Conseil 20226184 Séance du 24/11/2022
La Commission d'accès aux documents administratifs a examiné, dans sa séance du 24 novembre 2022, votre demande de conseil relative aux modalités de mise en ligne des décisions d'ester en justice sur le site internet de la collectivité, dans le cadre de la réforme des règles de publicité, d’entrée en vigueur et de conservation des actes pris par les collectivités territoriales et leurs groupements, prévue par l'article 78 de la loi n° 2019‐1461 du 27 décembre 2019 dite « Engagement et proximité ».
1. Modalités de mise en ligne des actes pris par les autorités départementales et articulation avec les règles générales de diffusion publique posées par le code des relations entre le public et l'administration (CRPA) :
Depuis le 1er juillet 2022, l’article L3131-1 du code général des collectivités territoriales (CGCT) impose une publication sous forme électronique des actes réglementaires et des décisions ne présentant ni un caractère réglementaire, ni un caractère individuel pris par les autorités départementales. Cette publication est de nature à garantir l’authenticité des actes et à assurer leur mise à disposition du public de manière permanente et gratuite.
L’article R3131-2 du même code précise les modalités de cette publication. Aux termes de ces dispositions, les actes concernés sont « mis à la disposition du public sur le site internet du département dans leur intégralité, sous un format non modifiable et dans des conditions propres à en assurer la conservation, à en garantir l'intégrité et à en effectuer le téléchargement. La version électronique de ces actes comporte la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de leur auteur ainsi que la date de mise en ligne de l'acte sur le site internet du département. La durée de publicité de l'acte ne peut pas être inférieure à deux mois ».
Ces nouvelles dispositions appellent de la part de la commission plusieurs observations.
En premier lieu, dans le dernier état de sa doctrine, la CADA considère que seule une mise en ligne, par l'administration ou sous son contrôle, et dans des conditions permettant d'en garantir la pérennité, d'un document administratif dans un standard ouvert, aisément réutilisable et exploitable par un système de traitement automatisé dès lors qu'elle en dispose déjà ou qu'elle est susceptible d'en disposer à l'issue d'une opération de transfert, de conversion ou de reproduction courante peut être regardée comme une diffusion publique au sens du quatrième alinéa de l'article L311-2 du CRPA (avis n° 20191393, du 17 octobre 2019). Elle estime traditionnellement que la mise en ligne de documents administratifs numérisés au format PDF image ne permet ni la réutilisation, ni l'exploitation des données fournies par un système de traitement automatisé et ne saurait être regardée comme une diffusion publique au sens de l’article L312-1 et du quatrième alinéa de l'article L311-2 du CRPA.
La commission relève, d’une part, que ni le CGCT, ni le CRPA n’impose de format type. Elle constate, par ailleurs, que la mise en ligne des actes sur le site internet des départements sous un format non modifiable constitue une garantie de l’authenticité des actes, ces derniers ne pouvant plus être modifiés après leur publication, ni par la collectivité territoriale, ni par un tiers, mais ne facilite en revanche pas la libre réutilisation des données. Elle observe, à cet égard, que ces dispositions particulières dérogent à l’acception relativement étroite de la notion de diffusion publique retenue par sa doctrine.
La commission souligne, d’autre part, que la durée de publicité de l’acte, qui ne peut être inférieure à deux mois selon l’article R3131-2 du CGCT, doit être distinguée de la mise à disposition du public permanente et gratuite prévue par l’article L3131-1 du CGCT. A cet égard, la direction générale des collectivités locales a précisé, dans ses outils pédagogiques destinés aux collectivités territoriales accessibles en ligne à partir du lien suivant : https://www.collectivites-locales.gouv.fr/publicite-et-entree-en-vigueur-des-actes-des-collectivites-locales, qu’une mise en ligne d’un acte pendant au moins deux mois, suivie d’un archivage électronique accessible aux usagers avec un moteur de recherche, répond à l’exigence de pérennité.
2. Mise en ligne des actes dans leur intégralité et articulation avec la protection des secrets protégés et des données personnelles :
La publication en ligne de documents administratifs par l’administration doit en principe s’effectuer dans le respect des conditions posées à l’article L312-1-2 du CRPA.
En premier lieu, cet article dispose, dans son premier alinéa, que : « Sauf dispositions législatives ou réglementaires contraires, lorsque les documents et données mentionnés aux articles L312-1 ou L312-1-1 comportent des mentions entrant dans le champ d'application des articles L311-5 ou L311-6, ils ne peuvent être rendus publics qu'après avoir fait l'objet d'un traitement permettant d'occulter ces mentions. »
La commission déduit de ces dispositions que pour pouvoir faire l’objet d’une publication en ligne sur le site internet de l’administration, un document administratif doit en principe, au regard des mentions qu’il contient, être communicable à toute personne.
