Conseil 20226771 Séance du 15/12/2022

La Commission d'accès aux documents administratifs a examiné lors de sa séance du 15 décembre 2022 votre demande de conseil relative au possibilité, pour un administré, de diffuser le grand livre (extrait des comptes de la commune avec le nom des sociétés, l’objet des prestations, et les montants réglés facture par facture) ainsi que les factures. 1. La Commission vous rappelle, tout d'abord, qu’il résulte de l’article L2121-26 du code général des collectivités territoriales que : « Toute personne physique ou morale a le droit de demander communication des procès-verbaux du conseil municipal, des budgets et des comptes de la commune et des arrêtés municipaux ». L’ensemble des pièces annexées à ces documents, y compris les pièces justificatives des comptes, sont communicables à toute personne qui en fait la demande, selon les modalités prévues par le livre III du code des relations entre le public et l'administration. La commission précise que si l'article L2121-26 du code général des collectivités territoriales a institué un régime spécifique d'accès aux documents des communes, distinct du régime général d'accès aux documents administratifs organisé par les dispositions du code des relations entre le public et l'administration, et si les exceptions au droit d'accès prévues à l'article L311-6 de ce code ne sont pas opposables à une demande présentée sur le fondement de ces dispositions spéciales, l'exercice de ce droit d'accès particulier ne saurait faire obstacle, par principe, à la protection de secrets protégés par la loi sur d'autres fondements, tels que le secret de la vie privée (CE, 10 mars 2010, n° 303814 ; conseil n° 20121509 du 19 avril 2012 et conseil n° 20123242 du 27 septembre 2012), le secret médical (conseil n° 20122788 du 26 juillet 2012), le secret des correspondances échangées entre le client et son avocat (avis n° 20111095 du 14 avril 2011), ou le secret industriel et commercial (CE, 17 mars 2022, n° 449620). La Commission estime que le grand livre de comptes entre dans le champ d'application des documents administratifs communicables en application de l'article L2121-26 du code général des collectivités territoriales, sous réserve de l’occultation préalable des mentions couvertes par un de ces secrets protégés (CE, 27 septembre 2022, n° 452614). Elle précise, à cet égard, que si les noms et prénoms d'une personne physique sont des données à caractère personnel, ces mentions ne sont, en elles-mêmes, pas protégées par le secret de la vie privée. Elle en déduit, s'agissant du grand livre des compte, que ces données ne doivent en principe être occultées qu'au cas par cas, si, par recoupement avec les autres informations du document, elles sont de nature à porter atteinte au secret de la vie privée et au secret médical des personnes intéressés, ou si elles révèlent une appréciation ou un jugement de valeur d'ordre individuel sur ces personnes ou encore si elles font apparaître de leur part un comportement dont la divulgation serait susceptible de leur porter préjudice. En application de ces principes, la Commission a par exemple considéré que les mentions du grand livre des comptes relatives aux frais de déplacement du personnel ou aux rémunérations versées aux agents, ne relèvent en elles-mêmes pas d'un secret protégé et peuvent, dès lors, être intégralement communiquées aux tiers (conseil n° 20215036, du 4 novembre 2021 ; avis n° 20191375, du 18 juillet 2019). En revanche, elle estime de manière constante que l'identité des agents mentionnée dans l'article relatif à la médecine du travail et aux frais médicaux doit être occultée au titre du secret médical (mêmes avis). Elle considère, de façon plus générale, que lorsque le nom d'un tiers est associé à une opération comptable, ces données identifiantes doivent être occultées, dès lors que leur divulgation à un tiers est susceptible de porter atteinte à un secret protégé par la loi. Tel est le cas, par exemple, des bénéficiaires d'une aide ou d'une allocation ou des personnes redevables d'un trop-perçu. En revanche, la Commission estime, s'agissant de contrats de la commande publique, que le nom des sociétés prestataires et l’objet des prestations, n'est pas couvert par le secret des affaires et n'a pas à être occulté. Sont également communicables les factures émises par un prestataire, sous réserve de l'occultation préalable des mentions couvertes par le secret des affaires. Elle souligne, à cet égard, s'agissant des factures afférentes à un marché public, que le détail des prix (prix unitaires ou détail de la décomposition d'un prix forfaitaire), susceptible, en soi, de refléter la stratégie commerciale d’une entreprise opérant dans un secteur d’activité déterminé, doit être occulté. La Commission vous