Avis 20230777 Séance du 30/03/2023
Madame X a saisi la Commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 10 février 2023, à la suite du refus opposé par le maire d'Orgeval à sa demande de communication de la copie des documents suivants :
1) les grands livres de comptes 2022 ;
2) les dossiers tels qu'adressés aux institutions concernées de demande de subventions, demandes accordées par les délibérations n°2022-71 et 2022-72 d'octobre 2022 ;
3) l'ensemble des pièces télétransmises en préfecture le 28 juillet 2022 accompagnant la décision n° 2022-64 relative à la signature du marché global de performance pour la construction d’un groupe scolaire et d’une crèche ;
4) l'étude d'analyse prospective scolaire du 30 juillet 2021 de X figurant au grand livre des comptes 2021.
La commission précise, à titre liminaire, qu'elle n'est pas compétente pour se prononcer sur les droits d'information que les conseillers municipaux tirent, en cette qualité, de textes particuliers tel l'article L2121-13 du code général des collectivités territoriales, qui dispose que : « Tout membre du conseil municipal a le droit, dans le cadre de sa fonction, d'être informé des affaires de la commune qui font l'objet d'une délibération ». Toutefois, cette circonstance ne fait pas obstacle à ce que les élus puissent se prévaloir du droit d'accès prévu par le livre III du code des relations entre le public et l'administration, qui est ouvert à toute personne, indépendamment des fonctions qu'ils exercent ou des mandats qu'ils détiennent.
Pour ce qui concerne en premier lieu les dossiers mentionnés au point 2) de la demande, la commission rappelle qu’en application de l'article L311-1 du code des relations entre le public et l'administration, les documents composant un dossier de demande de subvention constituent des documents administratifs communicables à toute personne qui en fait la demande, sous réserve que la décision sur l'attribution de la décision ait été effectivement prise.
En réponse à la demande qui lui a été adressée, le maire d’Orgeval a toutefois indiqué que la commune n’avait pas encore élaboré les dossiers de demande de subvention à la région et au département dont Madame X demande la communication. La commission ne peut dès lors que déclarer la demande d’avis sans objet sur ce point.
Pour ce qui concerne en deuxième lieu les grands livres de comptes mentionnés au point 1), la commission rappelle qu’aux termes de l’article L2121-26 du code général des collectivités territoriales, toute personne peut demander communication des délibérations et procès-verbaux du conseil municipal, des arrêtés municipaux, ainsi que des budgets et comptes de la commune. L’ensemble des pièces annexées à ces documents sont communicables à toute personne qui en fait la demande, selon les modalités prévues par l’article L311-9 du code des relations entre le public et l’administration.
La commission prend en revanche acte de la décision du 8 février 2023 n°452521 par laquelle le Conseil d’État a jugé que s’agissant des budgets et des comptes des communes, le droit de communication qu’instituent les dispositions de l’article L2121-26 du code général des collectivités territoriales ne s’étend pas aux pièces justificatives des opérations et documents de comptabilité qu’il appartient à l’ordonnateur et au comptable public de conserver, en vertu des dispositions de l’article 52 du décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique (avis n° 20230165 du 9 mars 2023).
Après avoir pris connaissance d'extraits des grands livres de comptes 2021, la commission comprend que ces documents constituent des fichiers de comptabilisation des mandats de dépenses et des titres de recettes, tenus par l'ordonnateur par ordre chronologique, sous la forme d’une série continue, avec rattachement au chapitre et à l’article budgétaire correspondant. Elle en conclut que les grands livres de comptes 2022 mentionnés au point 1) sont communicables à toute personne qui en fait la demande dans les conditions prévues par le livre III du code des relations entre le public et l’administration et sous les réserves prévues par les articles L311-5 et L311-6 de ce code.