Il y a lieu de distinguer selon que la communication du document est régie par les dispositions du livre III du CRPA ou par une législation spéciale.
Lorsque la communication d’un document est soumise aux dispositions du CRPA, il ne peut être procédé à sa publication que si son contenu respecte les secrets protégés par les articles L311-5 et L311-6 du CRPA.
En revanche, lorsque la communication d’un document relève d'une législation spéciale qui n’inclut pas ces articles, le contenu du document doit, pour pouvoir être publié, se conformer aux règles et principes issus de cette législation particulière et qui conditionnent sa communicabilité à toute personne.
Constitue une législation spéciale qui déroge au régime de droit commun d’accès aux documents administratifs prévu par le titre Ier du livre III du CRPA, l'article L3121-17 du CGCT.
Il résulte de la jurisprudence du Conseil d’État (décision Commune de Sète du 10 mars 2010, n° 303814, complétée par la décision du 17 mars 2022, n° 449620), que si les exceptions au droit d’accès prévues à l’article L311-6 de ce code ne sont pas opposables à une demande présentée sur le fondement des dispositions spéciales de l’article L3121-17 du CGCT, l’exercice de ce droit d’accès particulier ne saurait faire obstacle, par principe, à la protection de secrets protégés par la loi sur d’autres fondements, tels que le secret de la vie privée (CE 10 mars 2010, n° 303814, commune de Sète ; conseil n° 20121509 du 19 avril 2012 et conseil n° 20123242 du 27 septembre 2012), le secret médical (conseil n° 20122788 du 26 juillet 2012), le secret des correspondances échangées entre le client et son avocat (avis n° 20111095 du 14 avril 2011), ou le secret industriel et commercial (CE, 17 mars 2022, n° 449620).
La commission relève, par ailleurs, que l’article L312-1-2 du CRPA réserve le cas des dispositions législatives ou réglementaires contraires, susceptibles de prévoir une publication en ligne sans occultation des mentions protégées par les articles L311-5 ou L311-6. Elle estime, à cet égard, que l’article R3131-2, en prévoyant que les actes sont publiés « dans leur intégralité », permet de s’affranchir de la confidentialité organisée par ces articles. Les actes concernés par la réforme sont donc publiables en ligne sans qu’il y ait lieu de s’interroger sur l’occultation des mentions protégées par les articles L311-5 ou L311-6. En revanche, elle considère, s’agissant des catégories d’actes relevant de l’article L3121-17 du CGCT, tels que les arrêtés réglementaires, que les informations qui ne sont pas nécessaires à la satisfaction de l’objectif, poursuivi par le législateur, d’information du public sur la gestion départementale demeureront occultables, en application des principes non écrits issus de la jurisprudence du Conseil d’État.
En second lieu, la commission relève que lorsqu'un document administratif comporte des données à caractère personnel, il doit alors, pour pouvoir être publié en ligne, satisfaire aux conditions posées au deuxième alinéa de l’article L312-1-2 du CRPA.
Aux termes de ces dispositions, sauf dispositions législatives contraires ou si les personnes intéressées ont donné leur accord, lorsque les documents comportent des données à caractère personnel, ils ne peuvent être rendus publics qu'après avoir fait l'objet d'un traitement permettant de rendre impossible l'identification de ces personnes. Une liste des catégories de documents pouvant être rendus publics sans avoir fait l'objet du traitement susmentionné est fixée par décret pris après avis motivé et publié de la Commission nationale de l'informatique et des libertés. Elle figure à l'article D312-1-3.
La commission relève qu’une norme réglementaire ne permet pas de déroger à ces dispositions. Elle en déduit que les dispositions de l’article R3131-2 du CGCT, en prévoyant une publication des actes dans leur intégralité, ne peuvent être regardées comme ayant entendu déroger au principe général d’anonymisation avant publication, prévu par l’article L312-1-2 du CRPA.
La publication en ligne des documents concernés par la réforme doit donc, comme avant la réforme, s’effectuer après anonymisation des données personnelles, sauf consentement des personnes ou applicabilité de l’une des dispenses prévues par le CRPA.
