Avis 20224210 Séance du 08/09/2022
Monsieur X, journaliste, a saisi la Commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 4 juillet 2022, à la suite du refus opposé par le garde des sceaux, ministre de la justice à sa demande de copie, dans un format numérique ouvert et réutilisable, des documents et leurs annexes relatifs à l'entreprise X, dont le périmètre de la demande s’étend aux documents administratifs existants, au sens de l’article 1er de la loi du 17 juillet 1978, et aux informations contenues dans des fichiers informatiques pouvant en être extraites par un traitement automatisé d’usage courant, plus précisément :
1) l'ensemble des contrats et conventions de partenariats passés entre la direction de l'administration pénitentiaire et l'entreprise X ou sa filiale X ;
2) l'ensemble des courriels, courriers et échanges reçus par le ministère de la justice, en particulier par la direction de l'administration pénitentiaire et le cabinet du garde des Sceaux, de la part de l'entreprise X ou de sa filiale X ;
3) l'ensemble des courriels, courriers et échanges envoyés par le ministère de la justice, en particulier par la direction de l'administration pénitentiaire et le cabinet du garde des Sceaux, à l'entreprise X ou à sa filiale X ;
4) les éventuelles pièces transmises par les dites entreprises au ministère de la justice ;
5) la liste, si elle existe ou peut-être extraite par un traitement d'usage courant, des rendez-vous et réunions entre le ministère, en particulier par la direction de l'administration pénitentiaire et le cabinet du garde des Sceaux, et les entreprises précédemment citées ;
6) les éventuelles notes, rapports et comptes rendus relatifs à ces rendez-vous et réunions.
En l'absence de réponse du garde des sceaux, ministre de la justice à la date de sa séance, la Commission relève, en premier lieu, s'agissant du point 1), qu'une fois signés, les marchés publics et les documents qui s’y rapportent sont des documents administratifs soumis au droit d'accès institué par le livre III du code des relations entre le public et l’administration.
Ce droit de communication, dont bénéficient tant les entreprises non retenues que toute autre personne qui en fait la demande, doit toutefois s'exercer dans le respect du secret des affaires, protégé par les dispositions de l’article L311-6 de ce code.
Il résulte de la décision du Conseil d’État du 30 mars 2016, Centre hospitalier de Perpignan (n° 375529), que, lorsqu’elles sont saisies d’une demande de communication de documents relatifs à un marché public, les autorités mentionnées à l’article L300-2 du même code doivent examiner si les renseignements contenus dans ces documents peuvent, en affectant la concurrence entre les opérateurs économiques, porter atteinte au secret des affaires et faire ainsi obstacle à cette communication.
Le Conseil d’État a en outre précisé qu’au regard des règles de la commande publique, doivent être regardées comme communicables, sous réserve des secrets protégés par la loi, l’ensemble des pièces d’un marché public et que, dans cette mesure, l’acte d’engagement, le prix global de l’offre et les prestations proposées par l’entreprise attributaire, notamment, sont en principe communicables. Sont également communicables les pièces constitutives du dossier de consultation des entreprises (règlement de consultation, cahier des clauses administratives particulières, cahier des clauses techniques particulières…).
En revanche, les éléments qui reflètent la stratégie commerciale d’une entreprise opérant dans un secteur d’activité et dont la divulgation est susceptible de porter atteinte au secret des affaires ne sont, en principe, pas communicables.
Il en va ainsi de l’offre de prix détaillée contenue dans le bordereau des prix unitaires, la décomposition du prix global et forfaitaire ou le détail quantitatif estimatif, ainsi que du mémoire technique, qui ne sont, de fait, pas communicables aux tiers. La Commission a précisé dans son Conseil n° 20221455 du 21 avril 2022 évoqué ci-dessus, revenant sur sa doctrine antérieure, qu’il en va aussi désormais des factures, bons de commande, états d’acompte, décomptes et autres pièces établies dans le cadre de l’exécution d’un marché public, en tant que ces documents mentionnent les prix unitaires.
L'examen de l’offre d’une entreprise attributaire au regard du respect du secret des affaires conduit ainsi la Commission à considérer que l’offre de prix détaillée contenue dans le bordereau des prix unitaires, la décomposition du prix global et forfaitaire ou le détail quantitatif estimatif, ne sont pas communicables aux tiers, sans qu’il soit besoin de s’interroger sur le mode de passation, notamment répétitif, du marché ou du contrat, sa nature, sa durée ou son mode d’exécution.
L’examen de l’offre des entreprises non retenues au regard des mêmes principes conduit de même la Commission à considérer que leur offre de prix globale est, en principe, communicable mais qu’en revanche, le détail technique et financier de cette offre ne l’est pas.
En outre, pour l’entreprise attributaire comme pour l’entreprise non retenue, les dispositions de l’article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration doivent entraîner l’occultation des éléments suivants :
- les mentions relatives aux moyens techniques et humains, à la certification de système qualité, aux certifications tierces parties ainsi qu'aux certificats de qualification concernant la prestation demandée, ainsi que toute mention concernant le chiffre d'affaires, les coordonnées bancaires et les références autres que celles qui correspondent à des marchés publics ;
- dans les documents préparatoires à la passation du marché (procès-verbaux, rapports d'analyse des offres) les mentions relatives aux détails techniques et financiers des offres de toutes les entreprises.
La Commission précise enfin que les notes et classements des entreprises non retenues ne sont communicables qu'à celles-ci, chacune en ce qui la concerne, en application de l’article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration. En revanche, les notes, classements et éventuelles appréciations de l'entreprise lauréate du marché sont librement communicables.
En application de ces principes la Commission émet un avis favorable à la communication des documents sollicités, s’ils existent, sous réserve de l'occultation des mentions relevant des secrets protégés définis aux articles L311-5 et L311-6 du même code et, notamment, le secret des affaires.
En second lieu, s'agissant du surplus, la Commission rappelle qu'aux termes de l’article L311-1 du code des relations entre le public et l'administration : « Sous réserve des dispositions des articles L311-5 et L311-6, les administrations mentionnées à l'article L300-2 sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu'elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre ».
Elle précise, en outre, que le droit d'accès aux documents administratifs régi par le livre III du code des relations entre le public et l'administration ne contraint pas l'administration à effectuer des recherches pour répondre à une demande et que les administrations ne sont pas tenues de répondre aux demandes trop générales ou insuffisamment précises (CE 27 sept. 1985, Ordre des avocats au barreau de Lyon c/ X, req. no 56543,X 267 ; CE 30 juin 1989, OPHLM de la Ville de Paris, req. no 83477).
En l'état des informations portées à sa connaissance, la Commission estime que les documents sollicités, s'ils existent en l'état ou s'ils sont susceptibles d'être obtenus par un traitement automatisé d'usage courant et à condition d'être aisément identifiables par l'autorité saisie, sont communicables à toute personne qui en fait la demande, sous réserve de la disjonction ou de l'occultation des éléments dont la communication porterait atteinte aux secrets protégés par les dispositions des articles L311-5 et L311-6 du code des relations entre le public et l'administration. Elle émet, sous ces réserves et dans cette mesure, un avis favorable à la demande.