Elle précise à cet égard en particulier que les noms et prénoms d'une personne physique ne sont, en eux-mêmes, pas protégées par le secret de la vie privée. Elle en déduit que de telles mentions ne doivent en principe être occultées qu'au cas par cas, si, par recoupement avec les autres informations du document, elles sont de nature à porter atteinte au secret de la vie privée et au secret médical des personnes intéressées, ou si elles révèlent une appréciation ou un jugement de valeur d'ordre individuel sur ces personnes ou encore si elles font apparaître de leur part un comportement dont la divulgation serait susceptible de leur porter préjudice.
En application de ces principes, la commission considère par exemple de manière constante que l'identité des agents mentionnée dans l'article relatif à la médecine du travail et aux frais médicaux doit être occultée au titre du secret médical. Elle estime, de façon plus générale, que lorsque le nom d'un tiers est associé à une opération comptable, ces données doivent être occultées, dès lors que leur divulgation à un tiers est susceptible de porter atteinte à un secret protégé par la loi. Tel est le cas, par exemple, des bénéficiaires d'une aide ou d'une allocation ou des personnes redevables d'un trop-perçu. En revanche, elle estime, s'agissant de contrats de la commande publique, que le nom des sociétés prestataires et l’objet des prestations, n'est pas couvert par le secret des affaires et n'a pas à être occulté.
La commission souligne ensuite qu'en vertu de l'article L311-7 du code des relations entre le public et l'administration, il appartient à l'autorité saisie d'une demande de communication d'occulter ou de disjoindre chacune des mentions couvertes par un secret protégé, préalablement à la communication d'un document librement communicable à toute personne, à condition que ces occultations ou disjonctions ne privent pas de sens le document ou d'intérêt la communication.
Elle relève à cet égard, que dans sa décision du 27 septembre 2022, n° 452614, le Conseil d’État a estimé, s'agissant d'une demande de communication des fichiers de comptabilisation des titres de recettes et mandats de paiement émis par un département au titre de trois années, se présentant sous la forme de tableaux retraçant au total plus de 300 000 mandats de paiement et 75 000 titres de perception, que ces documents pouvaient être communiqués à des tiers après suppression, au sein de chaque fichier, de l’ensemble des colonnes susceptibles, compte tenu de leur objet, de contenir des données non communicables, telles que, par exemple, celles intitulées « nom bénéficiaire » ou « objet liquidation », tout en conservant un intérêt pour la personne ayant sollicité leur communication. Après avoir relevé que des tiers pouvaient être associés à chaque opération comptable tels que, par exemple, les bénéficiaires de dépenses relatives à l'action sociale, d’insertion ou en matière de santé menée par le département, le Conseil d’État a estimé qu'il ne revenait pas à l’administration d’opérer, sur des documents d’un tel volume, une vérification ligne à ligne des informations potentiellement protégées, cette recherche représentant une charge disproportionnée au regard des moyens à disposition.
La commission estime que cette solution, qui déroge au principe de l'occultation des seules mentions protégées, doit être interprétée strictement. Il revient en conséquence à l’administration d’apprécier concrètement, compte tenu des circonstances de l’espèce, si le volume et le contenu du grand livre de comptes demandé justifient la suppression de l’ensemble des colonnes susceptibles, compte tenu de leur objet, de contenir des données non communicables. Ce n’est ainsi qu’au cas par cas qu'une telle disjonction pourra être réalisée.
La commission émet, dès lors, un avis favorable à la communication des documents mentionnés au point 1), dans les conditions et sous les réserves précitées.
Pour ce qui concerne en troisième lieu l’étude d’analyse prospective scolaire mentionnée au point 4) de la demande, la commission estime qu’elle constitue un document administratif communicable à toute personne qui en fait la demande, sous réserve de l’occultation des éventuelles mentions couvertes par un secret protégé par l’article L311-6 du code des relations entre le public et l'administration.
Elle précise par ailleurs que la circonstance qu’un demandeur ait antérieurement pu prendre connaissance de documents administratifs est sans incidence sur l’exercice du droit à communication dans les conditions prévues par le livre III du code des relations entre le public et l'administration.
