Avis 20231542 Séance du 20/04/2023
Madame X, pour la société X, a saisi la Commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 16 mars 2023, à la suite du refus opposé par le directeur général de CDC Habitat à sa demande de communication des documents administratifs afférents à la procédure d'attribution de l'accord-cadre ayant pour objet des prestations de gardiennage, de sûreté et de sécurité incendie :
1) s'agissant du lot n° 7 de cet accord-cadre, sans occultations excessives :
a) la liste des candidats admis à présenter une offre ;
b) le procès-verbal d'ouverture des candidatures et des offres ;
c) le rapport d'analyse des candidatures ;
d) le cas échéant le rapport d'analyse des offres comprenant les éléments de notation et le classement ;
e) les éventuels échanges avec les candidats (questions posées et réponses, notamment dans le cadre des éventuelles négociations) et demandes de régularisations ;
f) les procès-verbaux de la commission d'appel d'offres, notamment celui de la séance du 9 novembre 2022 ;
g) les procès-verbaux de toute éventuelle commission, autre que la commission d'appel d'offres, ayant contribué à l'analyse, à la notation et au classement des offres au titre du lot considéré ;
h) tout autre document ou échange communicable se rapportant à la procédure de passation du lot considéré ;
2) s'agissant du lot n° 18, les pièces permettant de justifier la décision de limiter le nombre de lots susceptibles d’être attribués à un même candidat, telle que formulée à l’article 5 du règlement de la consultation de la procédure de passation de l’accord‐cadre, dans la mesure où la règle concernée s’applique de manière globale sur tout le périmètre de l’accord‐cadre, et n’est pas spécifique à la procédure de passation d’un lot qui aurait été déclaré sans suite.
En premier lieu, en réponse à la demande d'observations qui lui a été adressée, le directeur général de CDC Habitat a informé la commission que les éléments sollicités avaient été transmis à la société X, après occultation des mentions protégées par le secret des affaires. La commission relève toutefois que cette transmission n'a pas satisfait le demandeur qui conteste l'ampleur des occultations opérées.
Elle considère, par suite, que la demande est recevable.
En deuxième lieu, la commission précise, s'agissant de la qualification de document administratif, que les documents produits ou reçus par une personne de droit privé revêtent le caractère de documents administratifs, au sens de l'article L300-2 du code des relations entre le public et l'administration si, d’une part, cette personne exerce une mission de service public et si, d’autre part, les documents sollicités présentent un lien suffisamment direct avec la mission de service public qui lui est confiée (CE, 17 avr. 2013, n° 342372, aux T).
La commission rappelle en second lieu que le Conseil d’État, dans sa décision de Section du 22 février 2007, Association du personnel relevant des établissements pour inadaptés, n° 264541, a jugé qu’indépendamment des cas dans lesquels le législateur a lui-même entendu reconnaître ou, à l’inverse, exclure l’existence d’un service public, une personne privée qui assure une mission d’intérêt général sous le contrôle de l’administration et qui est dotée à cette fin de prérogatives de puissance publique est chargée de l’exécution d’un service public. Même en l’absence de telles prérogatives, une personne privée doit également être regardée, dans le silence de la loi, comme assurant une mission de service public lorsque, eu égard à l’intérêt général de son activité, aux conditions de sa création, de son organisation ou de son fonctionnement, aux obligations qui lui sont imposées ainsi qu’aux mesures prises pour vérifier que les objectifs qui lui sont assignés sont atteints, il apparaît que l’administration a entendu lui confier une telle mission.
La commission relève, en l'espèce, qu'il ressort des informations librement accessibles, que CDC Habitat est une société anonyme d'économie mixte (SEM) dont le capital est détenu à 99% par la Caisse des dépôts et consignations. Elle se présente sur son site internet comme un organisme privé chargé de la gestion du service public consistant à gérer de façon optimale le patrimoine immobilier public en France. Cet organisme a notamment pour mission de construire et gérer de nouveaux logements, privilégier la mixité sociale et entre générations, accompagner le « parcours résidentiel » des locataires et des futurs acquéreurs, d’accompagner les projets urbains des collectivités locales et de l’État dans le cadre d’opérations complexes de construction et de réhabilitation ou dans la reprise et la gestion d’actifs immobiliers publics, d’intégrer systématiquement les enjeux du développement durable lors des constructions neuves à faible impact environnemental et en améliorant la performance énergétique du parc existant, et d’offrir à tous les clients un niveau de service élevé par le développement d’outils et de services innovants et en favorisant la proximité et l’écoute.