rappelle ensuite qu'en vertu de l'article L311-7 du code des relations entre le public et l'administration, il appartient à l'autorité saisie d'une demande de communication d'occulter ou de disjoindre chacune des mentions couvertes par un secret protégé, préalablement à la communication d'un document librement communicable à toute personne, à condition que ces occultations ou disjonctions ne privent pas de sens le document ou d'intérêt la communication. Elle relève à cet égard, que dans sa décision du 27 septembre 2022, n° 452614, le Conseil d’État a estimé, s'agissant d'une demande de communication des fichiers de comptabilisation des titres de recettes et mandats de paiement émis par un département au titre de trois années, se présentant sous la forme de tableaux retraçant au total plus de 300 000 mandats de paiement et 75 000 titres de perception, que ces documents pouvaient être communiqués à des tiers après suppression, au sein de chaque fichier, de l’ensemble des colonnes susceptibles, compte tenu de leur objet, de contenir des données non communicables, telles que par exemple celles intitulées « nom bénéficiaire » ou « objet liquidation », tout en conservant un intérêt pour la personne ayant sollicité leur communication. Après avoir relevé que des tiers pouvaient être associés à chaque opération comptable tels que, par exemple, les bénéficiaires de dépenses relatives à l'action sociale, d’insertion ou en matière de santé menée par le département, le Conseil d’État a estimé qu'il ne revenait pas à l’administration d’opérer, sur des documents d’un tel volume, une vérification ligne à ligne des informations potentiellement protégées, cette recherche représentant une charge disproportionnée au regard des moyens à disposition. La Commission estime que cette solution, qui déroge au principe de l'occultation des seules mentions protégées, doit être interprétée strictement. Il revient en conséquence à l’administration d’apprécier concrètement, compte tenu des circonstances de l’espèce, si le volume et le contenu du grand livre de comptes demandé justifient la suppression de l’ensemble des colonnes susceptibles, compte tenu de leur objet, de contenir des données non communicables. Ce n’est ainsi qu’au cas par cas qu'une telle disjonction pourra être réalisée. La Commission vous rappelle, par conséquent, que le grand livre en cause en l'espèce n'est communicable à un administré que sous ces réserves et dans les conditions précitées. 2. La Commission vous rappelle ensuite qu'en vertu de l’article L321-1 du même code, les informations publiques figurant dans des documents communiqués ou publiés par les administrations mentionnées au premier alinéa de l'article L300-2 peuvent être utilisées par toute personne qui le souhaite à d'autres fins que celles de la mission de service public pour les besoins de laquelle les documents ont été produits ou reçus, les limites et conditions de cette réutilisation étant définies par le titre II du livre III de ce code. En application de l'article L321-2 de ce code, doivent être regardées comme des informations publiques, les informations contenues dans des documents administratifs communicables à toute personne qui en ferait la demande sur le fondement de l'article L311-1 du code. Dans ce cadre, l’article L322-1 du code des relations entre le public et l'administration prévoit que, sauf accord de l’administration, la réutilisation des informations publiques est soumise à la condition que ces dernières ne soient pas altérées, que leur sens ne soit pas dénaturé et que leurs sources et la date de leur dernière mise à jour soient mentionnées. Le non respect de ces dispositions est passible de sanction, dans les conditions définies par les articles L326-1 et suivants du code des relations entre le public et l'administration. En outre, la réutilisation d'informations publiques comportant des données à caractère personnel est subordonnée au respect des dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés et du Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données). 3. La Commission estime en conséquence qu'en principe, rien ne s'oppose à la diffusion que vous évoquez, l'attention du potentiel réutilisateur pouvant alors être utilement attirée sur les exigences découlant de l'ensemble des règles rappelées au point 2.. Néanmoins, la Commission relève de votre demande que les documents transmis à l'administré contiendraient des informations couvertes par le secret des affaires. Elle ne peut, dans ce cas, que vous inviter à attirer l'attention de cet administré sur l'impossibilité de diffuser ces documents en l'état et vous inviter à lui adresser de nouvelles versions de ces documents, après occultation des mentions couvertes par le secret des affaires, conformément au point 1.