Avis 20224469 Séance du 08/09/2022

Maître X, conseil de la société X, a saisi la Commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 18 juillet 2022, à la suite du refus opposé par le garde des sceaux, ministre de la justice à sa demande de communication des documents suivants pour chacun des marchés publics « multiservice multi technique » concourant au fonctionnement courant des établissements pénitentiaires MGD21-A, correspondant aux lots X : 1) toute délégation et subdélégation habilitant le signataire du marché à l’effet de préparer, passer et exécuter ledit marché, ainsi que la preuve des mesures de publicité afférentes auxdits actes ; 2) tous avis relatifs à la préparation et la passation du marché, émis par un organe consultatif constitué à titre permanent ou pour la passation dudit marché, l’ensemble des pièces remises ou soumises aux membres dudit organe consultatif, le procès-verbal de la ou des réunions dudit organe consultatif, les décisions portant composition et fonctionnement de cet organe consultatif comprenant la preuve des mesures de publicité y afférentes et les lettres de convocation adressées aux membres dudit organe consultatif, comprenant les preuves de leur envoi et de leur réception ; 3) toute décision ou avis fixant une estimation du montant du marché cité en références et/ou les crédits budgétaires alloués, c’est-à-dire l’ensemble des documents budgétaires relatifs à ce marché ; 4) le dossier de candidature remis par le titulaire, et les éventuelles demandes de régularisations et les régularisations ; 5) les éventuelles déclarations de sous-traitance lors du dépôt de l’offre du titulaire ; 6) le rapport d’analyse des candidatures ou toute pièce en tenant lieu ; 7) l’ensemble des procès-verbaux d’audition / négociation, afférents aux réunions organisées au cours de la procédure de passation avec le titulaire du marché ; 8) le rapport d’analyse des offres et le cas échéant, ses versions successives ; 9) les avis, opinions, conseils et plus généralement toute analyse relative aux candidatures et aux offres, établis par la direction de l’administration pénitentiaire et/ou son assistant ; 10) les procès-verbaux de l’ensemble des réunions de la commission d’appel d’offres (CAO) consacrées au marché cité en références, signés par ses membres ; 11) la décision de l’administration pénitentiaire retenant l’offre de l’attributaire ; 12) toute décision par laquelle le marché a été attribué ; 13) les pièces remises par l’attributaire en application de l’article 7-7 « Conditions d’attribution du marché » du règlement de la consultation, comprenant la copie de la sollicitation de l’administration pénitentiaire et de la lettre de transmission desdits documents accompagnés de la preuve de la date de réception ; 14) toute pièce ou toute décision relative à la mise au point du marché ; 15) le marché signé, soit l’ensemble des pièces contractuelles dans leur version intégrale et signée par le titulaire et l’administration pénitentiaire, ainsi que l’ensemble des annexes, comprenant les éléments de l’offre retenue, notamment le mémoire technique remis par le titulaire ; 16) toute décision de signer le marché formalisée autrement que par l’apposition de la signature du ministère de la justice sur l’acte d’engagement ; 17) la lettre de notification du marché susvisé ; 18) la preuve de l’accomplissement des formalités de publicité du marché ; 19) le rapport de présentation de la procédure de passation du marché établi en application des dispositions de l’article R2184-1 du code de la commande publique. 1. Principes de communication : La Commission rappelle, en premier lieu, qu'une fois signés, les marchés publics et les documents qui s’y rapportent sont des documents administratifs soumis au droit d'accès institué par le livre III du code des relations entre le public et l’administration. En conséquence, la communication à un candidat écarté des motifs ayant conduit à ne pas lui attribuer le marché ne permet pas de refuser la communication de ces documents. Ce droit de communication, dont bénéficient tant les entreprises non retenues que toute autre personne qui en fait la demande, doit toutefois s'exercer dans le respect du secret des affaires, protégé par les dispositions de l’article L311-6 de ce code. Il résulte en effet de la décision du Conseil d’État du 30 mars 2016, "Centre hospitalier de Perpignan" (n° 375529), que, lorsqu’elles sont saisies d’une demande de communication de documents relatifs à un marché public, les autorités mentionnées à l’article L300-2 du même code doivent examiner si les renseignements contenus dans ces documents peuvent, en affectant la concurrence entre les opérateurs économiques, porter atteinte au secret des affaires et faire ainsi obstacle à cette communication. Le Conseil d’État a en outre précisé qu’au regard des règles de la commande publique, doivent être regardées comme communicables, sous réserve des secrets protégés par la loi, l’ensemble des pièces d’un marché public et que, dans cette mesure, l’acte d’engagement, le prix global de l’offre et les prestations proposées par l’entreprise attributaire, notamment, sont en principe communicables. Sont également communicables les pièces constitutives du dossier de consultation des entreprises (règlement de consultation, cahier des clauses administratives particulières, cahier des clauses techniques particulières…). En revanche, les éléments qui reflètent la stratégie commerciale d’une entreprise opérant dans un secteur d’activité concurrentiel et dont la divulgation est susceptible de porter atteinte au secret des affaires ne sont, en principe, pas communicables. Il en va ainsi de l’offre de prix détaillée contenue dans le bordereau des prix unitaires, la décomposition du prix global et forfaitaire ou le détail quantitatif estimatif, ainsi que du mémoire technique, qui ne sont, de fait, pas communicables aux tiers. Revenant sur sa doctrine antérieure, la Commission a également précisé dans son Conseil n° 20221455 du 21 avril 2022, qu’il en va aussi désormais ainsi des factures, bons de commande, états d’acompte, décomptes et autres pièces établies dans le cadre de l’exécution d’un marché public, en tant que ces documents mentionnent les prix unitaires. L’examen de l’offre des entreprises non retenues au