Avis 20227726 Séance du 26/01/2023
Monsieur X, journaliste à « X », a saisi la Commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 12 décembre 2022, à la suite du refus opposé par la préfète des Deux-Sèvres à sa demande de communication, sous forme anonymisée, des documents suivants évoqués dans le « protocole d’accord pour une agriculture durable dans le territoire du bassin Sèvre Niortaise – Mignon » signé le 18 décembre 2018 :
1) l'ensemble des diagnostics communiqués par les exploitants à la date du 1er novembre 2022 ;
2) l'ensemble des engagements individuels communiqués par les exploitants à la date du 1er novembre 2022.
Le protocole d’accord pour une agriculture durable dans le territoire du bassin Sèvre Niortaise – Mignon, destiné à dresser « les conditions du développement d’une agriculture durable, économe de la ressource en eau, garante de la quantité et d’une bonne qualité de l’eau pour l’alimentation humaine et préservant la biodiversité, la qualité de l’eau ainsi que la qualité des paysages », a été signé le 18 décembre 2018 par la préfète des Deux-Sèvres, le président du conseil régional de Nouvelle-Aquitaine, le président du conseil départemental des Deux-Sèvres, des maires, le président de la chambre d’agriculture des Deux-Sèvres, le président de la commission locale de l’eau du SAGE, le président de la société coopérative anonyme de l’eau des Deux-Sèvres, le président du parc naturel régional du Marais poitevin et des associations de défense de l’environnement. Ce protocole prévoit notamment la souscription par chaque exploitant agricole irrigant d’un engagement individuel, après réalisation d’un diagnostic d’exploitation par la chambre d’agriculture. L’élaboration et la mise en œuvre de ces diagnostics font l’objet d’une validation et d’un suivi par la commission d’évaluation et de surveillance pilotée par l’État ainsi que par le comité scientifique et technique, co-présidé par l’État et la chambre d’agriculture, instances instituées par l’arrêté inter-préfectoral du 23 octobre 2017 autorisant la construction et l’exploitation de réserves de substitution par la société coopérative anonyme de l’eau des Deux-Sèvres. Le règlement intérieur de l’organisme unique de gestion collective (OUGC) des autorisations de prélèvement d’eau pour l’irrigation au sens du 6° du II de l'article L211-3 du code de l'environnement, en l’espèce l’établissement public administratif du Marais poitevin, prévoit pour les irrigants du bassin Sèvre Niortaise-Mignon que l’engagement de l’exploitant à respecter le protocole d’accord lui garantit le maintien de l’attribution, dans le cadre du plan annuel de répartition des volumes, de son volume de référence. Ce même règlement intérieur prévoit en revanche que le refus d’un exploitant de souscrire un tel engagement entraîne la suppression, au terme de trois ans, de son volume de référence et que le non-respect des engagements souscrits conduit à une diminution du volume de référence.
I. Cadre juridique de la demande
Après avoir pris connaissance de la réponse de la préfète des Deux-Sèvres à la demande qui lui a été adressée, la Commission rappelle, à titre liminaire, que l'entrée en vigueur du règlement n° 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (dit règlement général sur la protection des données « RGPD ») n'a pas entraîné de modification des dispositions du code des relations entre le public et l'administration relatives au droit d'accès aux documents administratifs comportant des données personnelles, ainsi que le prévoit d'ailleurs l'article 86 du RGPD aux termes duquel : « Les données à caractère personnel figurant dans des documents officiels détenus par une autorité publique ou par un organisme public ou un organisme privé pour l'exécution d'une mission d'intérêt public peuvent être communiquées par ladite autorité ou ledit organisme conformément au droit de l'Union ou au droit de l'État membre auquel est soumis l'autorité publique ou l'organisme public, afin de concilier le droit d'accès du public aux documents officiels et le droit à la protection des données à caractère personnel au titre du présent règlement. »
En premier lieu, la Commission constate que les engagements individuels souscrits par les exploitants agricoles irrigants sont reçus par l’État comme par l’établissement public du Marais poitevin dans le cadre de leurs missions de service public. Si la préfète a indiqué que les diagnostics d’exploitation ne sont en revanche pas transmis à ces autorités administratives, la Commission comprend qu’ils sont produits et traités par la chambre départementale d’agriculture, établissement public placé sous la tutelle de l’État, dans le cadre de ses missions de service public telles que définies aux articles L510-1 et suivants du code rural et de la pêche maritime comme dans le cadre de sa mission de service public en tant que déléguée de l’OUGC. La Commission estime par suite que les diagnostics d’exploitation comme les engagements individuels constituent des documents administratifs soumis au droit d’accès organisé par le code des relations entre le public et l’administration.
