Avis 20227008 Séance du 15/12/2022
Monsieur X a saisi la commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 14 novembre 2022, à la suite du refus opposé par le ministre des armées à sa demande de communication, par dérogation aux délais fixés par l'article L213-2 du code du patrimoine, dans le cadre d'une recherche personnelle, des dossiers suivants conservés par le centre des archives militaires, caserne Bernadotte, à Pau concernant :
1) le 6ème régiment du génie, pour la période d'octobre à décembre 1971 :
- classeurs 15984, 15985, 15986, 15987, 15988, 15989 et 15990 ;
2) l'école nationale des sous-officiers d'active (ENSOA) 52ème promotion, pour la période de mai à novembre 1972 :
- classeur 2646 ;
3) le 4ème régiment du génie, pour la période de novembre 1972 à janvier 1973 :
- classeurs 15781, 15782, 15783, 15784, 15785, 15786, 15787, 15788, 15789 et 17492 ;
4) le 19ème régiment du génie, pour la période de janvier 1973 à février 1974 :
- classeurs : 11136, 16388, 16389 et 21303.
La commission rappelle à titre liminaire que, par principe, les documents d'archives sont communicables de plein droit, en vertu de l'article L213-1 du code du patrimoine.
Néanmoins, par dérogation, certaines catégories de documents, en raison des informations qu'ils contiennent, ne sont pas immédiatement communicables et ne le deviennent qu’aux termes des délais et dans les conditions, fixés par l'article L213-2 du même code. Ces dispositions prévoient, en particulier, que les documents qui comportent des informations dont la communication porte atteinte à la protection de la vie privée ne deviennent librement communicables qu’à l’expiration d’un délai de cinquante ans à compter de la date du document ou du document le plus récent inclus dans le dossier, les documents dont la communication porte atteinte au secret médical ne deviennent librement communicables qu’à l’expiration d’un délai de vingt cinq-ans à compter de la date du décès de l'intéressé ou, si cette date est inconnue, de cent vingt ans à compter de la date de naissance de la personne en cause, les documents relatifs aux affaires portées devant les juridictions, sous réserve des dispositions particulières relatives aux jugements, et à l'exécution des décisions de justice, ne deviennent librement communicables qu'à l'expiration d'un délai de soixante-quinze ans à compter de la date du document ou du document le plus récent inclus dans le dossier, ou un délai de vingt-cinq ans à compter de la date du décès de l'intéressé si ce dernier délai est plus bref.
La commission précise, par ailleurs, qu'en vertu de l'article L213-3 du code du patrimoine, une autorisation de consultation, par anticipation aux délais prévus par l'article L213-2 précité, peut cependant être accordée par l’administration des archives aux personnes, physiques ou morales, qui en font la demande dans la mesure où l'intérêt qui s'attache à la consultation des documents ne conduit pas à porter une atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger. Cette autorisation requiert l’accord préalable de l'autorité dont émanent les documents, l’administration des archives étant tenue par l’avis donné.
La commission rappelle que pour apprécier l'opportunité d'une communication anticipée, elle s'efforce, au cas par cas, de mettre en balance les avantages et les inconvénients d'une communication anticipée, en tenant compte d'une part de l'objet de la demande et, d'autre part, de l'ampleur de l'atteinte aux intérêts protégés par la loi.
Conformément à sa doctrine constante (avis de partie II, n° 20050939, du 31 mars 2015), cet examen la conduit à analyser le contenu du document (son ancienneté, la date à laquelle il deviendra librement communicable, la sensibilité des informations qu'il contient au regard des secrets justifiant les délais de communication) et à apprécier les motivations, la qualité du demandeur (intérêt scientifique s'attachant à ses travaux mais aussi intérêt administratif ou familial) et sa capacité à respecter la confidentialité des informations dont il souhaite prendre connaissance.
Dans un avis de partie II, n° 20215602, du 4 novembre 2021, la commission a estimé opportun de compléter sa grille d’analyse afin de tenir compte de la décision d’Assemblée n°s 422327 et 431026, du 12 juin 2020, par laquelle le Conseil d’État a précisé qu’afin de déterminer s'il y a lieu ou non de faire droit à une demande de consultation anticipée, il convient de mettre en balance d'une part, l'intérêt légitime du demandeur apprécié au regard du droit de demander compte à tout agent public de son administration posé par l'article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 et de la liberté de recevoir et de communiquer des informations protégée par l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et, d'autre part, les intérêts que la loi a entendu protéger. L’intérêt légitime du demandeur doit être apprécié au vu de la démarche qu’il entreprend et du but qu’il poursuit en sollicitant la consultation anticipée d’archives publiques, de la nature des documents en cause et des informations qu’ils comportent. Les risques qui doivent être mis en balance sont ceux d’une atteinte excessive aux intérêts protégés par la loi. La pesée de l’un et des autres s’effectue en tenant compte notamment de l’effet, eu égard à la nature des documents en cause, de l’écoulement du temps et, le cas échéant, de la circonstance que ces documents ont déjà fait l’objet d’une autorisation de consultation anticipée ou ont été rendus publics.
En l'espèce, la commission relève que le demandeur, qui souhaite consulter les archives collectives des unités dans lesquelles il a servi, inscrit sa demande dans le cadre d'une recherche personnelle. Elle relève, en outre qu'en réponse à la demande qui lui a été adressée, le ministre des armées lui a indiqué que les dossiers demandés contiennent de nombreuses informations sensibles se rapportant à des tiers nommément désignés et relevant du secret de la vie privée et du secret médical, ainsi que du secret des affaires portées devant des juridictions. Elle relève, en outre, que ces dossiers seront intégralement librement communicables entre 2046 et 2074, selon la nature des informations qu'ils contiennent.
Au terme de la mise en balance des intérêts en présence, la commission estime que la consultation anticipée des fonds d’archives demandés est, en l’espèce, de nature à porter une atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger. Elle émet, dès lors, un avis défavorable à la demande.