Avis 20230943 Séance du 30/03/2023
Madame X a saisi la Commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 1er février 2023, à la suite du refus opposé par le garde des sceaux, ministre de la justice à sa demande de communication des documents relatifs à la situation de son fils X, en particulier :
1) les courriers diplomatiques, postaux ou électroniques concernant son fils, échangés entre les administrations françaises, la présidence de la République, le Gouvernement, les ministères concernés et les ambassades ;
2) les correspondances avec les autorités tunisiennes, et éventuellement avec les organisations internationales telles INTERPOL, l’Organisation des Nations unies (ONU) et l’Union européenne (UE) ;
3) les comptes rendus des actions menées, engagées par le Gouvernement français auprès des autorités tunisiennes pour faciliter et réaliser le rapatriement de son fils dans son pays natal, et la réponse de ces autorités.
Après avoir pris connaissance de la réponse du garde des sceaux, ministre de la justice, la commission comprend que Madame X souhaite obtenir communication de tout document relatif aux actions menées en lien avec l’enlèvement X, notamment dans le cadre de la convention franco-tunisienne du 18 mai 1982 relative à l'entraide judiciaire en matière de droit de garde des enfants, de droit de visite et d’obligations alimentaires. Cette convention prévoit que les ministères de la justice des deux États, désignés comme autorités centrales, se prêtent mutuellement concours pour la recherche et la localisation des enfants déplacés dont le droit de garde est contesté ou méconnu, qu’elles prennent ou font prendre toute mesure propre à assurer la remise volontaire des enfants ou à faciliter une solution amiable. A défaut de remise volontaire, ces autorités centrales se prêtent mutuellement concours pour faciliter l’exécution des décisions de justice et doivent saisir, dans les meilleurs délais, leurs autorités judiciaires compétentes notamment pour faire statuer sur la demande de remise dont l’enfant fait l’objet.
La commission rappelle, d’une part, que les documents produits ou reçus dans le cadre et pour les besoins d’une procédure juridictionnelle, qu'elle soit de nature civile, pénale ou commerciale, ne présentent pas un caractère administratif et n'entrent donc pas dans le champ d'application du livre III du code des relations entre le public et l’administration. Il en va ainsi, notamment des jugements, ordonnances, décisions ou arrêts rendus par les juridictions de l'ordre judiciaire ou administratif. C'est aussi le cas, plus largement, pour les dossiers de demande d'aide judiciaire (CE, 5 juin 1991, n° 102627, aux T. p. 948), des décisions du parquet, des dossiers d'instruction, des procès-verbaux d'audition, des rapports d'expertise ou des mémoires et observations des parties - c'est à dire de l'ensemble des pièces de procédure proprement dites - mais aussi des documents de travail internes à une juridiction, destinés à leurs membres et concourant à l'instruction des affaires ou à la formation des jugements (CE, 28 avril 1993, n° 117480, T. p. 782).
Elle rappelle, d’autre part, qu’en application des dispositions du c) du 2° de l'article L311-5 du code des relations entre le public et l'administration, ne sont pas communicables les documents dont la consultation ou la communication porterait atteinte à la conduite de la politique extérieure de la France. La commission considère que relèvent de ce secret les correspondances échangées avec un autre État (n° 19971796 du 29 mai 1996 et n° 20040964 du 4 mars 2004 ; 20160280 du 03 mars 2016), les documents retraçant les négociations diplomatiques ( n°20072905 du 26 juillet 2007) ainsi que les documents portant une appréciation sur les autorités étrangères et la conduite de leur politique ou révélant une prise de position des autorités françaises dans le cadre de relations diplomatiques (avis n° 20170055 du 6 avril 2017 relatif au Parlement de la communauté autonome de Catalogne).
En l’espèce, la commission estime, en premier lieu, que les correspondances visées au point 2), relèvent, en tant que telles, du secret de la conduite de la politique extérieure de la France. Elle ne peut dès lors qu’émettre un avis défavorable à leur communication.
En deuxième lieu, la commission observe que certains documents sollicités aux points 1) et 3) ont été élaborés ou reçus dans le cadre de la procédure visant à permettre la remise de l’enfant à sa mère, sur le fondement de la convention franco-tunisienne du 18 mai 1982 déjà citée. Le garde des sceaux, ministre de la justice, a informé la commission que la mise en œuvre de cette procédure avait eu directement pour objet et pour effet de transmettre la demande de remise de l'enfant aux autorités judiciaires compétentes en Tunisie.
La commission considère ainsi que les documents sollicités par Madame X, en tant qu'ils ont trait à cette procédure judiciaire, ne sont pas détachables d’une activité juridictionnelle, et sont par suite exclus du champ d'application du livre III du code des relations entre le public et l'administration. Elle se déclare donc incompétente, dans cette mesure, pour se prononcer sur la demande.
La commission estime en revanche, que les documents qui n'auraient pas été élaborés ou reçus dans le cadre de cette procédure juridictionnelle, s’ils existent, constituent des documents administratifs communicables à l’intéressée, en application de l'article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration, sous réserve, d’une part, en vertu de l’article L311-5 de ce code, de l’occultation des mentions dont la communication porterait notamment atteinte à la conduite de la politique extérieure de la France, au déroulement des procédures engagées devant les juridictions ou d'opérations préliminaires à de telles procédures, ou encore à la recherche et à la prévention, par les services compétents, d'infractions de toute nature.
D’autre part, doivent également être occultées, en vertu de l’article L311-6 du code des relations entre le public et l'administration, les mentions qui porteraient un jugement de valeur sur un tiers autre que Madame X, qui feraient apparaître le comportement d'un tiers, autre qu'une personne chargée d'une mission de service public, dès lors que sa révélation serait susceptible de lui porter préjudice ou dont la communication porterait atteinte au respect de la vie privée d'un tiers, notamment de l’autre parent (informations telles que les coordonnées personnelles et professionnelles de celui-ci, sa situation patrimoniale et financière, sa situation matrimoniale), y compris l’adresse de ce dernier, mais seulement lorsqu’elle est différente de celle de l’enfant.
La commission émet ainsi, sous ces réserves et dans cette mesure, un avis favorable sur le surplus de la demande.