livre III du CRPA. Elle rappelle, cependant, que le droit d’accès doit rester compatible avec le bon fonctionnement des services et cède devant les demandes abusives, auxquelles les administrations ne sont pas tenues de répondre, en application du dernier alinéa de l'article L311-2 du code des relations entre le public et l'administration.
Par sa décision du 14 novembre 2018, ministre de la culture c/ Société pour la protection des paysages et l’esthétique de la France, n° 420055, 422500, le Conseil d’État a jugé que revêtent un caractère abusif, les demandes qui auraient pour effet de faire peser sur l’autorité saisie une charge disproportionnée au regard des moyens dont elle dispose.
La commission précise que, depuis un avis n° 20220207 du 10 mars 2022, elle retient que, dans le cas particulier où l’autorité saisie fait valoir que la communication des documents sollicités ferait peser sur elle une charge de travail disproportionnée au regard des moyens dont elle dispose, il y a lieu de prendre en compte, pour apprécier le caractère abusif de la demande, non plus seulement le fait que la communication a objectivement perdu son intérêt, mais également l’intérêt qui s’attache à la communication pour le demandeur, ainsi que, le cas échéant, pour le public. Cette position a été confirmée par le Conseil d’État (CE, 17 mars 2022, n° 449620).
En réponse à la demande qui lui a été adressée, la Première ministre a indiqué à la commission que ses services se sont efforcés, au cours de la période récente, de répondre dans des délais raisonnables aux diverses demandes de communication présentées par Monsieur X. Elle a relevé, par ailleurs, que ce dernier se présente comme professeur d’espagnol en lycée et dans le supérieur, et affirme que ces demandes s’inscrivent dans le cadre « d’enquêtes publiques participatives » visant « sur un sujet donné, à accroître les connaissances disponibles et à développer du matériel pédagogique susceptible d’être employé en cours ». Elle considère toutefois qu'indépendamment de la qualité et de l'objectif ainsi poursuivi, au regard de leur nombre sur une brève période, de leur caractère touffu et imprécis qui suppose de l’administration des recherches approfondies pour identifier les éléments demandés, s’ils existent - d’autant qu’ils portent parfois sur des périodes anciennes -, ainsi que de la complexité inhérente aux opérations de recherche sur des messageries qui nécessitent des retraitements manuels pour identifier les documents et de la charge de travail liée aux occultations qui seraient ensuite éventuellement requises, les demandes de Monsieur X sont excessives au regard des moyens que l’administration peut y consacrer, compte tenu de l’intérêt qui s’attache à la communication au public des informations demandées.
En l'espèce, la commission relève, en premier lieu, que Monsieur X présente à intervalle régulier des demandes de communication et que le phénomène s'est amplifié au cours des derniers mois. Elle constate que sept demandes ont été recensées par la Première ministre depuis le 22 novembre 2022. La commission précise qu'elle a déjà invité le demandeur à deux reprises, à faire preuve de discernement et de modération dans l'usage qui est fait du droit d'accès prévu par le livre III du code des relations entre le public et l’administration, en lui rappelant que l’administration n’est pas tenue de donner suite aux demandes présentant un caractère abusif.
La commission relève en deuxième lieu que la présente demande est formulée de manière large en ce qu'elle vise « tous messages » envoyés ou reçus par un conseiller diplomatique sur "tous les supports ou toutes les formes qu’ils pourraient revêtir". Elle relève également l'absence de borne temporelle et constate par ailleurs que l'objet des document est identifié par plusieurs noms et et syntagmes, susceptibles de figurer dans un nombre très important d'échanges (expéditeurs et destinataires / objet / corps du message), d'autant que le demandeur a indiqué souhaiter obtenir tous les messages qui « contiendraient un ou plusieurs » de ces « noms ou syntagmes ». Elle constate aussi que cette demande n’est pas accompagnée de précision sur le contexte ou les circonstances d’échange des messages dont la communication est demandée.
Elle en déduit que cette demande impliquera que l'administration saisie procède à des recherches importantes en vue d’identifier et de sélectionner les documents susceptibles d’y répondre. Comme elle l'a fait dans son avis n° 20226355, du 15 décembre 2022, et ainsi que le fait valoir la Première ministre, la commission relève à cet égard les importantes difficultés techniques rencontrées dans leur traitement des demandes portant sur des documents issus de messageries électroniques, en particulier si ceux-ci sont archivés. une fois identifiés, les documents sollicités, qui sont susceptibles de comporter des mentions protégées par les articles L311-5 et L311-6 du code des relations entre le public et l’administration, nécessiteront en outre un important travail d’occultation.
La commission estime en conséquence qu'eu égard à la fréquence et au nombre de demandes que Monsieur X adresse à la Première ministre, à l'imprécision de la présente de demande, ainsi qu'aux difficultés de traitement de cette demande tant d'un point de vue technique que s'agissant des occultations et disjonctions à opérer, cette nouvelle demande représente, pour les services de la Première ministre, une charge de travail excessive, nonobstant l’intérêt qui s’attacherait à la communication des documents sollicités pour le demandeur, ainsi que, le cas échéant, pour le public.
Elle estime, dès lors, que cette demande est abusive et émet un avis défavorable.
