Avis 20224759 Séance du 22/09/2022
Monsieur X a saisi la commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 29 juillet 2022, à la suite du refus opposé par le directeur chargé des Archives de France à sa demande de consultation, par dérogation aux délais fixés par l'article L213-2 du code du patrimoine, dans le cadre d'un projet de recherches sur les comités d'action républicaine et de leur postérité, de l'article conservé aux Archives nationales sous la cote :
Direction générale de la Police nationale. Archives du cabinet du directeur (1989-2001)
20080097/18 Front national
Congrès national à Strasbourg, contestation et organisation du maintien de l'ordre (1997) ;
Troubles à l'ordre public lors de manifestations et campagnes électorales du Front national (1996-1999) ;
Atteintes aux locaux et membres du parti (1998) ;
Service d'ordre du Front national (1992-1999) ;
Campagne pour les élections européennes de 1999, protection de X (1999) ;
Enquête de l'inspection générale de la police nationale suite à la présentation à la presse d'un document confidentiel de la direction départementale de la sécurité publique du Rhône sur les mineurs multirécidivistes par le secrétaire général du Front national (1998) ;
Enquête de l'Inspection générale de l'administration (IGA) suite à la divulgation des noms de fonctionnaires du commissariat d'Aix-en-Provence au parti (1999) ;
Intervention du secrétaire de la section du Parti communiste français des Mureaux suite à la distribution de tracts anti X à la gare des Mureaux (1997-1998) ;
Constitution d'un dossier relatif aux activités du parti (1997-1999) ;
Trafic d'armes en provenance d'Afrique, implication de militants du parti (1999).
La commission, qui a pris connaissance des observations du directeur chargé des Archives de France, rappelle à titre liminaire que, par principe, les documents d'archives sont communicables de plein droit, en vertu de l'article L213-1 du code du patrimoine. Néanmoins, par dérogation, certaines catégories de documents, en raison des informations qu'ils contiennent, ne sont pas immédiatement communicables et ne le deviennent qu’aux termes des délais et dans les conditions, fixés par l'article L213-2 du même code. A cet égard, selon le 3° du I de cet article, les documents qui comportent des informations dont la communication porte atteinte à la sécurité publique, à la protection de la vie privée, qui portent une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable, ou qui font apparaître le comportement d'une personne dans des conditions susceptibles de lui porter préjudice ne deviennent librement communicables qu’à l’expiration d’un délai de cinquante ans à compter de la date du document ou du document le plus récent inclus dans le dossier. En outre, selon le 4° du I de cet article, les documents relatifs aux enquêtes réalisées par les services de la police judiciaire ne deviennent librement communicables qu’à l’expiration d’un délai de soixante-quinze ans à compter de la date du document ou du document le plus récent inclus dans le dossier, porté à cent ans dans le cas de personnes mineures en vertu du 5° du I du même article.
La commission précise, par ailleurs, qu'en vertu de l'article L213-3 du code du patrimoine, une autorisation de consultation, par anticipation aux délais prévus par l'article L213-2 précité, peut cependant être accordée par l’administration des archives aux personnes, physiques ou morales, qui en font la demande dans la mesure où l'intérêt qui s'attache à la consultation des documents ne conduit pas à porter une atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger. Cette autorisation requiert l’accord préalable de l'autorité dont émanent les documents, l’administration des archives étant tenue par l’avis donné.
La commission rappelle que pour apprécier l'opportunité d'une communication anticipée, elle s'efforce, au cas par cas, de mettre en balance les avantages et les inconvénients d'une communication anticipée, en tenant compte d'une part de l'objet de la demande et, d'autre part, de l'ampleur de l'atteinte aux intérêts protégés par la loi. Conformément à sa doctrine traditionnelle (avis de partie II, n° 20050939, du 31 mars 2015), cet examen la conduit à analyser le contenu du document (son ancienneté, la date à laquelle il deviendra librement communicable, la sensibilité des informations qu'il contient au regard des secrets justifiant les délais de communication) et à apprécier les motivations, la qualité du demandeur (intérêt scientifique s'attachant à ses travaux mais aussi intérêt administratif ou familial) et sa capacité à respecter la confidentialité des informations dont il souhaite prendre connaissance. Dans un avis de partie II, n° 20215602, du 4 novembre 2021, la commission a estimé opportun de compléter sa grille d’analyse afin de tenir compte de la décision d’Assemblée n°s 422327 et 431026, du 12 juin 2020, par laquelle le Conseil d’Etat a précisé qu’afin de déterminer s'il y a lieu ou non de faire droit à une demande de consultation anticipée, il convient de mettre en balance d'une part, l'intérêt légitime du demandeur apprécié au regard du droit de demander compte à tout agent public de son administration posé par l'article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 et de la liberté de recevoir et de communiquer des informations protégée par l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et, d'autre part, les intérêts que la loi a entendu protéger. L’intérêt légitime du demandeur doit être apprécié au vu de la démarche qu’il entreprend et du but qu’il poursuit en sollicitant la consultation anticipée d’archives publiques, de la nature des documents en cause et des informations qu’ils comportent. Les risques qui doivent être mis en balance sont ceux d’une atteinte excessive aux intérêts protégés par la loi. La pesée de l’un et des autres s’effectue en tenant compte notamment de l’effet, eu égard à la nature des documents en cause, de l’écoulement du temps et, le cas échéant, de la circonstance que ces documents ont déjà fait l’objet d’une autorisation de consultation anticipée ou ont été rendus publics.
En l'espèce, la commission note l'intérêt des recherches menées par Monsieur X, ainsi que son engagement à ne pas révéler les informations qui lui auraient été communiquées dans le cadre de cette procédure de consultation par dérogation. En l'état des informations portées à sa connaissance, elle note cependant que les dossiers demandés comportent des documents sensibles relatifs aux enquêtes réalisées par les services de police judiciaire, protégés par un délai de 75 ans, porté pour l'un d'entre-eux à 100 ans en tant qu'il concerne des personnes mineures. Le reste du dossier est couvert par un délai de 50 ans, au titre de la présence d'informations relatives à la vie privée ou portant une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique ou faisant apparaître le comportement d'une personne dans des conditions susceptibles de lui porter préjudice. A ce titre, les différentes parties de ce dossier, qui est récent, ne deviendront librement communicables qu'entre 2042 et 2099.
Au terme de la mise en balance des intérêts en présence, la commission estime ainsi qu’en dépit de l’intérêt légitime du demandeur, la communication par anticipation aux délais légaux de communicabilité est, à ce jour, de nature à porter une atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger. Elle émet, dès lors, un avis défavorable à la demande.