Avis 20225512 Séance du 13/10/2022
Madame X, a saisi la Commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 12 septembre 2022, à la suite du refus opposé par le maire du Gosier à sa demande de copie, sur support papier, en sa qualité de conseillère municipale, pour chacune des dépenses suivantes, le bon de commande, le mandat de paiement, la factures jointe au mandat, les marchés ou conventions d’achat notamment pour les dépenses relatives à la sécurité, au juridique, à l’achat de matériel informatique et, concernant les dépenses liées aux frais de bouche, le nom des personnes ayant participé à ces repas ou destinataires des achats (X, X etc.) :
1) s'agissant des dépenses liées au train de vie du cabinet pour l'année 2020 :
a) frais de bouche - Alimentation et restauration pour 49 273.31€ ;
b) communication/imprimerie pour 8 529.78 € ;
c) évènementiel pour 34 583.95€ ;
d) sécurité pour 14 989.49 € ;
e) divers pour 10 238.70 € (arts de la table, esthétique, etc.) ;
2) s'agissant de l'année 2021 ;
a) frais de bouche - Alimentation et Hôtellerie pour 24 072.22 € ;
b) évènementiel pour 83 096.62 € ;
c) communication pour 50 797.03 € ;
d) sécurité pour 177 258.07 € ;
e) achat de matériel informatique pour 41 234.57 € ;
f) divers pour 9 192.12 € (esthétique, transport, etc.) ;
3) les dépenses liées à l’achat de matériel informatique pour la communication concernant l'année 2021 pour 41 234.57 € ;
4) les dépenses liées aux contentieux concernant l'année 2020 pour 28 316.66 € et l'année 2021 pour 103 699.89 € ;
5) les dépenses liées au nettoyage concernant l'année 2021 pour 38 208.86 €.
La Commission rappelle, à titre liminaire, qu'elle n'est pas compétente pour se prononcer sur les droits d'information que les conseillers municipaux tirent, en cette qualité, de textes particuliers tel l'article L2121-13 du code général des collectivités territoriales, qui dispose que : « Tout membre du conseil municipal a le droit, dans le cadre de sa fonction, d'être informé des affaires de la commune qui font l'objet d'une délibération ». Toutefois, cette circonstance ne fait pas obstacle à ce que les élus puissent se prévaloir du droit d'accès prévu par le livre III du code des relations entre le public et l'administration, qui est ouvert à toute personne, indépendamment des fonctions qu'elle exerce ou des mandats qu'elle détient.
En l'absence de réponse du maire du Gosier, la Commission rappelle qu'une fois signés, les marchés publics et les documents qui s’y rapportent sont des documents administratifs soumis au droit d'accès institué par le livre III du code des relations entre le public et l’administration. En conséquence, la communication à un candidat écarté des motifs ayant conduit à ne pas lui attribuer le marché ne permet pas de refuser la communication de ces documents.
Ce droit de communication, dont bénéficient tant les entreprises non retenues que toute autre personne qui en fait la demande, doit toutefois s'exercer dans le respect du secret des affaires, protégé par les dispositions de l’article L311-6 de ce code. Il résulte en effet de la décision du Conseil d’État du 30 mars 2016, "Centre hospitalier de Perpignan" (n° 375529), que, lorsqu’elles sont saisies d’une demande de communication de documents relatifs à un marché public, les autorités mentionnées à l’article L300-2 du même code doivent examiner si les renseignements contenus dans ces documents peuvent, en affectant la concurrence entre les opérateurs économiques, porter atteinte au secret des affaires et faire ainsi obstacle à cette communication.
Le Conseil d’État a en outre précisé qu’au regard des règles de la commande publique, doivent être regardées comme communicables, sous réserve des secrets protégés par la loi, l’ensemble des pièces d’un marché public et que, dans cette mesure, l’acte d’engagement, le prix global de l’offre et les prestations proposées par l’entreprise attributaire, notamment, sont en principe communicables. Sont également communicables les pièces constitutives du dossier de consultation des entreprises (règlement de consultation, cahier des clauses administratives particulières, cahier des clauses techniques particulières…).
En revanche, les éléments qui reflètent la stratégie commerciale d’une entreprise opérant dans un secteur d’activité concurrentiel et dont la divulgation est susceptible de porter atteinte au secret des affaires ne sont, en principe, pas communicables. Il en va ainsi de l’offre de prix détaillée contenue dans le bordereau des prix unitaires, la décomposition du prix global et forfaitaire ou le détail quantitatif estimatif, ainsi que du mémoire technique, qui ne sont, de fait, pas communicables aux tiers. Revenant sur sa doctrine antérieure, la Commission a également précisé dans son conseil n° 20221455 du 21 avril 2022, qu’il en va aussi désormais ainsi des factures, bons de commande, états d’acompte, décomptes et autres pièces établies dans le cadre de l’exécution d’un marché public, qui ne sont communicables qu'après occultation des prix unitaires ou de la décomposition du prix forfaitaire, susceptibles, en soi, de refléter la stratégie commerciale d’une entreprise opérant dans un secteur d’activité déterminé.