La Commission observe également que ces documents sont élaborés en vue de la répartition des volumes d’eau dont le prélèvement en vue de l’irrigation est soumis à autorisation préfectorale, en vertu des dispositions de la loi sur l’eau aujourd’hui codifiée au code de l’environnement et comprennent des informations relatives à l’environnement au sens de l’article L124-2 du code de l’environnement. Ces informations sont également soumises au droit de toute personne d'accéder à de telles informations, qui, selon les articles L124-1 et L124-3 du même code, s'exerce dans les conditions définies par le titre Ier du livre III du code des relations entre le public et l’administration, sous réserve des dispositions du chapitre IV du titre II du livre Ier du code de l'environnement.
Par conséquent, la Commission considère que ces informations sont communicables à toute personne qui en fait la demande, sous la seule réserve des motifs légaux de refus de communication énumérés à l'article L124-4 du code de l'environnement ou, en ce qui concerne les émissions dans l’environnement, au II de l'article L124-5 de ce code.
En deuxième lieu, la Commission rappelle que le I de l’article L124-4 du code de l’environnement dispose que : « Après avoir apprécié l’intérêt d’une communication, l’autorité publique peut rejeter la demande d’une information relative à l’environnement dont la consultation ou la communication porte atteinte : / 1°) Aux intérêts mentionnés aux articles L311-5 à L311-8 du code des relations entre le public et l'administration, à l'exception de ceux visés au e) et au h) du 2° de l'article L311-5 ; (…) 3° Aux intérêts de la personne physique ayant fourni, sans y être contrainte par une disposition législative ou réglementaire ou par un acte d'une autorité administrative ou juridictionnelle, l'information demandée sans consentir à sa divulgation (…).
En revanche, en vertu des dispositions du II de l'article L124-5 du code, l'autorité publique ne peut rejeter une demande portant sur une information relative à des « émissions de substances dans l'environnement » que dans le cas où sa communication porterait atteinte à la conduite de la politique extérieure de la France, à la sécurité publique ou à la défense nationale, ou encore au déroulement des procédures juridictionnelles, à la recherche d'infractions pouvant donner lieu à des sanctions pénales ou enfin à des droits de propriété intellectuelle. Ces dispositions font obstacle à ce que l'autorité administrative en refuse la communication au motif qu'elles comporteraient des mentions couvertes par le secret des affaires ou révèlerait le comportement d’une personne dès lors que la divulgation de ce comportement lui porterait préjudice. S 'agissant de la notion d'« émissions dans l'environnement », la Commission constate que, par deux arrêts C-673/13 et C-442/14 du 23 novembre 2016, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a jugé que, pour l'application de la directive précitée, il y avait lieu d'interpréter ses dispositions à l'aune de sa finalité, qui est de garantir le droit d’accès aux informations concernant des facteurs, tels que les émissions, qui ont ou sont susceptibles d’avoir des incidences sur les éléments de l’environnement, notamment sur l’air, l’eau et le sol et de permettre au public de vérifier si les émissions, rejets ou déversements ont été correctement évalués et de raisonnablement comprendre la manière dont l’environnement risque d’être affecté par lesdites émissions. Cette notion vise ainsi les informations qui « ont trait à des émissions dans l’environnement », c’est-à-dire celles qui concernent ou qui sont relatives à de telles émissions, et non les informations présentant un lien, même direct, avec les émissions dans l’environnement. Par son arrêt C-442/14 du 23 novembre 2016, la même Cour a précisé que les indications concernant la nature, la composition, la quantité, la date et le lieu effectif ou prévisible, des émissions dans l'environnement ainsi que les données relatives aux incidences, à plus ou moins long terme, de ces émissions sur l'environnement, en particulier les informations relatives aux résidus présents dans l'environnement après l'application du produit en cause et les études portant sur le mesurage de la dérive de la substance lors de cette application, que ces données soient issues d'études réalisées en tout ou partie sur le terrain, d'études en laboratoire ou d'études de translocation, relèvent de cette même notion.
II. Application au cas d’espèce
La Commission constate, en premier lieu, que le modèle d’engagement individuel consacre un volet aux mesures visant à la diminution de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques et que le diagnostic d’exploitation, selon l’exemple fourni par la préfète des Deux-Sèvres, comporte un volet « Fertilisation » avec les doses apportées de fumure, l’utilisation d’effluents organiques (page 5), un tableau recensant le détail des doses appliquées (page 8) ainsi que des éléments chiffrés sur l’indice de fréquence de traitement (page 9). De telles informations sont relatives à l’émission de substances dans l’environnement et sont librement communicables à toute personne qui en fait la demande.