regard des mêmes principes conduit de même la Commission à considérer que leur offre de prix globale est, en principe, communicable mais qu’en revanche, le détail technique et financier de cette offre ne l’est pas. En outre, pour l’entreprise attributaire comme pour l’entreprise non retenue, les dispositions de l’article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration doivent entraîner l’occultation des éléments suivants : - les mentions relatives aux moyens techniques et humains, à la certification de système qualité, aux certifications tierces parties ainsi qu'aux certificats de qualification concernant la prestation demandée, ainsi que toute mention concernant le chiffre d'affaires, les coordonnées bancaires et les références autres que celles qui correspondent à des marchés publics ; - dans les documents préparatoires à la passation du marché (procès-verbaux, rapports d'analyse des offres) les mentions relatives aux détails techniques et financiers des offres de toutes les entreprises. La Commission précise enfin que si la liste des entreprises ayant participé à la procédure est librement communicable, en revanche les notes et classements des entreprises non retenues ne sont communicables qu'à celles-ci, chacune en ce qui la concerne, en application de l’article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration. En revanche, les notes, classements et éventuelles appréciations de l'entreprise lauréate du marché sont librement communicables. La Commission rappelle, en second lieu, qu'en application de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance, les sous-traitants doivent être agréés par le maître d'ouvrage pour bénéficier d'un droit au paiement direct. En l'absence de cet agrément, les actes de sous-traitance et quitus des sous-traitants relèvent uniquement des relations commerciales entre deux entreprises privées. Le code des relations entre le public et l’administration s'applique, en revanche, aux demandes de communication de tels actes lorsque la sous-traitance a fait l'objet d'un agrément. Dans cette seconde hypothèse, les actes de sous-traitance ou le formulaire DC4 sont librement communicables dans les conditions précédemment rappelées liées au secret des affaires applicables à l’entreprise attributaire. En troisième lieu, la Commission a également précisé sa doctrine relative aux différents échanges intervenant entre l'administration et les candidats dans le cadre de la procédure de passation d'un marché public, dans un avis de partie II n° 20221914 du 12 mai 2022. La Commission constate ainsi que la liste des questions formulées par les candidats en cours de procédure et les réponses qui y sont apportées par le pouvoir adjudicateur, est, en application des principes de transparence des procédures et d’égalité de traitement des candidats, portée à la connaissance de l’ensemble des candidats, le plus souvent par voie de publication sur le profil acheteur de l’administration concernée. Dès lors qu’elle conserve un caractère général, en ce qu’elle ne révèle aucun détail technique ou financier d’une offre particulière, la Commission estime que cette liste est librement communicable à toute personne en faisant la demande. La Commission relève ensuite que le code de la commande publique autorise les acheteurs à demander aux candidats concernés de régulariser leur candidature ou leur offre, dans certaines conditions fixées par les textes. Dans la mesure où les dossiers de candidature des candidats non retenus ne sont pas communicables (Conseil n° 20065427 du 21 décembre 2006), la Commission considère que les demandes de régularisation de ces dossiers ne le sont pas davantage. En revanche, la Commission estime que les demandes de régularisation du dossier de candidature de l’attributaire, ainsi que les demandes de régularisation des offres de l’ensemble des candidats, sont communicables à toute personne en faisant la demande, sous réserve de l’occultation des mentions couvertes par le secret des affaires. S’agissant des échanges ou comptes rendus intervenant dans le cadre des négociations, d’une demande de précision ou d’une mise au point, la Commission considère que, dans la mesure où ceux-ci ont pour objet d’éclairer le pouvoir adjudicateur sur les éléments techniques et financiers de l’offre remise par le candidat ou de faire évoluer ces éléments, ces documents révèlent, par nature, la stratégie commerciale de l’entreprise concernée et, à ce titre, sont entièrement couverts par le secret des affaires (avis n° 20122602 du 26 juillet 2012). Ces documents ne sont, par conséquent, pas communicables. Enfin, la Commission estime que les procès-verbaux de négociation, dans la mesure où ils se limitent à décrire la procédure de négociation et son organisation (durée, dates, personnes présentes, etc.) sans pour autant révéler le contenu des échanges intervenus, sont librement communicables à toute personne en faisant la demande. La commission relève, en dernier lieu, qu'aux termes du II de l'article L311-5 du même code, ne sont pas communicables les documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait atteinte : « d) A la sûreté de l'État, à la sécurité publique, à la sécurité des personnes ou à la sécurité des systèmes d'information des administrations ». 2. Application au cas d’espèce : En application de ces principes, la Commission, qui a pris note des observations du garde des sceaux, ministre de la justice, estime donc que les documents mentionnés aux points 4) à 19) sont communicables à toute personne qui en fait la demande sous réserve de l'occultation préalable des mentions protégées par le secret des affaires et éventuellement, par les dispositions du d) de l'article L311-5, ainsi que, le cas échéant, s’agissant du dossier de candidature de l’attributaire (extrait K-Bis notamment), au secret de la vie privée. S'agissant des autres documents, la Commission estime qu'ils sont communicables à toute personne qui en fait la demande en application de l'article L311-1 du code des relations entre le public et l'administration. La Commission émet donc, sous ces réserves, un avis favorable à la demande et prend acte de l'intention exprimée par le garde des sceaux, ministre de la justice, de procéder prochainement à la communication de l'ensemble des documents demandés.