La commission déduit de ces éléments que CDC Habitat doit être regardée, dans le cadre de sa mission d'attribution et de gestion de logements locatifs sociaux, comme une personne privée chargée d’une mission de service public au sens de l’article L300-2 du code des relations entre le public et l’administration. Dès lors, les documents produits ou reçus dans le cadre de cette mission revêtent le caractère de documents administratifs. En revanche, lorsque les documents relèvent des relations commerciales entre les cocontractants, il présente le caractère de document privé.
En l’espèce, la commission constate que la demande de communication porte sur des documents se rapportant à la procédure d'attribution de l'accord-cadre ayant pour objet des prestations de gardiennage, de sûreté et de sécurité incendie et en déduit que cet accord-cadre présente un lien suffisamment direct avec la réalisation de sa mission de service public.
En application des principes précédemment énoncés, elle considère que les documents se rapportant à cet accord-cadre revêtent un caractère administratif et relèvent, dès lors, du champ d'application du livre III du code des relations entre le public et l'administration.
En troisième lieu, la commission rappelle qu'une fois signés, les marchés publics et les documents qui s’y rapportent sont des documents administratifs soumis au droit d'accès institué par le livre III du code des relations entre le public et l’administration. En conséquence, la communication à un candidat écarté des motifs ayant conduit à ne pas lui attribuer le contrat ne permet pas de refuser la communication de ces documents.
Ce droit de communication, dont bénéficient tant les entreprises non retenues que toute autre personne qui en fait la demande, doit toutefois s'exercer dans le respect du secret des affaires, protégé par les dispositions de l’article L311-6 de ce code. Il résulte en effet de la décision du Conseil d’État du 30 mars 2016, "Centre hospitalier de Perpignan" (n° 375529), que, lorsqu’elles sont saisies d’une demande de communication de documents relatifs à un marché public, les autorités mentionnées à l’article L300-2 du même code doivent examiner si les renseignements contenus dans ces documents peuvent, en affectant la concurrence entre les opérateurs économiques, porter atteinte au secret des affaires et faire ainsi obstacle à cette communication.
Le Conseil d’État a en outre précisé qu’au regard des règles de la commande publique, doivent être regardées comme communicables, sous réserve des secrets protégés par la loi, l’ensemble des pièces d’un marché public et que, dans cette mesure, l’acte d’engagement, le prix global de l’offre et les prestations proposées par l’entreprise attributaire, notamment, sont en principe communicables. Sont également communicables les pièces constitutives du dossier de consultation des entreprises (règlement de consultation, cahier des clauses administratives particulières, cahier des clauses techniques particulières…).
En revanche, les éléments qui reflètent la stratégie commerciale d’une entreprise opérant dans un secteur d’activité concurrentiel et dont la divulgation est susceptible de porter atteinte au secret des affaires ne sont, en principe, pas communicables. Il en va ainsi de l’offre de prix détaillée contenue dans le bordereau des prix unitaires, la décomposition du prix global et forfaitaire ou le détail quantitatif estimatif, ainsi que du mémoire technique, qui ne sont, de fait, pas communicables aux tiers. Revenant sur sa doctrine antérieure, la commission a également précisé dans son Conseil n° 20221455 du 21 avril 2022, qu’il en va aussi désormais ainsi des factures, bons de commande, états d’acompte, décomptes et autres pièces établies dans le cadre de l’exécution d’un marché public, qui ne sont communicables qu'après occultation des prix unitaires ou de la décomposition du prix forfaitaire, susceptibles, en soi, de refléter la stratégie commerciale d’une entreprise opérant dans un secteur d’activité déterminé.
L’examen de l’offre des entreprises non retenues au regard des mêmes principes conduit de même la commission à considérer que leur offre de prix globale est, en principe, communicable mais qu’en revanche, le détail technique et financier de cette offre ne l’est pas.
En outre, pour l’entreprise attributaire comme pour l’entreprise non retenue, les dispositions de l’article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration doivent entraîner l’occultation des éléments suivants :
- les mentions relatives aux moyens techniques et humains, à la certification de système qualité, aux certifications tierces parties ainsi qu'aux certificats de qualification concernant la prestation demandée, ainsi que toute mention concernant le chiffre d'affaires, les coordonnées bancaires et les références autres que celles qui correspondent à des marchés publics ;
- dans les documents préparatoires à la passation du marché (procès-verbaux, rapports d'analyse des offres) les mentions relatives aux détails techniques et financiers des offres de toutes les entreprises.