La Commission prend note des tensions autour de la gestion de la ressource en eau dans le bassin Sèvre Niortaise- Mignon, soulignées par la préfète des Deux-Sèvres. Elle estime toutefois, en l’état des informations dont elle dispose, que ce contexte ne suffit pas à laisser craindre que la communication de ces informations soit de nature à porter atteinte à la sécurité publique, au sens du 1° du II de l’article L124-5 du code de l’environnement, à l’exception de celles figurant en page 10 du document transmis, relatives aux locaux de stockage d’engrais et de produits phytosanitaires.
Elle émet par suite un avis favorable à la communication des informations relatives à l’émission de substance dans l’environnement, sous cette seule réserve.
En deuxième lieu, la Commission constate que le diagnostic d’exploitation contient des informations relatives à l’environnement, notamment relatives à l’utilisation de l’eau (pages 1 et 11), au sol (page 1), au paysage (page 15), à la faune et à la flore observées (page 16).
La Commission relève d’abord que le règlement intérieur de l’OUGC, qui s’impose à tout préleveur irrigant disposant d’un ouvrage de prélèvement dans le périmètre de cet organisme, subordonne l’attribution à chaque exploitant d’un volume de référence à la souscription d’un engagement individuel et au respect de cet engagement. La Commission estime par suite qu’un refus de communication de ces informations ne peut pas être légalement opposé sur le fondement du 3° du I de l’article L124-4 pour ce qui concerne les indications par les exploitants dans ce cadre, quand bien même ces derniers n’auraient pas consenti à leur divulgation.
Elle considère que ces informations, qui ne portent par elles-mêmes atteinte à des secrets protégés par l’article L311-6, notamment pas au secret des affaires ou à la vie privée, sont librement communicables à toute personne qui en fait la demande. Elle estime également, en l’état des informations dont elle dispose, que la communication de ces informations n’est pas de nature à porter atteinte à la sécurité publique ou à la sûreté des personnes.
Elle émet donc un avis favorable à la communication de ces informations environnementales.
En revanche, la Commission observe que le diagnostic d’exploitation contient des éléments très précis sur les types de culture, l’assolement et les pratiques culturales et qu’il en va de même du surplus des mesures figurant dans le modèle d’engagement individuel. De telles informations peuvent être qualifiées d’informations relatives à l’environnement au sens de l’article L124-2 du code de l’environnement, dès lors qu’elles concernent des activités susceptibles d’avoir des incidences notamment sur le sol, les terres, les paysages. Pour autant, la Commission estime qu’elles entrent également dans le champ du secret de la vie privée des exploitants ou du secret des affaires de l’exploitation. Elle constate, comme la préfète des Deux-Sèvres, que compte tenu du nombre limité d’exploitants s’étant déjà engagés dans la démarche prévue par le protocole d’accord et du périmètre géographique restreint, la seule occultation de leurs noms, comme le suggère la demande, ne suffirait pas à préserver les secrets protégés par l’article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration.
La Commission reconnaît l’intérêt particulier s’attachant à la communication de ces informations, dans un territoire situé en « zone de répartition des eaux », c’est-à-dire marqué par un déséquilibre quantitatif entre les ressources disponibles et les différents besoins. Elle souligne toutefois que cet intérêt lui paraît pouvoir être satisfait par la communication d’un document de synthèse, dont l’élaboration est d’ailleurs prévue par le protocole d’accord.
La Commission émet par suite un avis défavorable à la communication au demandeur des informations relatives aux types de culture, à l’assolement et aux pratiques culturales contenues dans les diagnostics d’exploitation et dans les engagements individuels. Elle invite l’administration à proposer au demandeur la communication d’un document de synthèse à l’échelle du territoire.
En dernier lieu, le surplus du diagnostic d’exploitation consiste en la description de la structure juridique et des moyens de l’exploitation, la description précise des surfaces et leur localisation, la description détaillée du système d’exploitation, un volet socio-économique et des données économiques, des éléments sur les démarches de qualité ou de certification entreprises, l’appréciation par l’exploitant lui-même de son insertion dans son environnement ainsi que les éléments d’appréciation du diagnostiqueur. La Commission observe que ces éléments ne peuvent pas être qualifiés d’informations relatives à l’environnement et qu’ils relèvent des mentions couvertes par le secret de la vie privée et le secret des affaires ou de celles portant une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique nommément désignée ou facilement identifiable, qui ne sont pas communicables à des tiers.
Elle émet donc un avis défavorable à la demande sur ces points.