L’examen de l’offre des entreprises non retenues au regard des mêmes principes conduit de même la Commission à considérer que leur offre de prix globale est, en principe, communicable mais qu’en revanche, le détail technique et financier de cette offre ne l’est pas.
En outre, pour l’entreprise attributaire comme pour l’entreprise non retenue, les dispositions de l’article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration doivent entraîner l’occultation des éléments suivants :
- les mentions relatives aux moyens techniques et humains, à la certification de système qualité, aux certifications tierces parties ainsi qu'aux certificats de qualification concernant la prestation demandée, ainsi que toute mention concernant le chiffre d'affaires, les coordonnées bancaires et les références autres que celles qui correspondent à des marchés publics ;
- dans les documents préparatoires à la passation du marché (procès-verbaux, rapports d'analyse des offres) les mentions relatives aux détails techniques et financiers des offres de toutes les entreprises.
La Commission précise enfin que si la liste des entreprises ayant participé à la procédure est librement communicable, en revanche les notes et classements des entreprises non retenues ne sont communicables qu'à celles-ci, chacune en ce qui la concerne, en application de l’article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration. En revanche, les notes, classements et éventuelles appréciations de l'entreprise lauréate du marché sont librement communicables.
Par ailleurs, s’agissant des mandats de paiement et factures jointes aux mandats, la Commission rappelle qu’il résulte de l’article L2121-26 du code général des collectivités territoriales que : « toute personne physique ou morale a le droit de demander communication des délibérations et des procès-verbaux du conseil municipal, des budgets et des comptes de la commune et des arrêtés municipaux ». L’ensemble des pièces annexées à ces documents, y compris les pièces justificatives des comptes, sont communicables à toute personne qui en fait la demande, selon les modalités prévues par l’article L311-9 du code des relations entre le public et l’administration.
La Commission rappelle toutefois que si l'article L2121-26 du code général des collectivités territoriales a institué un régime spécifique d'accès aux documents des communes, distinct du régime général d'accès aux documents administratifs organisé par les dispositions du code des relations entre le public et l'administration, et si les exceptions au droit d'accès prévues à l'article L311-6 de ce code ne sont pas opposables à une demande présentée sur le fondement de ces dispositions spéciales, l'exercice de ce droit d'accès particulier ne saurait faire obstacle, par principe, à la protection de secrets protégés par la loi sur d'autres fondements, tels que le secret de la vie privée (CE 10 mars 2010, n° 303814, commune de Sète ; conseil n° 20121509 du 19 avril 2012 et conseil n° 20123242 du 27 septembre 2012), le secret médical (conseil n° 20122788 du 26 juillet 2012), le secret des correspondances échangées entre le client et son avocat (avis n° 20111095 du 14 avril 2011), ou le secret industriel et commercial (CE, 17 mars 2022, n° 449620).
A ce titre, le détail des prix, susceptible, en soi, de refléter la stratégie commerciale d’une entreprise opérant dans un secteur d’activité déterminé, doit être occulté (avis n° 20221246 et n° 20221455 du 21 avril 2022).
En application de ces principes, la Commission émet un avis favorable à la communication des documents sollicités aux points 1) à 3), et au point 5), sous réserve de l’occultation préalable des éventuelles mentions couvertes par le secret des affaires ou de tous autres secrets protégés par la loi (CE, 27 septembre 2022, n° 452614).
S’agissant du point 4), la Commission rappelle, que le premier alinéa de l’article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques dispose : « En toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l'avocat et ses confrères à l'exception pour ces dernières de celles portant la mention « officielle », les notes d'entretien et, plus généralement, toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel ». En application de ces dispositions, le Conseil d'État (CE, Ass. 27 mai 2005, Département de l'Essonne) a jugé que l'ensemble des correspondances échangées entre un avocat et son client, notamment les consultations juridiques rédigées par l'avocat à son intention, sont des documents administratifs couverts par le secret professionnel. Il résulte également de la jurisprudence de la Cour de cassation que le secret professionnel de l’avocat couvre l’ensemble des pièces du dossier ainsi que l’ensemble des correspondances échangées entre l’avocat et son client, y compris celles de ces correspondances qui n’ont pas de rapport direct avec la stratégie de défense – comme la convention d'honoraires, ou les facturations afférentes émises par l’avocat (Cour de cassation, Civ. 1ère, 13 mars 2008, pourvoi n° B05-11314).
Par conséquent, la Commission estime que les lettres d'engagement, devis, mandats de paiement ou factures relatifs aux prestations juridiques assurées par un cabinet d'avocat ne sont pas communicables dès lors que ces documents sont protégés par le secret professionnel auquel l’article L2121-26 n’a pas entendu déroger.
Elle émet donc un avis défavorable au point 4) de la demande, dans cette mesure.
En revanche, la commission estime que les pièces du marché susceptible d’avoir été conclu avec un ou plusieurs avocats, dès lors qu’elles ne visent aucune mission particulière confiée au cabinet mais conservent une portée générale (par exemple accord-cadre à bons de commandes ou accord-cadre à marchés subséquents), sont communicables à toute personne en faisant la demande, sous réserve de l’occultation des mentions couvertes par le secret des affaires dans les conditions sus-énoncées.
La commission émet, sous cette réserve et dans cette mesure, un avis favorable au point 4) de la demande.