3. Incidence de la réforme sur le droit de communication de documents :
L’article L3131-1 du CGCT prévoit que « Lorsqu'une personne demande à obtenir sur papier un acte publié sous forme électronique, le président du conseil départemental le lui communique. Il n'est pas tenu de donner suite aux demandes abusives, en particulier par leur nombre ou par leur caractère répétitif ou systématique. ». L’article R3131-2 précise quant à lui que « La délivrance des actes mentionnés au VI de l'article L3131-1 se fait selon les modalités fixées par l'article R311-11 du code des relations entre le public et l'administration ».
La commission relève que ces dispositions spéciales dérogent à celles du quatrième alinéa de l’article L311-2 du CRPA, qui prévoient que le droit à communication ne s'exerce plus lorsque les documents font l'objet d'une diffusion publique.
Elle constate également que l’article L311-9 du CRPA instaure le principe du libre choix par le demandeur des formes dans lesquelles s'effectue la communication : consultation, communication d’une copie papier, sous forme électronique ou par publication en ligne, alors que l’article L3131-1 permet uniquement la communication au format papier.
La commission relève enfin que certains actes concernés par la réforme, à l’instar des arrêtés du président du conseil départemental, relèvent également du champ d’application des dispositions de l’article L3121-17 du CGCT, qui ouvre à toute personne physique ou morale le droit de demander communication des délibérations et des procès-verbaux du conseil départemental, des budgets et des comptes du département ainsi que des arrêtés du président. La communication de ces documents, qui peut être obtenue aussi bien auprès du président que des services déconcentrés de l’État, intervient dans les conditions prévues par l'article L311-9 du code des relations entre le public et l'administration.
La commission considère que les dispositions de l’article L3131-1 du CGCT, auquel l’article L342-2 du CRPA ne renvoie pas, doit être regardé comme s’articulant dans une logique de complémentarité et non d’exclusion avec les dispositions précitées relevant de son champ de compétence. Ces dispositions n’ont, dès lors, pas pour effet de restreindre le droit d’accès que les demandeurs peuvent, le cas échéant, tirer de ces dispositions.
S’inscrivant dans la continuité de sa doctrine antérieure à la réforme, la commission propose enfin, dans un souci de cohérence et de simplicité, de se déclarer compétente dans tous les cas, bien que l’article L342-2 du CRPA procède au seul renvoi des dispositions de l’article L3121-17 du CGCT.
La commission relève cependant, à toutes fins utiles, que dans la mesure où le droit de communication ne s’exerce plus, en application de l’article L311-2 du CRPA, lorsque les documents font l’objet d’une diffusion publique, elle sera conduite dans le cadre de son office à vérifier, le cas échéant et au cas par cas, que la mise en ligne réalisée en application de l’article L3131-1 s’apparente à une diffusion publique au sens de sa doctrine, afin d’apprécier la recevabilité d’une demande de communication présentée sur le fondement de l’article L3121-17 précité.
4. Application au cas d'espèce :
D'une part, la commission considère que, lorsqu'elle revêt matériellement la forme d'un document distinct de la plainte ou de la requête dont la juridiction est saisie, la décision d'agir en justice présente, lorsqu'elle est prise au nom d'une personne morale dans le cadre des missions de service public dont celle-ci est chargée, le caractère d'un document administratif au sens de l'article L300-2 du CRPA (avis de partie II n° 20124487 du 10 janvier 2013).
D'autre part, elle relève qu'en vertu des dispositions de l'article L3221-10 du CGCT, la décision d'ester en justice est prise par le président du conseil départemental au nom du département en vertu d'une délibération du conseil départemental. Il peut, par délégation du conseil départemental, être chargé pour la durée de son mandat d'intenter au nom du département les actions en justice ou de défendre le département dans les actions intentées contre lui, dans les cas définis par le conseil départemental.
La commission estime qu'en ce qu'elles procèdent nécessairement d'une délibération du conseil départemental, les décisions d'ester en justice relèvent de la législation spéciale d’accès aux documents administratifs prévu à l'article L3121-17 du CGCT. En application des principes qui ont été précédemment exposés, elle considère que la publication en ligne de ces décisions, qui ne présentent ni un caractère réglementaire, ni un caractère individuel, en application des dispositions des article L3131-1 et R3131-2 du CGCT ne peut être réalisée qu'après occultation, le cas échéant, des informations qui ne sont pas nécessaires à la satisfaction de l’objectif, poursuivi par le législateur, d’information du public sur la gestion départementale, telles que les mentions dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée de tiers, et sous réserve du respect, le cas échéant, des dispositions précitées de l'article L312-1-2 du CRPA.
Tels sont, en l'état des informations que vous avez portées à sa connaissance, les éléments de réponse que la commission est susceptible de vous apporter.