Elle émet donc un avis favorable sur ce point.
Pour ce qui concerne en dernier lieu les documents mentionnés au point 3) de la demande, la commission rappelle qu'une fois signés, les marchés publics et les documents qui s'y rapportent sont considérés comme des documents administratifs soumis au droit d'accès institué par le livre III du code des relations entre le public et l’administration.
Ce droit de communication, dont bénéficient tant les entreprises non retenues que toute autre personne qui en fait la demande, doit toutefois s'exercer dans le respect du secret des affaires, protégé par les dispositions de l’article L311-6 de cette loi. Il résulte en effet de la décision du Conseil d’État du 30 mars 2016, « Centre hospitalier de Perpignan » (n° 375529), que, lorsqu’elles sont saisies d’une demande de communication de documents relatifs à un marché public, les autorités mentionnées à l’article L300-2 du même code doivent examiner si les renseignements contenus dans ces documents peuvent, en affectant la concurrence entre les opérateurs économiques, porter atteinte au secret des affaires et faire ainsi obstacle à cette communication.
Le Conseil d’État a en outre précisé qu’au regard des règles de la commande publique, doivent être regardées comme communicables, sous réserve des secrets protégés par la loi, l’ensemble des pièces d’un marché public et que, dans cette mesure, l’acte d’engagement, le prix global de l’offre et les prestations proposées par l’entreprise attributaire, notamment, sont en principe communicables. Sont également communicables les pièces constitutives du dossier de consultation des entreprises (règlement de consultation, cahier des clauses administratives particulières, cahier des clauses techniques particulières…).
En revanche, les éléments qui reflètent la stratégie commerciale d’une entreprise opérant dans un secteur d’activité concurrentiel et dont la divulgation est susceptible de porter atteinte au secret des affaires ne sont, en principe, pas communicables. Il en va ainsi de l’offre de prix détaillée contenue dans le bordereau des prix unitaires, la décomposition du prix global et forfaitaire ou le détail quantitatif estimatif, ainsi que du mémoire technique, qui ne sont, de fait, pas communicables aux tiers. Revenant sur sa doctrine antérieure, la commission a également précisé dans son conseil n° 20221455 du 21 avril 2022, qu’il en va aussi désormais ainsi des factures, bons de commande, états d’acompte, décomptes et autres pièces établies dans le cadre de l’exécution d’un marché public, qui ne sont communicables qu'après occultation des prix unitaires ou de la décomposition du prix forfaitaire, susceptibles, en soi, de refléter la stratégie commerciale d’une entreprise opérant dans un secteur d’activité déterminé.
L’examen de l’offre des entreprises non retenues au regard des mêmes principes conduit de même la commission à considérer que leur offre de prix globale est, en principe, communicable mais qu’en revanche, le détail technique et financier de cette offre ne l’est pas.
En outre, pour l’entreprise attributaire comme pour l’entreprise non retenue, les dispositions de l’article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration doivent entraîner l’occultation des éléments suivants :
- les mentions relatives aux moyens techniques et humains, à la certification de système qualité, aux certifications tierces parties ainsi qu'aux certificats de qualification concernant la prestation demandée, ainsi que toute mention concernant le chiffre d'affaires, les coordonnées bancaires et les références autres que celles qui correspondent à des marchés publics ;
- dans les documents préparatoires à la passation du marché (procès-verbaux, rapports d'analyse des offres) les mentions relatives aux détails techniques et financiers des offres de toutes les entreprises.
La commission précise que les notes et classements des entreprises non retenues ne sont communicables qu'à celles-ci, chacune en ce qui la concerne, en application de l’article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration. En revanche, les notes, classements et éventuelles appréciations de l'entreprise lauréate du marché sont librement communicables.
En application de ces principes, la commission émet un avis favorable à la communication des documents mentionnés au point 3), sous la réserve tenant au secret des affaires.