Avis 20227160 Séance du 12/01/2023
Monsieur X a saisi la Commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 21 novembre 2022, à la suite du refus opposé par le maire de Triel-sur-Seine à sa demande de copie, en sa qualité de conseiller municipal et d'administré, par courrier électronique, des grands livres des comptes 2020, 2021 et 2022 (à date) de la commune.
La Commission rappelle, à titre liminaire, qu'elle n'est pas compétente pour se prononcer sur les droits d'information que les conseillers municipaux tirent, en cette qualité, de textes particuliers tel l'article L2121-13 du code général des collectivités territoriales, qui dispose que : « Tout membre du conseil municipal a le droit, dans le cadre de sa fonction, d'être informé des affaires de la commune qui font l'objet d'une délibération ». Toutefois, cette circonstance ne fait pas obstacle à ce que les élus puissent se prévaloir du droit d'accès prévu par le livre III du code des relations entre le public et l'administration, qui est ouvert à toute personne, indépendamment des fonctions qu'elle exerce ou des mandats qu'elle détient.
La Commission comprend des éléments portés à sa connaissance que le maire de Triel-sur-Seine a transmis les trois documents demandés à Monsieur X après avoir procédé à des occultations notamment du nom des tiers et de l'objet des mandats, mais que ce dernier ne s'estime pas satisfait, sollicitant une communication intégrale des grands livres. La Commission estime, par suite, que la demande de Monsieur X conserve son objet.
La Commission, qui n'est pas en mesure d'apprécier la nature précise des occultations effectuées faute d'avoir pu prendre connaissance des documents non occultés, rappelle qu’il résulte de l’article L2121-26 du code général des collectivités territoriales que toute personne peut demander communication des délibérations et procès-verbaux du conseil municipal, des arrêtés municipaux, ainsi que des budgets et comptes de la commune. L’ensemble des pièces annexées à ces documents, y compris les pièces justificatives des comptes, sont communicables à toute personne qui en fait la demande, selon les modalités prévues par l’article L311-9 du code des relations entre le public et l’administration.
La Commission précise toutefois que si l'article L2121-26 du code général des collectivités territoriales a institué un régime spécifique d'accès aux documents des communes, distinct du régime général d'accès aux documents administratifs organisé par les dispositions du code des relations entre le public et l'administration, et si les exceptions au droit d'accès prévues à l'article L311-6 de ce code ne sont pas opposables à une demande présentée sur le fondement de ces dispositions spéciales, l'exercice de ce droit d'accès particulier ne saurait faire obstacle, par principe, à la protection de secrets protégés par la loi sur d'autres fondements, tels que le secret de la vie privée (CE 10 mars 2010, n° 303814, commune de Sète ; conseil n° 20121509 du 19 avril 2012 et conseil n° 20123242 du 27 septembre 2012), le secret médical (conseil n° 20122788 du 26 juillet 2012), le secret des correspondances échangées entre le client et son avocat (avis n° 20111095 du 14 avril 2011), ou le secret industriel et commercial (CE, 17 mars 2022, n° 449620).
La Commission estime, par suite, que le grand livre des comptes est un document administratif communicable à toute personne en faisant la demande sur le fondement de ces dispositions, sous réserve de l’occultation préalable des éventuelles mentions couvertes par le secret des affaires, le secret de la vie privée ou de tous autres secrets protégés par la loi (CE, 27 septembre 2022, n° 452614).
Elle précise , à cet égard, que si les noms et prénoms d'une personne physique sont des données à caractère personnel, ces mentions ne sont, en elles-mêmes, pas protégées par le secret de la vie privée. Elle en déduit, s'agissant du grand livre des comptes, que ces données ne doivent en principe être occultées qu'au cas par cas, si, par recoupement avec les autres informations du document, elles sont de nature à porter atteinte au secret de la vie privée et au secret médical des personnes intéressés, ou si elles révèlent une appréciation ou un jugement de valeur d'ordre individuel sur ces personnes ou encore si elles font apparaître de leur part un comportement dont la divulgation serait susceptible de leur porter préjudice.
En application de ces principes, la Commission a par exemple considéré que les mentions du grand livre des comptes relatives aux frais de déplacement du personnel ou aux rémunérations versées aux agents, ne relèvent en elles-même pas d'un secret protégé et peuvent, dès lors, être intégralement communiquées aux tiers (conseil n° 20215036, du 4 novembre 2021 ; avis n° 20191375, du 18 juillet 2019). En revanche, elle estime de manière constante que l'identité des agents mentionnée dans l'article relatif à la médecine du travail et aux frais médicaux doit être occultée au titre du secret médical (mêmes avis). Elle considère, de façon plus générale, que lorsque le nom d'un tiers est associé à une opération comptable, ces données identifiante doivent être occultées, dès lors que leur divulgation à un tiers est susceptible de porter atteinte à un secret protégé par la loi. Tel est le cas, par exemple, des bénéficiaires d'une aide ou d'une allocation ou des personnes redevables d'un trop-perçu.
La Commission rappelle ensuite qu'en vertu de l'article L311-7 du code des relations entre le public et l'administration, il appartient à l'autorité saisie d'une demande de communication d'occulter ou de disjoindre chacune des mentions couvertes par un secret protégé, préalablement à la communication d'un document librement communicable à toute personne, à condition que ces occultations ou disjonctions ne privent pas de sens le document ou d'intérêt la communication.
Elle indique que, s'agissant d'une demande de communication des fichiers de comptabilisation des titres de recettes et mandats de paiement émis par un département au titre de trois années, se présentant sous la forme de tableaux retraçant au total plus de 300 000 mandats de paiement et 75 000 titres de perception, le Conseil d’État a jugé que "A chacune de ces opérations comptables peuvent être associés des tiers, tels que, par exemple, les bénéficiaires de dépenses relatives à l'action sociale, d’insertion ou en matière de santé menée par le département. Il ne revient pas à l’administration d’opérer, sur des documents d’un tel volume, une vérification ligne à ligne des informations potentiellement protégées au titre de l’article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration (CRPA), cette recherche représentant une charge disproportionnée au regard des moyens à disposition." mais que "Dans les circonstances de l’espèce, les documents sollicités pouvaient néanmoins être communiqués après suppression, au sein de chaque fichier, de l’ensemble des colonnes susceptibles, compte tenu de leur objet, de contenir des données non communicables, telles que par exemple celles intitulées « nom bénéficiaire » ou « objet liquidation », tout en conservant un intérêt pour la personne ayant sollicité leur communication." (CE 27 septembre 2022, n° 452614, Département de l'Essonne).
La Commission estime toutefois que cette solution, qui déroge au principe de l'occultation des seules mentions protégées, doit être interprétée strictement. Il revient en conséquence à l’administration d’apprécier concrètement, compte tenu des circonstances de l’espèce, si le volume et le contenu du grand livre de comptes demandé justifient la suppression de l’ensemble des colonnes susceptibles, compte tenu de leur objet, de contenir des données non communicables. Ce n’est ainsi qu’au cas par cas qu'une telle disjonction pourra être réalisée.
Elle émet donc un avis favorable à la demande, sous ces réserves.