Avis 20225665 Séance du 03/11/2022

Monsieur X a saisi la commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 20 septembre 2022, à la suite du refus opposé par le directeur chargé des Archives de France à sa demande de communication, par dérogation aux délais fixés par l'article L213-2 du code du patrimoine, dans le cadre de ses recherches doctorales menées au sein de l'Université de Bourgogne sur le traitement juridique de l'islam en France, des documents conservés aux Archives nationales, sous les cotes suivantes : Intérieur ; Cabinet de X ministre de l'Intérieur. X, conseiller technique chargé des cultes (2004) 1) 20070231/6 Fonctionnement du Conseil français du culte musulman (CFCM) : Organisation (2004) ; Réunions du bureau (2004) ; 2) 20070231/7 Querelle au sein du CFCM : Querelle au sein du CFCM (2004) ; Islam dans l'intégration européenne, participation au colloque de Lille le 19 mars 2004 ; 3) 20070231/8 Conseils régionaux du culte musulman : Organisation (2004) ; 4) 20070231/9 Relations avec les associations cultuelles : Relations entretenues avec les différentes obédiences du culte musulman (2004) ; Relations avec des associations et organisations musulmanes ; Relations entre X ; 5) 20070231/10 Lieux de culte : Surveillance des écoles coraniques (2004) ; Formation des imams (2004) ; Construction des lieux de culte musulmans (mai 2004) ; Situation du fonctionnement de la Mosquée de Paris (2004) ; Célébration de l'Aïd El Kebir (2004) ; Gestion de la question du voile (2004) ; Programme de formation et projet de fondation proposée pour l'Institut du Monde Arabe (2004). La commission relève que la demande porte en l’espèce sur des documents dont la communication est régie par les dispositions du protocole de remise des archives signé par l’ancien ministre de l’intérieur, Monsieur X. Elle rappelle à titre liminaire que, par principe, les documents d'archives sont communicables de plein droit, en vertu de l'article L213-1 du code du patrimoine. Néanmoins, par dérogation à cet article, certaines catégories de documents, en raison des informations qu'ils contiennent, ne sont pas immédiatement communicables et ne le deviennent qu’aux termes des délais et dans les conditions, fixés par l'article L213-2 de ce même code. La commission ajoute que lorsqu’un dossier d’archive comporte un ou plusieurs documents qui ne sont pas librement accessibles, cette circonstance rend incommunicable l’ensemble des documents inclus dans le dossier, avant l’expiration de tous les délais destinés à protéger les divers intérêts publics ou privés en présence. La commission précise, par ailleurs, qu'en vertu de l'article L213-3 du code du patrimoine, une autorisation de consultation, par anticipation aux délais prévus par l'article L213-2 précité, peut cependant être accordée par l’administration des archives aux personnes, physiques ou morales, qui en font la demande dans la mesure où l'intérêt qui s'attache à la consultation des documents ne conduit pas à porter une atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger. Cette autorisation requiert l’accord préalable de l'autorité dont émanent les documents, l’administration des archives étant tenue par l’avis donné. La commission précise, enfin, qu'aux termes de l'article L213-4 du code du patrimoine, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2008-696 du 15 juillet 2008 : « Le versement des documents d'archives publiques émanant du Président de la République, du Premier ministre et des autres membres du Gouvernement peut être assorti de la signature entre la partie versante et l'administration des archives d'un protocole relatif aux conditions de traitement, de conservation, de valorisation ou de communication du fonds versé, pendant la durée des délais prévus à l'article L213-2. Les stipulations de ce protocole peuvent également s'appliquer aux documents d'archives publiques émanant des collaborateurs personnels de l'autorité signataire (…) ». Pour l'application de l'article L213-3, l'accord de la partie versante requis pour autoriser la consultation ou l'ouverture anticipée du fonds est donné par le signataire du protocole. Le protocole cesse de plein droit d'avoir effet en cas de décès du signataire et, en tout état de cause, à la date d'expiration des délais prévus à l'article L213-2 ». S’agissant des protocoles signés, comme en l’espèce, postérieurement à la publication de la loi du 15 juillet 2008, les délais fixés par l’article L213-2 du code du patrimoine s’appliquent