Conseil 20225480 Séance du 13/10/2022
La commission d'accès aux documents administratifs a examiné lors de sa séance du 13 octobre 2022 votre demande de conseil relative :
1) au caractère communicable, à la fille aujourd'hui majeure et née alors que sa mère était mineure et accueillie en qualité de pupille de l’État, afin de retrouver l'identité de son père, du dossier administratif de sa mère aujourd'hui décédée ;
2) à l'obligation pour la fille de parents décédés de motiver sa demande pour consulter leur dossier administratif constitué auprès du service d'aide sociale à l'adulte, sachant que ceux-ci n'ont pas été pris en charge dans ce cadre mais que des demandes existent.
1. Principe de communication :
1.1. Demande de communication présentée sur le fondement du code des relations entre le public et l'administration :
La commission précise, à titre liminaire, qu'en l'absence de demande de secret sur les origines des enfants à leur naissance ou au moment où elles ont été remises à l'aide sociale à l'enfance en vue de leur admission en qualité de pupilles de l'État, les demandes ne relèvent pas de la mise en œuvre des dispositions des articles L147-1 à L147-11 du code de l'action sociale et des familles, pour laquelle seul le CNAOP est compétent.
La commission rappelle, ensuite, qu'en application de l'article L311-6 du code des relations entre le public et l'administration, ne sont communicables qu'à l'intéressé les documents dont la communication porterait atteinte au respect de sa vie privée ou au secret médical. La personne intéressée est, au premier chef, celle à laquelle le document se rapporte.
Le décès d’une personne ne met pas fin au secret protégeant sa vie privée ni au secret médical.
Il y a lieu, dans cette hypothèse, de distinguer selon la teneur des documents.
1.1.1. Accès aux informations médicales
Les articles L1110-4 et L1111-7 du code de la santé publique, telles que le Conseil d'État les a interprétées, ouvrent aux ayants droit, au concubin ou au partenaire lié par un pacte civil de solidarité la possibilité d'accéder aux informations médicales concernant un patient décédé. Cet accès, strictement encadré, suppose, d'une part, que le défunt ne s'y soit pas opposé de son vivant et, d'autre part, que la demande se réfère à l'un des trois motifs prévus à l'article L1110-4, à savoir connaître les causes du décès, faire valoir leurs droits ou défendre la mémoire du défunt, dans la mesure strictement nécessaire au regard du ou des objectifs poursuivis.
La commission souligne, en outre, que si l’objectif relatif aux causes de la mort n’appelle, en général, pas de précisions supplémentaires de la part du demandeur, il en va différemment des deux autres objectifs. Invoqués tels quels, ils ne sauraient ouvrir droit à communication d’un document médical. Le demandeur doit ainsi préciser les circonstances qui le conduisent à défendre la mémoire du défunt ou la nature des droits qu’il souhaite faire valoir, afin de permettre à l’équipe médicale d’identifier le ou les documents nécessaires à la poursuite de l’objectif correspondant.
Ces dispositions n'instaurent au profit des ayants droit d'une personne décédée qu'un droit d'accès limité à certaines informations médicales, et non à l’entier dossier médical. Toute demande d’accès doit remplir l’ensemble de ces conditions cumulatives.
1.1.2. Accès aux autres documents administratifs
Il ressort de la décision du Conseil d'État du 17 avril 2013, n° 337194, mentionnée aux tables du recueil Lebon, que la personne intéressée, au sens de ces dispositions, est la personne directement concernée par le document, c'est-à-dire, s'agissant d'un document contenant des informations qui se rapportent à une personne, soit cette personne elle-même, soit un ayant droit direct de cette personne, titulaire d'un droit dont il peut se prévaloir à raison du document dont il demande la communication.
La qualité de personne intéressée, appréciée de manière restrictive, a été reconnue aux ayants droit sollicitant la communication d'un document utile à la défense de leurs droits patrimoniaux en qualité d'héritier ou des droits à pension en tant que conjoint (avis n° 20164455, du 17 décembre 2016; avis n° 20183964, du 20 décembre 2018), ainsi qu'à ceux s'inscrivant dans une démarche tendant à la réparation d’un dommage subi par une personne décédée, à l’égard des documents nécessaires à l’établissement de ce préjudice et à l'engagement de la responsabilité de son auteur, sauf volonté contraire exprimée par la personne avant son décès (avis n° 20212776, du 6 mai 2021). En revanche, soucieux de préserver la mémoire du défunt, le Conseil d'État a refusé la communication à une personne des pièces du dossier constitué lors de l'examen de la demande de son père décédé tendant à obtenir l'honorariat et dont la divulgation pourrait nuire à sa mémoire (CE, sect., 29 juill. 1994, Chambre des notaires du Dpt du Cher, n° 105023 ).