Enfin, et à toutes fins utiles, la commission rappelle, comme elle a déjà eu l'occasion de le faire dans son avis n° 20213227, du 8 juillet 2021, que la publication sur un blog des éléments adressés en réponse aux demandes de communication de documents administratifs librement communicables formulées par son intermédiaire, qu’il s’agisse des documents sollicités eux-mêmes, des courriers de réponse des autorités saisies ou des avis de la CADA, constitue une utilisation à d’autres fins que la mission de service public pour laquelle les documents sollicités ont été élaborés et doit donc être regardée comme une réutilisation d'informations publiques au sens de l’article L321-1 du code des relations entre le public et l'administration, quand bien même il ne serait porté aucune modification sur les informations publiques telles que transmises par l'administration. Elle rappelle, qu'une information publique doit, au sens des dispositions précitées, répondre à trois conditions cumulatives : figurer dans un document produit ou reçu dans le cadre d’une mission de service public ; être librement accessible à toute personne ; ne pas être grevé de droits de propriété intellectuelle. La commission en déduit que la référence au « document » figurant à l’article L321-1 du code précité s’entend nécessairement sous réserve des règles régissant la communicabilité partielle de documents, mentionnées à l’article L311-7 de ce code.
La commission relève que la consultation, la communication par transmission, la diffusion ou toute autre forme de mise à disposition portant sur des données à caractère personnel constituent un traitement de données au sens de l'article 2 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés (« loi CNIL ») et de l’article 4 du RGPD. Par suite, une administration répondant à une demande d’accès à un document administratif contenant des données de cette nature doit ainsi être regardée comme un responsable de traitement. Elle est toutefois dispensée de requérir, avant toute communication ou publication, le consentement préalable des personnes concernées, en principe exigé par l'article 5 de la loi CNIL et l'article 6 du RGPD, dès lors qu'il s'agit, pour elle, de respecter l'obligation légale de procéder à la communication de documents administratifs découlant des dispositions du code des relations entre le public et l’administration.
La commission relève, d’autre part, que le responsable d'un blog, en tant que réutilisateur d’informations publiques incluant des données à caractère personnel, doit également être regardée comme un responsable de traitement de données à caractère personnel. La commission entend donc rappeler les obligations qui lui incombent.
Elle précise, en effet, que le responsable de traitement doit, aux termes de l'article L322-1 du code des relations entre le public et l’administration, veiller à ce que les informations publiques réutilisées ne soient pas altérées, que leur sens ne soit pas dénaturé et que leurs sources et la date de leur dernière mise à jour soient mentionnées.
En outre, la réutilisation d'informations publiques comportant, comme en l’espèce, des données à caractère personnel est subordonnée au respect des dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés (art. L322-2) et du règlement (UE) 2016/679 du Parlement et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (RGPD).
A ce titre, le responsable du traitement doit être en mesure de démontrer que le projet respecte les principes relatifs au traitement des données à caractère personnel définis à l'article 4 de la loi du 6 janvier 1978 et à l'article 5 du RGPD (traitement loyal et transparent, qui poursuit une finalité déterminée explicite et légitime avec des données adéquates, pertinentes et limitées à la réalisation de la finalité, pour une durée limitée et dans des conditions sécurisées) et que le projet est licite, c'est-à-dire qu'il répond à une des conditions posées par le 1. de l'article 6 du RGPD : la personne concernée a consenti au traitement de ses données à caractère personnel pour une ou plusieurs finalités spécifiques ; le traitement est nécessaire à l'exécution d'un contrat auquel la personne concernée est partie ou à l'exécution de mesures précontractuelles prises à la demande de celle-ci ; le traitement est nécessaire au respect d'une obligation légale à laquelle le responsable du traitement est soumis ; le traitement est nécessaire à la sauvegarde des intérêts vitaux de la personne concernée ou d'une autre personne physique ; le traitement est nécessaire à l'exécution d'une mission d'intérêt public ou relevant de l'exercice de l'autorité publique dont est investi le responsable du traitement ; le traitement est nécessaire aux fins des intérêts légitimes poursuivis par le responsable du traitement ou par un tiers, à moins que ne prévalent les intérêts ou les libertés et droits fondamentaux de la personne concernée qui exigent une protection des données à caractère personnel, notamment lorsque la personne concernée est un enfant.
La commission relève que les articles 13 et 14 du RGPD définissent les obligations d'information à la charge d'un responsable de traitement lorsqu'il collecte des données personnelles, selon que cette collecte a été effectuée ou non auprès de la personne concernée. Le chapitre II du titre II de du RGPD porte, quant à lui, sur les droits de la personne concernée, qui disposent en particulier d’un droit d’opposition à la diffusion de données à caractère personnel les concernant, qu’ils peuvent faire valoir, s’ils le jugent utile.
La commission insiste sur la nécessité de prendre l’ensemble des mesures appropriées pour protéger les droits et libertés ainsi que les intérêts légitimes des personnes concernées et rappelle que la CNIL attache une attention particulière au respect de ces principes. La commission rappelle, en outre, que toute réutilisation contraire expose le réutilisateur aux sanctions civiles, administratives et, dans certains cas, pénales attachées à de telles pratiques.