aux documents qu’ils régissent. Par ailleurs, l’article L213-3 relatif aux possibilités de consultation anticipée des archives de droit commun leur est expressément rendu applicable de manière adaptée, l’autorité versante dont l’accord est requis devant s’entendre comme celle ayant signé le protocole. En l’espèce, la commission relève que l’administration des archives a reçu une réponse défavorable de la part de Monsieur X, dont l’accord est requis pour toute autorisation de consultation des documents, selon les termes de l’article L213-4 du code du patrimoine. Dès lors, le directeur général des patrimoines ne pouvait qu’opposer un refus à la demande de Monsieur X. La commission relève que selon le 3° du I de l’article L213-2 du code du patrimoine, les documents dont la communication porte atteinte à la protection de la vie privée, portant une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable, ou faisant apparaître le comportement d'une personne dans des conditions susceptibles de lui porter préjudice sont couverts par un délai de cinquante ans, à compter de la date du document ou du document le plus récent inclus dans le dossier. La commission rappelle que pour apprécier l'opportunité d'une communication anticipée, elle s'efforce, au cas par cas, de mettre en balance les avantages et les inconvénients d'une communication anticipée, en tenant compte d'une part de l'objet de la demande et, d'autre part, de l'ampleur de l'atteinte aux intérêts protégés par la loi. Conformément à sa doctrine traditionnelle (avis de partie II, n° 20050939, du 31 mars 2015), cet examen la conduit à analyser le contenu du document (son ancienneté, la date à laquelle il deviendra librement communicable, la sensibilité des informations qu'il contient au regard des secrets justifiant les délais de communication) et à apprécier les motivations, la qualité du demandeur (intérêt scientifique s'attachant à ses travaux mais aussi intérêt administratif ou familial) et sa capacité à respecter la confidentialité des informations dont il souhaite prendre connaissance. Dans un avis de partie II, n° 20215602, du 4 novembre 2021, la commission a estimé opportun de compléter sa grille d’analyse afin de tenir compte de la décision d’Assemblée n°s 422327 et 431026, du 12 juin 2020, par laquelle le Conseil d’État a précisé qu’afin de déterminer s'il y a lieu ou non de faire droit à une demande de consultation anticipée, il convient de mettre en balance d'une part, l'intérêt légitime du demandeur apprécié au regard du droit de demander compte à tout agent public de son administration posé par l'article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 et de la liberté de recevoir et de communiquer des informations protégée par l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et, d'autre part, les intérêts que la loi a entendu protéger. L’intérêt légitime du demandeur doit être apprécié au vu de la démarche qu’il entreprend et du but qu’il poursuit en sollicitant la consultation anticipée d’archives publiques, de la nature des documents en cause et des informations qu’ils comportent. Les risques qui doivent être mis en balance sont ceux d’une atteinte excessive aux intérêts protégés par la loi. La pesée de l’un et des autres s’effectue en tenant compte notamment de l’effet, eu égard à la nature des documents en cause, de l’écoulement du temps et, le cas échéant, de la circonstance que ces documents ont déjà fait l’objet d’une autorisation de consultation anticipée ou ont été rendus publics. En l'espèce, la commission relève que le demandeur inscrit sa démarche dans une finalité de recherches doctorales sur le traitement juridique de l’islam en France. En l’état des informations portées à sa connaissance, la commission note cependant le caractère récent des informations contenues dans les dossiers d’archives demandés, dont l’échéance du délai de communicabilité, en 2054, est éloignée. Elle comprend par ailleurs des observations de l’administration que la communication de ces documents d’archives aurait pour effet de révéler de nombreuses informations se rapportant à des personnes nommément désignées. Au terme de la mise en balance des intérêts en présence, la commission estime qu’en dépit de l’intérêt légitime du demandeur, la communication par anticipation aux délais légaux de communicabilité est, à ce jour, de nature à porter une atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger. Elle émet, dès lors, un avis défavorable à la demande.