En application de ces principes, la commission estime qu'un dossier d'aide sociale à l'enfance détenu par un conseil départemental est communicable à la personne à laquelle il se rapporte, principale intéressée, en application de l'article L311-6 du code des relations entre le public et l'administration. Cette communication ne peut toutefois intervenir qu'après occultation, sur le fondement de cette même disposition, des mentions dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée de tiers ainsi que le cas échéant au secret médical, ou qui feraient apparaître le comportement d'une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice.
Ce dossier administratif peut en outre, le cas échéant, être communiqué à ses enfants, à la condition toutefois qu’ils se prévalent en le justifiant, à raison des documents dont ils demandent la communication, de droits propres hérités du défunt ou de droits propres nés d’un préjudice qu’ils subissent directement.
1.2. Demande de communication présentée sur le fondement du code du patrimoine :
La commission rappelle qu’en application de l’article L211-4 du code du patrimoine, les documents qui procèdent de l’activité de l’État, des collectivités territoriales, des établissements publics et des autres personnes morales de droit public ou des personnes de droit privé chargées d’une mission de service public dans le cadre de cette mission, ont le caractère d’archives publiques. Ces documents deviennent donc communicables à toute personne qui le demande à l'expiration des délais fixés à l'article L213-2 du même code.
En application de l'article L213-2 du code du patrimoine, les documents qui composent un dossier d'aide sociale sont susceptibles d'être couverts par un triple délai de communicabilité : d’une part un délai de cinquante ans à compter de la clôture du dossier pour ce qui relève des mentions portant atteinte à la vie privée ; en second lieu, un délai de cent ans à compter de la clôture du dossier pour ce qui concerne les éventuelles mentions relatives aux affaires portées devant les juridictions ; et en troisième lieu, un délai de cent vingt ans à compter de la naissance de la personne concernée pour ce qui concerne les éventuels éléments couverts par le secret médical. Ces deux derniers délais peuvent être ramenés à vingt-cinq ans après le décès de la personne concernée.
La commission souligne qu’une autorisation de consultation de documents d'archives publiques avant l'expiration des délais fixés au I de l'article L213-2 peut être accordée aux personnes qui en font la demande dans la mesure où l'intérêt qui s'attache à la consultation de ces documents ne conduit pas à porter une atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger. Une demande d'accès dérogatoire présentée sur le fondement de ces dispositions permet donc, sous certaines conditions, d'accéder à des documents couverts par un secret et qui ne sont pas encore librement communicables.
2. Application au cas d’espèce :
En application de ces principes et en l’état des informations portées à sa connaissance, la commission estime, en premier lieu, que le dossier administratif d’une mère accueillie dans les services de l'aide sociale à l'enfance en qualité de pupille de l’État ne peut être communiqué à sa fille aujourd’hui majeure avant l'expiration des délais fixés à l'article L213-2 du même code, en application des dispositions du code des relations entre le public et l’administration, que si celle-ci justifie de la qualité de personne intéressée, dans les conditions rappelées ci-dessus.
Les éléments du dossier intéressant d’autres personnes que sa mère, essentiellement son père, tiers au dossier, ne lui sont en revanche pas communicables en application de l’article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration.
La demanderesse conserve néanmoins la faculté, sur le fondement de l'article L213-3 du code du patrimoine, de demander à consulter l’entier dossier par dérogation aux délais fixés à l'article L213-2 du même code. Cette dérogation pourra lui être accordée en l’absence d’atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger.
S’agissant du second point, la commission précise que l’accès aux documents administratifs n’est, en principe, subordonné à aucune exigence de qualité ou d’intérêt pour agir, sauf exceptions limitativement définies par la loi (CE 21 juillet 1989, Association SOS Défense et X, n° 34954, Lebon T. p. 687). Il est dérogé à ce principe lorsque le code des relations entre le public et l'administration prévoit que certains documents ne sont accessibles qu’à la personne intéressée, laquelle doit être en capacité de justifier de cette qualité, ou encore lorsque certaines dispositions législatives ont mis en place un régime particulier d’accès dont le bénéfice est réservé à des personnes déterminées.
La commission en déduit, s’agissant d’un dossier d’aide sociale à l’enfance communicable à l’intéressée, que le demandeur, s’il ne s’agit pas de la personne à laquelle les informations du document se rapportent, peut être invité à justifier de cette qualité, ce qui peut l’amener à préciser les motifs de sa demande.