La commission précise enfin que si la liste des entreprises ayant participé à la procédure est librement communicable, en revanche les notes et classements des entreprises non retenues ne sont communicables qu'à celles-ci, chacune en ce qui la concerne, en application de l’article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration. En revanche, les notes, classements et éventuelles appréciations de l'entreprise lauréate du marché sont librement communicables.
En quatrième lieu, la commission, qui a eu l'occasion de préciser sa doctrine par un avis n° 20221914 du 12 mai 2022, constate tout d’abord que la liste des questions formulées par les candidats en cours de procédure et les réponses qui y sont apportées par le pouvoir adjudicateur, est, en application des principes de transparence des procédures et d’égalité de traitement des candidats, portée à la connaissance de l’ensemble des candidats, le plus souvent par voie de publication sur le profil acheteur de l’administration concernée. Dès lors qu’elle conserve un caractère général, en ce qu’elle ne révèle aucun détail technique ou financier d’une offre particulière, la commission estime que cette liste est librement communicable à toute personne en faisant la demande.
La commission relève ensuite que le code de la commande publique autorise les acheteurs à demander aux candidats concernés de régulariser leur candidature ou leur offre, dans certaines conditions fixées par les textes. Dans la mesure où les dossiers de candidature des candidats non retenus ne sont pas communicables (conseil n° 20065427 du 21 décembre 2006), la commission considère que les demandes de régularisation de ces dossiers ne le sont pas davantage. En revanche, la commission estime que les demandes de régularisation du dossier de candidature de l’attributaire, ainsi que les demandes de régularisation des offres de l’ensemble des candidats, sont communicables à toute personne en faisant la demande, sous réserve de l’occultation des mentions couvertes par le secret des affaires.
S’agissant des échanges ou comptes rendus intervenant dans le cadre des négociations, d’une demande de précision ou d’une mise au point, la commission considère que, dans la mesure où ceux-ci ont pour objet d’éclairer le pouvoir adjudicateur sur les éléments techniques et financiers de l’offre remise par le candidat ou de faire évoluer ces éléments, ces documents révèlent, par nature, la stratégie commerciale de l’entreprise concernée et, à ce titre, sont entièrement couverts par le secret des affaires (avis n° 20122602 du 26 juillet 2012). Ces documents ne sont, par conséquent, pas communicables.
Enfin, la commission estime que les procès-verbaux de négociation, dans la mesure où ils se limitent à décrire la procédure de négociation et son organisation (durée, dates, personnes présentes, etc.) sans pour autant révéler le contenu des échanges intervenus, sont librement communicables à toute personne en faisant la demande.
En application de ces principes, elle émet un avis favorable à la communication des documents mentionnés au point 1) de la demande après occultation des mentions protégées par le secret des affaires dans les conditions précédemment rappelées. Elle émet donc, sous cette réserve, un avis favorable au point 1) de la demande.
En cinquième et dernier lieu, s'agissant du point 2) de la demande, la commission rappelle sa position constante selon laquelle le caractère communicable des documents relatifs à la passation d'un marché lorsque la procédure a été déclarée infructueuse ou sans suite dépend du sort que l'acheteur entend réserver à son projet. Si une procédure est relancée après que la précédente a été déclarée infructueuse ou qu'il a été décidé de ne pas lui donner de suite, seule cette déclaration ou cette décision est immédiatement communicable, tous les autres documents conservant un caractère préparatoire jusqu'à la signature du contrat issu de la nouvelle procédure. Si le pouvoir adjudicateur renonce en revanche à conclure le contrat envisagé, les documents relatifs aux procédures déclarées infructueuses ou sans suite perdent leur caractère préparatoire et sont communicables, en application de l'article L311-1 du code des relations entre le public et l'administration.
En l’espèce, la commission comprend que la procédure de consultation initiale a été déclarée sans suite et qu’une nouvelle consultation a été lancée. Il n’est toutefois pas précisé si un contrat a été conclu à l’issue de la nouvelle procédure. La commission relève toutefois que, bien que sollicitées par le demandeur dans le cadre de sa saisine relative au lot n° 18, les pièces visées, permettant de justifier la décision de limiter le nombre de lots susceptibles d’être attribués à un même candidat, ont pour objet de justifier une règle applicable à l'ensemble des lots de l'accord-cadre et fixée dans dans le règlement de consultation commun. Une partie des lots ayant d'ores-et-déjà été attribuée et les contrats afférents étant signés, la commission estime que les documents sollicités ont perdus leur caractère préparatoire et sont librement communicables à toute personne en faisant la demande, sous réserve, le cas échéant, de l'occultation des éventuelles mentions couvertes par le secret des affaires.
La commission émet, par suite, un avis favorable au point 2) de la demande, sous cette réserve.